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NOTRE PASSÉ CONSTRUIT NOTRE AVENIR

 

Notre passé construit notre futur
Lilianne Manning dans mensuel 432


La fonction principale de notre mémoire serait de nous permettre d'anticiper l'avenir. Une preuve ? Lorsque nous faisons des projets, notre cerveau utilise exactement les mêmes ressources que lorsque nous évoquons des souvenirs.
Notre passé construit notre futur. Formulée ainsi, l'affirmation paraît évidente. Mais comment se traduit-elle au niveau de notre cerveau ? Par quels mécanismes puisons-nous dans nos souvenirs cette faculté, propre à l'être humain, de nous projeter dans l'avenir ? Saint Augustin évoquait, dès le IVe siècle, cette notion de passé fondateur : « De la même réserve la mémoire je tire d'autres et encore d'autres répliques... je les relie à la trame du passé, et même, de là, je tisse celle de l'avenir... [1] . » Il a pourtant fallu attendre ces toutes dernières années et les progrès des techniques de neuro-imagerie fonctionnelle pour démontrer que nous réutilisons bel et bien nos souvenirs quand nous imaginons le futur.

Petit retour en arrière. Dans les années 1990, Thomas Suddendorf, de l'université de Queensland en Australie, et Michael Corballis, de l'université d'Auckland en Nouvelle-Zélande, s'intéressent à cette capacité unique qu'a l'être humain de voyager mentalement à la fois dans ses souvenirs et dans ses projets : je suis capable, par exemple, de me remémorer le jour où j'ai eu mon premier vélo, celui où mon frère est né, le concert auquel j'ai assisté la semaine dernière. Mais je peux aussi me projeter dans un événement à venir : le dîner entre amis prévu ce week-end par exemple, ou la réunion de demain matin. Les deux chercheurs proposent alors un cadre théorique [2] à ces allers et venues dans le temps subjectif, que l'on appelle voyage mental dans le temps, qui intègre les deux directions temporelles, passé et futur. Ce faisant, ils émettent les premiers l'hypothèse d'un processus cérébral commun aux souvenirs et aux projets.

Endel Tulving, de l'université de Toronto, y apporte une dimension importante. Pour lui, la conscience de soi est centrale. C'est cette conscience, dite « autonoétique », celle par laquelle chaque individu sait qu'il est l'acteur de l'évocation en cours et de l'événement remémoré ou projeté, qui permet ce voyage lire p. 88 [3] .

Enfin, en 2006, Randy Buckner et Daniel Carroll, de l'université Harvard, proposent un concept qui englobe les deux autres, il les regroupe dans ce qu'il nomme les « projections de soi ». Ce cadre ne se restreint pas à la capacité de se projeter mentalement à un autre moment, mais comprend aussi celle de s'imaginer à un autre endroit et à la place de quelqu'un d'autre [4] .

Dans cette vision, le rôle essentiel de la mémoire autobiographique n'est donc pas de livrer un enregistrement précis de notre histoire personnelle mais de fournir des « schémas » pour construire notre avenir. Chacun sait que cette mémoire du passé n'est pas parfaite. Elle ne semble pas assez performante pour que son rôle soit uniquement l'évocation du passé. Pour ces auteurs, la quintessence

de l'activité cérébrale est donc d'imaginer le futur.

Mais que nous apprennent les résultats de neuro-imagerie sur cette vision théorique de notre fonctionnement cognitif ? Beaucoup de travaux ont montré que, quand on fait appel à la mémoire autobiographique - c'est-à-dire aux souvenirs - parmi les différentes régions du cerveau sollicitées, c'est le cortex préfrontral qui s'active préférentiellement. Si nous réutilisons vraiment nos souvenirs pour construire notre avenir, les mêmes régions du cerveau doivent être activées. Cela devrait donc se voir au moyen des techniques de neuro-imagerie fonctionnelle. Cependant, jusqu'au début des années 2000, cela n'avait pas été testé. Seule l'évocation du passé avait été analysée par ces techniques. Nous nous sommes donc intéressées aux projections dans le futur, avec Anne Botzung, au cours de sa thèse à l'université de Strasbourg. À partir de 2003, nous avons réalisé dans ce but une expérience auprès d'une dizaine de personnes [5] . Et le temps que nous publiions nos résultats, deux autres équipes ont mené des expériences du même type qui ont conduit à des résultats similaires [6] .

Événements personnels
Notre protocole a consisté en trois étapes. Au cours d'un premier entretien, nous avons demandé à nos sujets de décrire, d'une part, des souvenirs ayant eu lieu durant la semaine écoulée, d'autre part, des projets programmés pour la semaine suivante. Par exemple, pour le volet passé, l'un d'entre eux raconte : « Samedi dernier j'ai amené les enfants au cinéma. Nous sommes allés voir un film d'animation..., il y avait un monde fou... il faisait tellement chaud que... » Et pour le volet projet concret : « Je vais faire changer mes lunettes, j'ai pris un rendez-vous pour 14 heures, il faut que je prenne le tram pour être à l'heure... » Tous les événements évoqués devaient être personnels, très détaillés et pas habituels.

À partir de cet entretien initial, une liste de mots clés résumant les événements les mieux relatés a été établie avec chaque personne. Une cinquantaine de souvenirs ou de projets ont été retenus pour chacun. Dans l'exemple déjà cité, cela donne « enfant - film d'animation » pour le souvenir et « lunettes - à l'heure » pour le projet. Ensuite, lors de la séance d'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle IRMf, ces mots-clés étaient montrés à la personne dans l'appareil et servaient de support à la consigne de se remémorer les événements tels qu'ils avaient été vécus la chaleur, la foule, la joie des enfants ou d'imaginer ceux planifiés à l'avance le voyage en tram, l'inquiétude d'être en retard. L'expérience comportait également des tâches dites de contrôle qui permettent d'éliminer toutes les activations cérébrales autres que celles étudiées lecture, mouvement des yeux, etc..

Ensuite, une fois les images obtenues, un deuxième entretien a permis de sélectionner celles qui correspondaient aux évocations les mieux réussies. Il fallait en effet s'assurer que, dans l'appareil, la personne avait bien revécu son souvenir ou sa projection en vérifiant par exemple qu'elle ne s'était pas mise à penser à autre chose, ou qu'un événement extérieur ait perturbé son évocation. Nous avons ainsi sélectionné les événements que nous avons ensuite analysés par des méthodes statistiques. Résultat, souvenirs et projections activent bien les mêmes régions cérébrales. Les images montrent que les régions préfrontales dorso-latérales gauches, le cortex préfrontal médian, l'hippocampe gauche et dans une moindre mesure le droit, et enfin les zones médianes postérieures du cerveau sont sollicités [fig. 1] .

Cartographie
Comment interpréter ce schéma d'activation ? Tout d'abord, grâce aux expériences sur la mémoire autobiographique, on sait que les régions préfrontales dorso-latérales gauches sont activées dès que la tâche en cours fait appel à la dimension « temps », ou quand elle nécessite un effort de construction des représentations. On sait par ailleurs que les zones cérébrales médianes préfrontales, temporales et pariétales sont impliquées dans les processus mentaux se référant à soi-même. Quant à l'hippocampe gauche qui fait partie du lobe temporal médian, on lui attribue comme rôle principal de relier divers fragments de l'information encodés et stockés dans le cortex. Ainsi, son activation quand des projets sont évoqués indique que la représentation d'un événement projeté requiert l'accès aux zones corticales de stockage, c'est-à-dire aux souvenirs. La sollicitation de l'hippocampe droit, elle, implique l'association du contexte spatial à l'évocation de souvenirs et de projets. Enfin, on considère que les zones postérieures du cerveau sous-tendent les différentes étapes qui conduisent à la construction des représentations d'événements personnels. Le schéma cérébral mis au jour pour les projections dans le futur correspond donc bien à celui étudié pour l'évocation des souvenirs.

Il est important de signaler que ces mêmes régions corticales médianes sont également activées dans d'autres types d'expériences. Quand on demande aux sujets de se laisser aller à leurs pensées sans autre consigne, ce sont encore ces zones médianes qui entrent en action [7] . Lors de telles expériences, durant ce prétendu état de repos du cerveau en réalité, il ne se repose jamais, les sujets convoquent souvenirs et projections. Ils pensent à ce qu'ils ont fait hier ou avant-hier ou à ce qu'ils feront demain ou après-demain, ou encore où ils étaient ou seront, voire à ce que pensait ou pensera tel ou tel autre. Il s'agit toujours finalement de projection de soi.

Et récemment Moshe Bar, de la Harvard Medical School a montré que ce sont aussi ces mêmes zones qui s'activent quand on fait des « prédictions ». Il entend par « prédictions » les analogies que fait en permanence notre cerveau entre un élément nouveau et des souvenirs stockés.

Ainsi, projection de soi, état de repos et prédictions traduisent la même activité et « utilisent » la même machinerie cérébrale. À partir de ce constat, Moshe Bar étend le rôle du voyage mental temporel [8] . Pour lui, la simulation, la planification et la combinaison du passé et du futur, qui occupent constamment notre cerveau, fabriquent de nouveaux éléments à mémoriser, des faux souvenirs en quelque sorte puisqu'ils ne correspondent à aucun événement réel. Ces faux souvenirs, comme les souvenirs réels, ont un même objectif : créer des schémas approximatifs qui serviront dans des situations à venir. À l'image du sportif qui améliore sa performance en répétant maintes fois la course dans sa tête, imaginer des scénarios optimise le cours de nos actions quand arrive l'avenir anticipé lire encadré ci-dessous .

Au-delà de la démonstration de l'existence d'un système neurocognitif commun aux souvenirs d'événements réels et aux projections, ces résultats ouvrent donc une nouvelle perspective : notre cerveau construirait l'avenir non seulement avec nos souvenirs concrets, mais aussi avec ceux qui prennent forme et réalité uniquement dans notre mémoire.

EN DEUX MOTS L'idée d'un processus cérébral commun aux souvenirs et aux projets a été avancée dans les années 1990. Des expériences d'imagerie fonctionnelle du cerveau ont depuis montré que le même réseau était effectivement activé, et, plus largement, que les souvenirs créent des schémas qui aident à préparer l'avenir.
[1] Saint Augustin. Confessions, BLP Livre X, VIII, 14, p. 991.

[2] T. Suddendorf et M. Corballis, Genetic, Social, and General Psychology Monographs, 123, 133, 1997 ; P. Suddendorf et M. Corballis, Behavioural and Brain Science, 30, 299, 2007.

[3] E. Tulving, in H. Terrace and J. Metcalfe dir., The Missing Link in Cognition, Oxford University Press, 2005.

[4] R. Buckner et D. Carroll, Trends in Cognitive Sciences, 11, 49, 2006.

[5] A. Botzung et al., Brain & Cognition, 66, 202, 2009.

[6] D. Addis et al., Hippocampus, 14, 752, 2007 ; K. Szpunar et al., PNAS, 104, 642, 2007.

[7] F. Schneider et al. Neuroscience, 157, 120, 2009 ; D. Gusnard et M. Raichle, Nature, 2, 685, 2001.

[8] M. Bar, Trends in Cognitive Sciences, 11, 280, 2007.
CLINIQUE : ANTICIPATION ET EFFET PLACEBO
- SE PROJETER DANS L'AVENIR, imaginer des scénarios aiderait à mieux réagir au moment où la situation se présente réellement. Et pour cause, ces anticipations activent les mêmes zones cérébrales que l'événement vécu. On trouve une illustration de cette notion dans le domaine clinique avec l'effet placebo. On constate en effet que la diminution de la douleur qui suit la prise d'un placebo coïncide avec l'activation du cortex préfrontal orbitaire, région siège de la génération des prédictions [1]. On peut déduire de cette observation que prédiction et accomplissement de cette prédiction activent la même zone cérébrale. On comprendrait ainsi pourquoi le fait de se préparer à ce que la douleur passe aide, en soi, à avoir moins mal.

[1] J. Kong et al., Journal of Neurosciences, 26, 381, 2006.


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LA MÉMOIRE ET L'OUBLI ...

 


LA MÉMOIRE ET L'OUBLI
Comment la littérature réinvente la mémoire


la mémoire et l'oubli - par Claude Burgelin dans mensuel n°344 daté juillet 2001 à la page 78 (3317 mots) | Gratuit
Par définition, l'écriture est mémoire, conservation de traces, défi de la mort. Dans le sillage tumultueux de la Seconde Guerre mondiale, nombre d'écrivains français, de Georges Perec à Patrick Modiano, Claude Simon ou Nathalie Sarraute, ont renouvelé cet art ancestral. Leurs oeuvres dévoilent à quel point la mémoire humaine est pillarde, tricheuse et voleuse impénitente.

Plus que jamais, la mémoire anime la scène littéraire. Depuis deux ou trois décennies, de nombreux textes, souvent parmi les plus achevés, ont été écrits par des auteurs qui tournaient la tête vers la gauche, vers le passé. Mais la plupart de ces écrivains ne se sont pas contentés de faire oeuvre de mémorialistes au sens traditionnel du mot. Puisque la mémoire en son plus intime est liée au langage, aux images liées à des mots, ils ont été ainsi amenés à interroger le fonctionnement même de la mémoire, ses limites et ses pouvoirs, sa capacité à transformer ou à structurer, et même ses aptitudes créatrices. La littérature a eu ici une fonction heuristique. Elle a permis d'élargir le champ de la mémoire, d'en ouvrir les frontières et presque de renouveler le sens même du mot.

Question de survie. Cette présence polymorphe des écritures de la mémoire a entre autres origines les violences de l'Histoire contemporaine et les traumatismes qu'elles ont laissés. Se sont ainsi multipliées les histoires d'errances et d'exils Europe de l'Est, anciennes colonies, etc., souvent dramatiques, chaque fois différentes. Le génocide des Juifs avait été programmé pour être un anéantissement de la mémoire - et c'est ce qu'ont vécu bien des survivants. Les fractures ont été cassures des liens familiaux, mais aussi ruptures des liens culturels et des transmissions symboliques. Toutes sortes de fils de la mémoire ont été coupés. Pour certains, il s'agissait - ce pouvait être une question de survie - de trouver par les mots les moyens de remplacer les paroles et les langages symboliques qui n'ont pu être légués.

L'histoire de Georges Perec est de ce point de vue éloquente. Ses parents sont des Juifs d'origine polonaise. Son père est tué en 1940 lorsqu'il a quatre ans. En 1941 ou 1942, le petit Georges part avec un convoi de la Croix-Rouge dans le Vercors. Sa mère l'accompagne à la gare de Lyon : il ne la reverra plus. Prise dans une rafle, elle périt à Auschwitz en 1943. De 1942 à 1945, il se vit comme un enfant perdu, sans repère dans l'espace et dans le temps ; les liens de parenté lui paraissent incompréhensibles ; tout se passe comme s'il n'avait plus d'identité, plus d'intériorité.

Un de ses symptômes sera désormais de ne plus avoir de mémoire de son enfance. Comme si, avec la disparition de sa mère, avaient disparu aussi les souvenirs de l'enfant qu'il fut auprès d'elle. Le texte autobiographique qu'il publie en 1975, W ou le souvenir d'enfance , met en scène de manière précise et saisissante cette destruction de la mémoire et sa reconstruction. Dans la première moitié du livre, Perec rassemble et analyse tous les souvenirs qu'il a gardés de ses premières années et tous les fantasmes qu'il a élaborés autour des très rares photos ou témoignages qu'il a pu recueillir. Il montre que tous sont marqués d'erreurs ou d'évidentes distorsions. La mémoire qu'il croit avoir n'est faite que de bribes de mythes et de légendes qu'elle s'est fabriquées. Et surtout rien ne lui rendra le souvenir d'enfance fondamental qui lui fait défaut : la souvenance de sa mère. S'il a quelques images du moment de la séparation d'avec elle, s'il se souvient peut-être de sa présence, lui font défaut les souvenirs de son visage, de sa voix, de l'enfance qu'il eut à ses côtés.

Hypermnésie. A cette perte de la mémoire Perec va réagir en devenant hypermnésique. Comme pour faire pièce à ce blanc, sa mémoire enregistre dorénavant tout ce qui lui paraît faire signe et sens. Elle se repaît de données de toute sorte, notamment de noms propres listes de noms de sportifs comme noms de lieux ou de personnages historiques, etc.. Comme si, après avoir tout perdu, sa mémoire devait désormais ne plus rien laisser disparaître. Cette mémoire hypertrophiée s'exerce surtout pour ce qui concerne les noms, les lieux, les temps, et tout ce qui aide à constituer des archives : livres, films, textes divers. Elle lui sert dès lors de substrat d'une identité de remplacement. Cette mémoire à la fois personnelle lui seul a tant emmagasiné et impersonnelle rien de plus anonyme que des listes de noms..., il la transforme par l'écriture en un terrain de jeux, de recherches et d'échanges, et fait de la mémoire un lieu de rencontres. De jardin privé, elle devient place publique.

Son Je me souviens est à cet égard exemplaire. 480 fois, il décline la phrase « je me souviens de... » en la faisant suivre d'un nom propre, d'un événement médiatique, d'un refrain, de l'intitulé d'une émission de radio, d'un slogan publicitaire, du titre d'un manuel scolaire : incandescences d'un instant, pétillements éphémères de l'histoire immédiate, fragmenticules de ce qui fait la chronique quotidienne venus s'inscrire sans qu'on le veuille au vif de notre mémoire alors même que nous ne savons pas toujours garder en nous des souvenirs de moments autrement plus impliquants.... Cette litanie de souvenirs fait immanquablement venir aux lèvres un « moi aussi... ». Et si les souvenirs d'un homme né en 1936 ne peuvent être ceux de qui est né bien après, la manière de faire de Perec indique une politique et presque une éthique de la mémoire : ces menus débris, ce ramassis hétéroclite de noms de gangsters et de sportifs, de chanteurs et d'hommes politiques, de titres de films ou d'émissions de variétés constituent pour nous des pilotis de la mémoire, signent notre façon d'avoir été latéralement contemporains de l'histoire et sont source d'un plaisir partagé de la réminiscence. Ainsi, tout en restant, consciemment ou non, lieu du traumatisme, la mémoire devient également composante d'une sorte de bonheur discret du souvenir. D'autant plus que nous sont proposées par de tels biais des stratégies actives par rapport à la mémoire. On peut par exemple ne pas attendre qu'elle fasse passivement son travail de passoire. Quand Perec rédige sa Tentative d'inventaire des aliments liquides et solides que j'ai ingurgités pendant l'année 1974 , il s'astreint à dresser chaque jour la liste de tout ce qui a constitué ses repas. Suit un bilan cocasse et vaguement inquiétant de ce qu'un Occidental quelconque peut engloutir en une année. Un mémorial de l'infime, mais qui peut devenir socle d'une mémoire. Car la mémoire n'a pas à jouer les grandes dames : elle se nourrit de tout, à commencer par ce à quoi nous ne prêtons qu'une attention distraite ou discrète. Dans Espèces d'espaces , « journal d'un usager de l'espace », Perec inventorie ceux, intimes ou publics, que nous arpentons et traversons. Puisque l'espace est de moins en moins un lieu de mémoire, que les repères sont de plus en plus instables, il importe plus que jamais de s'en faire par l'attention du regard et par la trace écrite le mémorialiste, le greffier.

Depuis la nuit des temps, pour retenir des traces, pour étayer leur mémoire, les humains ont utilisé le graphe, la lettre, le nombre. Perec est devenu un virtuose de l'association des lettres et des nombres écrivant ainsi un roman, La Disparition , sans jamais utilis e r la voyelle e, chiffrant secrètement presque tous ses textes, y engrammant des nombres 43, par exemple, date de la mort de sa mère, offrant ainsi une sorte d'architecture invisible à sa mémoire évidée. Et, paradoxe des transmissions inconscientes, il renoue par là avec quelque chose de l'univers de la Kabbale ou du talmudisme judaïque. Ses jeux avec le mémoriel lui font retrouver les ombres de la mémoire de ses ancêtres1.

Tombeau de mots. Comment garder le souvenir de celui ou de celle dont on n'a pas gardé mémoire ? Un autre écrivain français a tenté de répondre à cette question en forme de paradoxe. Un jour des années 1980, Patrick Modiano tombe sur une annonce parue dans le numéro de Paris-Soir du 31/12/1941 signalant la disparition d'une jeune fille de quinze ans, nommée Dora Bruder et donnant l'adresse de ses parents. A partir de cette simple indication, Modiano se met en quête de Dora Bruder et de son destin. Sa patiente traque lui fait retrouver les données d'état civil concernant Dora et ses parents, des Juifs immigrés, les lieux où elle a vécu, le pensionnat où elle a été cachée. De sa personne nul aujourd'hui ne semble se souvenir. Elle et ses parents ont péri à Auschwitz. Leur mémoire est partie en fumée avec eux. Rien ne reste d'eux que leurs noms... Demeurent pourtant quelques-uns des magasins que Dora a pu voir, les stations où elle prenait le métro, les boulevards qu'elle arpentait, la caserne des Tourelles où elle fut enfermée avant Drancy. Peu à peu, au travers de ces minutieux repérages d'adresses et de lieux précis, se dessine en creux le fantôme de Dora Bruder. Cette enquête patiente et acharnée vient se nourrir de toutes sortes de rappels de mémoire pour l'auteur. La mémoire de Modiano vient donner des contours à celle à jamais disparue de Dora Bruder sans pour autant venir se substituer à elle. Et alors même que la folie nazie a tout fait pour que la mémoire d'un être d'aussi peu d'importance sociale que Dora Bruder disparaisse à jamais, la quête et le récit de Modiano lui donnent à la fois une mémoire symbolique - un tombeau de mots, l'équivalent de l'inscription d'un nom sur une tombe -, et sinon une mémoire charnelle et vive, l'ombre ou le fantôme de cette mémoire2.

Des « gens de peu » sont aussi les héros des Vies minuscules , de Pierre Michon, qui a choisi de raconter les vies de huit personnages ayant, d'une façon ou d'une autre, croisé sa route. Parfois dans la réalité - camarades de lycée ou voisin de lit à l'hôpital -, parfois dans la mémoire, pour ne pas dire dans la légende - récits indécis transmis concernant un ascendant ou même des figures plus lointaines3. Tous ces êtres ont en commun d'avoir été des losers , issus presque tous des mêmes confins reculés du massif Central la Creuse, et d'avoir des destins qui les vouent à l'oubli et au silence. A ceux qui furent ainsi des êtres du bas-côté Pierre Michon redonne vie et, par la noblesse des mots, un relief et une sorte d'éclat. Mais ce faisant, ce sont, par métaphore, les linéaments de sa propre mémoire qu'il dessine. Si son récit touche çà et là à l'autobiographie, c'est là encore cette mémoire des autres et de leur destinée de perdants qui vient donner comme une étoffe à la sienne.

Mémoire d'autrui. On en vient ici à une des données à la fois limpides et énigmatiques que mettent au jour ces écritures de la mémoire. Si la mienne défaille, ne peut ou ne veut se dire, celle d'autrui peut venir la relayer ou s'y substituer. Des mémoires différentes peuvent lui donner des contours. La mémoire d'autrui peut s'emprunter, les signes de son passé représenter les miens. Dans ce cas, le travestissement s'affiche. Mais la démarche est sans doute tout aussi rigoureuse que celle qui consiste à présenter comme miens des souvenirs faits de bribes de mythes, de on-dit divers, d'emprunts inconscients aux souvenirs et aux signifiants des autres. Si « je est un autre », il y a là une façon d'aller au bout de cette logique. Dans Ellis Island , Perec, à partir d'une enquête et d'un film sur le musée new-yorkais de l'émigration, évoque à travers ce « lieu de l'absence de lieu » un centre de triage sur un îlot, un lieu de transformation des identités la mémoire de ces exilés4. En rappelant ce que purent être leurs histoires, il tente de cerner sa propre identité de juif, d'homme rattaché à nulle part, son absence de repères ou de racines. La mémoire des émigrants d'Ellis Island n'est pas la sienne, mais il peut, grâce à elle, dire la sienne - ou plutôt ce qu'il ne saurait dire autrement de la sienne.

Ainsi ce que nous rappellent Perec et bien d'autres, c'est que la mémoire est une pillarde, une voleuse et une tricheuse. La mémoire qu'il n'a plus, Perec se la reconstruit en l'empruntant à celle des auteurs qu'il a lus et relus. Ceux dont il s'est approprié les mots et les formules Flaubert, Roussel, Kafka, Queneau, Leiris, etc. deviennent comme l'humus de sa mémoire - et donc de son identité. Ma mémoire n'est donc peut-être pas mon bien propre, ce coffre-fort mal clos où seraient enfermés mes souvenirs, d'autant plus précieux qu'ils seraient à moi et à personne d'autre. Cette vision naïve d'une mémoire autarcique et repliée sur elle-même, bien des textes actuels la mettent à mal.

Pilotis paternels. A utobiographie de mon père : le titre même du livre de Pierre Pachet affiche la contradiction5. Ce père est lui aussi un juif émigré venu d'Europe de l'Est, et son histoire, une fois de plus, est faite de cassures et de pertes. Une de ses caractéristiques fut d'avoir été passablement silencieux et retenu dans l'expression de ses affects. Le récit de Pachet va lui donner la parole tout en respectant son besoin de la discrétion et de la réserve. La mémoire qu'il n'a que sobrement transmise, son fils se bornera à l'éclairer, à en indiquer les arrière-fonds : il transmet l'univers de signes de son père en en indiquant des traductions possibles. Tout cela transite par la mémoire de ce fils qui, en le faisant ainsi parler, donne à entendre comment sa mémoire est venue donner des pilotis, des arrière-cours et peut-être une couleur à la sienne.

L'entreprise la plus ambitieuse, à l'architecture et à l'orchestration singulièrement puissantes, est celle que mène à bien depuis vingt ans Claude Simon. Les Géorgiques , L'Acacia , Le Jardin des Plantes et, tout récemment, Le Tramway 2001 semblent avoir pour puissance organisatrice la mémoire6. Les Géorgiques font se superposer et s'intriquer trois histoires, celle d'un ancêtre, ex-conventionnel devenu général d'Empire, celle d'un combattant des milices populaires dans l'Espagne de 1937 lui-même, mais aussi George Orwell..., celle du soldat de 1940 qu'il fut, battant en retraite devant l'ennemi. Les histoires s'entrelacent, les tragédies se répètent, une même mémoire reprend ces événements, en fait une chambre d'échos multiples. L'Acacia crée un réseau de correspondances et d'amalgames subtils entre l'histoire du père tué en 1914 et celle de son fils frôlant la mort au printemps 1940 - comme si une seule mémoire venait brasser ces images d'époques différentes. Le Jardin des Plantes se présente comme le « portrait d'une mémoire » : c'est un texte en mosaïque, fait de fragments, d'arêtes, de menues pulvérulences ; les souvenirs savamment juxtaposés d'impressions et de sensations de toute sorte et de tout âge de la vie dessinent l'histoire d'une existence. Tout l'art de Claude Simon consiste à savoir faire architecture de cet amoncellement d'infimités, d'instantanés fixés, qui semblerait ne connaître comme ordre que celui de la dispersion. Et ses phrases, aux arborescences incroyablement ramifiées, dessinent cette trame complexe dans laquelle vient prendre forme « l'impalpable et protecteur brouillard de la mémoire » .

Toute cette constellation de textes de natures et d'inspirations différentes laisse voir combien l'imagination ne cesse d'élaborer et de réélaborer la mémoire, la métamorphosant subtilement par ajouts, oublis, superpositions. Freud a montré que l'inconscient à l'oeuvre dans nos rêves, fantasmes et souvenirs construisait ses figures par condensation ou déplacement, par métaphore ou par métonymie. Notre mémoire fait de même : elle s'approprie des histoires arrivées à d'autres, des fragments de légendes ou de mythes, des images de toute sorte. Elle en fait son miel particulier, mêlant incessamment, et bien sûr à son insu, le vrai et le faux, l'exactitude et la fable. Elle apparaît ainsi comme un espace de création au même titre que d'autres.

La mémoire vive de la langue, la plus archaïque et la mieux imprimée en nous, est liée à cet univers de rythmes et de sonorités, d'images acoustiques très anciennement engrammées comme de mises en structures aux formes plus ou moins fixes cf. en français, l'alexandrin ou le système de la rime. C'est ce rapport à la poésie, à la berceuse, au refrain, à la litanie, à la répétition envoûtante ou apaisante qui donne à la mémoire son terreau fondamental, celui sur lequel viendront se greffer les connaissances abstraites et la mise en ordre intellectuelle du monde. Ce terreau est celui que la littérature vient labourer. L'art du manieur de phrases qu'est l'écrivain est de savoir faire vibrer cet en-deçà des mots, de venir l'inscrire dans sa façon même d'organiser le sens.

Labyrinthe verbal. Toute écriture qui part vraiment à la recherche de ses arrière-fonds pétrit cette pâte verbale d'avant la mémoire organisée et qui pourtant la fonde. Serge Doubrovsky La Dispersion , Fils , Un amour de soi , etc. a construit autour de son existence un immense labyrinthe verbal7. Et, pour mener à bien ce projet autobiographique, il confie ce qu'il appelle « le langage d'une aventure » à « l'aventure du langage » . Autrement dit, son propos s'enchaîne et prend forme autour d'un flux incessant d'allitérations, d'associations, de rimes, d'entrechocs de mots. C'est là sa façon de faire entendre comment sa mémoire a agrégé des sonorités, des rythmes, des assonances comme un fonds inépuisable où sa verve viendrait constamment se ressourcer. Comme si sa manière de travailler ce matériau sonore et d'être travaillé par lui désignait cela même qui ne peut se dire : désir, excitation, jouissance - tous ces influx et afflux que nos mots ne savent encadrer et qui viennent donner son étoffe ou sa couleur à notre mémoire.

Un des défis que cherchent à relever les textes les plus intenses - de Duras à Valère Novarina, de Beckett à Pierre Guyotat - est d'essayer de faire entendre à travers l'écriture quelque chose de la voix. Notre voix dit le plus intime de nous - agressivité, mélancolie, pulsions... -, notre rythmique singulière, notre musique très particulière : donc, ce qui s'est inscrit et façonné en nous dans les rapports du langage et du corps depuis notre histoire la plus archaïque. Rechercher une écriture de l'oralité, qui tente de métaphoriser les harmoniques, les justesses ou les porte-à-faux de la voix, est une des façons d'introduire la mémoire comme force organisatrice de l'écriture.

Mais l'écriture est aussi un instrument privilégié pour donner forme et organisation à la mémoire. Qu'est-ce qu'un souvenir si on ne lui donne ses racines et radicelles, ses branches et ses ramifications ? L'écriture permet de le réintroduire dans son paysage, dans la complexité de ses arrière-pays. Dans Enfance 1983, Nathalie Sarraute trame le récit de son enfance autour de quelques mots ou de quelques gestes, lancés ou reçus comme des projectiles8. C'est autour d'eux que le système nerveux de la mémoire s'est dessiné, dans la souvenance des décharges ou influx subis à partir de ces mots ou de ces signes. Mais comment faire ressentir que ce sont des gouttes d'acide toujours brûlantes ? Sarraute s'attache patiemment à décrire les ondes de choc créées par ces sensations, à mettre des mots sur ce qui est resté impression vive, mais confuse ou trop chargée d'émotions contradictoires. C'est tout ce tressage verbal qui donne à la mémoire sa consistance autant que ses pouvoirs de résonance.

Certes, par définition, l'écriture est mémoire, conservation de traces, défi de la mort. Le sens ou la nostalgie de la durée l'habitent. Mais, dans un temps dominé par la péremption toujours plus rapide des signes et des références, la littérature renouvelle son compagnonnage avec la mémoire en passant avec elle comme de nouveaux contrats. Dans la tradition grecque, les neuf muses étaient filles de Mnémosyne, la mémoire. Le mythe n'a rien perdu de son actualité : c'est en puisant dans les trésors sans fond de la mémoire individuelle ou collective, récente ou infiniment archaïque, que la littérature - et avec elle la civilisation ? - trouvera les moyens de son renouveau.

Par Claude Burgelin

 

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BERGSON

 

Henri Bergson

Philosophe français (Paris 1859-Paris 1941).
La philosophie de Bergson ne porte pas la marque de son époque. Elle fut avant tout, dans cette première moitié de xxe s., l’expression d’une importante réaction aux théories du positivisme.
Le philosophe prix Nobel

Henri Bergson appartient à une famille de neuf enfants ; son père, d’origine juive, est né à Varsovie et sa mère, à Londres. Lauréat du premier prix de mathématiques au concours général, il s’oriente toutefois vers la philosophie et entre à l'École normale supérieure en 1878. Après l’agrégation, il enseigne à Angers, à Clermont-Ferrand et à Paris. En 1884, il édite et préface des morceaux choisis de Lucrèce. En 1889, il soutient ses deux thèses : Essai sur les données immédiates de la conscience et, en latin, la Théorie aristotélicienne du lieu. Sa candidature à la Sorbonne avait déjà été repoussée plusieurs fois quand, en 1896 (année où paraît Matière et mémoire), il accède comme suppléant à la chaire de philosophie grecque et latine du Collège de France, qu'il inaugure avec un cours sur Plotin ; il en devient le titulaire en 1900. En 1904, il occupera la chaire de philosophie moderne.
Deux ouvrages, le Rire. Essai sur la signification du comique et l’Évolution créatrice, parus respectivement en 1900 et 1907, donnent lieu à des controverses qui aboutissent à une mise à l'index par l'Église, mais aussi à un curieux succès mondain qui attire le Tout-Paris aux cours de Bergson. Celui-ci est élu à l'Académie française en 1914 et divers gouvernements lui confient des missions diplomatiques pendant et après la Première Guerre mondiale. Sous le titre l'Énergie spirituelle, il publie en 1919 un recueil d'articles. Son œuvre, surtout louée dans le monde anglo-saxon, est couronnée par le prix Nobel de littérature en 1927.
Depuis 1925, Bergson souffre de rhumatisme déformant. Il rédige encore les Deux Sources de la morale et de la religion (1932), puis la Pensée et le mouvant (autre recueil d’articles [1934]). Lui qui s’était rapproché du catholicisme refuse de rompre avec le judaïsme devant la montée de l’antisémitisme et meurt en pleine Occupation.
Le penseur de l'intuition

Toute philosophie, dit Bergson, « se ramasse en un point unique », son intuition initiale et centrale. Pour lui, il s’agit de la durée, qui est la réalité même. Par durée, il faut entendre « la forme que prend la succession de nos états de conscience quand notre moi se laisse vivre, quand il s’abstient d’établir une séparation entre l’état présent et les états antérieurs » (Essai sur les données immédiates de la conscience). Ces états sont des moments qualitatifs qui s’opposent aux quantités se juxtaposant dans l'espace. Du fait que le quantitatif seul se mesure, la science ne pourra pas atteindre les états de conscience. Aussi la qualité – donc tout fait psychique –, rebelle à la mesure, n'est-elle accessible qu'à l'intuition, érigée par Bergson en véritable méthode philosophique. « C’est à l’intérieur même de la vie que nous conduit l’intuition. »
La thèse centrale de Matière et mémoire est résumée par Bergson lui-même dans l'« image du cône ». C'est sur le plan de l'action, de la matière, du présent que le corps agit grâce aux souvenirs accumulés, qui constituent sa mémoire, son expérience. Mais, à mesure que la conscience, se désintéressant de l'action, quittera ce plan, elle s'élèvera d'une simple répétition mécanique du passé dans l'acte habituel à une véritable représentation de celui-ci dans les divers degrés du souvenir. Ainsi, le souvenir, né de l'inattention à la vie, manifeste l'infinie contractibilité de la durée, puisqu'un souvenir quasi instantané peut pourtant ressusciter de vastes portions du passé. Inversement, la matière, du fait de sa rigidité, ne peut que répéter le passé, et cette répétition occupera le même temps que l'original.
L'Évolution créatrice montre comment la durée règne dans l'univers lui-même. Rejetant mécanisme et finalisme en biologie, Bergson se rattache à une sorte de néo-lamarckisme. Puissance de métamorphose, la vie est entraînée par l'élan vital dans des séries divergentes de transformations, qui, après que la durée s'est scindée en matière et vie, l'orientent elle-même vers la vie végétale et la vie animale, l'animal vers l'instinct et vers l'intelligence, celle-ci enfin vers l'action technique et vers la compréhension intuitive. C'est ce mouvement de différenciation que les Deux Sources de la morale et de la religion poursuivent sur le terrain de la vie sociale.
Le philosophe et le banquier

Henri Bergson et le banquier Albert Kahn (1860-1940), Alsacien ayant choisi la France après la guerre franco-allemande, échangèrent, entre 1879 et 1893, une correspondance qui retrace l’histoire de leur amitié. Celle-ci commença par une relation de maître à élève entre deux hommes cependant du même âge, que rapprocha ensuite leur foi humaniste et pacifiste. Hommes également engagés dans l’histoire de leur temps, Albert Kahn a fondé plusieurs sociétés philanthropiques, tandis que Bergson fut mandaté par la SDN pour diriger l’Institut de coopération intellectuelle qui devait donner naissance à l’Unesco.

 

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NIETZSCHE

 

Friedrich Nietzsche

Philosophe allemand (Röcken, près de Lützen, 1844-Weimar 1900).
Friedrich Nietzsche fut le penseur qui soumit à un doute radical tout l'acquis de la pensée occidentale, de Platon à Descartes. Sa propre philosophie est celle qui appelle de ses vœux le « surhomme », victorieux du Temps parce qu'il inscrit son action dans un « éternel retour ».
Une éducation privilégiée

Fils et petit-fils de pasteurs luthériens, Friedrich Nietzsche a tout juste deux ans lorsque son père meurt. À Naumburg, où sa famille s'installe, il grandit au milieu de femmes : sa mère, sa sœur cadette Elisabeth, sa grand-mère et deux tantes. Toutes l'entourent du respect suscité par l'enfant prodige qu'il est, montrant un don précoce pour la musique.
En 1858, Nietzsche est envoyé dans une école protestante faite pour l'élite et, en 1864, il s'inscrit à l'université de Bonn, où il étudie la théologie et la philologie classique. Mais c'est surtout à l'écriture musicale qu'il se consacre. En 1865, il suit à Leipzig son professeur et mentor, le latiniste Friedrich Wilhelm Ritschl (1806-1876), qui le tient pour un génie. Sur la recommandation de Ritschl, il obtient en 1869 – alors qu'il n'a pas encore soutenu de thèse – un poste de professeur de philologie classique à l'université de Bâle.
L'époque des affinités rompues

À Leipzig, Nietzsche a découvert la philosophie en lisant le Monde comme volonté et comme représentation de Schopenhauer. L'art, pensé comme contemplation du beau, y apparaît comme une consolation aux tourments de l'existence. Nietzsche croit voir la réalisation de ce projet philosophique dans la musique de Richard Wagner. De 1869 à 1872, il fait partie du cercle des intimes du compositeur, auquel il dédie son premier ouvrage : paru en 1872, celui-ci a pour titre la Naissance de la tragédie et pour sous-titre Hellénisme et pessimisme, ce dernier terme étant emprunté à Schopenhauer ; le philologue devenu esthéticien suscite de brûlantes controverses en portant sa première attaque contre l'idéalisme de Platon. Nietzsche rompt pourtant avec sa double filiation en publiant, entre 1873 et 1876, les quatre Considérations inactuelles (ou intempestives) : il rejette la philosophie de Schopenhauer, afin de proclamer « l'acquiescement à la vie », et la dramaturgie wagnérienne, parce qu'elle est fondée sur l'exaltation de la mythologie germanique.
Depuis 1874, Nietzsche fait l'épreuve de la maladie – migraines et troubles oculaires –, qu'il accueille cependant, par-delà la souffrance, comme un moment de liberté : il en finit alors « avec cette habitude de céder, de faire comme tout le monde, de [se] prendre pour un autre ». En 1879, il démissionne de l'enseignement. Avec la maigre pension du gouvernement suisse pour tout viatique, il mène une vie d'errance, en Bohême, en Italie, en France, surtout à la recherche des stations thermales qui conviendront le mieux à son état de santé.
L'époque des ouvrages fondateurs

Les années d'errance sont aussi celles du surgissement de l'œuvre proprement nietzschéenne. Humain, trop humain (1878) inaugure une période de critique totale, qui se poursuit avec le Voyageur et son ombre (1879) et Aurore (1881). Ces livres sont comme « une forme supérieure de guérison ». Nietzsche a recours à l'aphorisme pour rendre compte d'une réalité faite de multiples « perspectives ». Par son style même, il nous invite à nous méfier des systèmes rassurants, comme celui de Descartes, dont le « je pense, donc je suis » est soumis à une critique en règle : il n'est pas certain, dit Nietzsche, que je sois l'être qui représente ce que je me représente. Dans le Gai Savoir (1882), il reformule l'idée (stoïcienne à l'origine) de l'éternel retour : il n'est pas question de croire en un absurde retour des choses, mais d'éprouver la force de la volonté, en voulant toujours ce qu'on a voulu une fois – ce qui signifie renoncer au temps linéaire de l'histoire judéo-chrétienne.
Paru en plusieurs parties entre 1883 et 1885, Ainsi parlait Zarathoustra ne se vend qu'à une centaine d'exemplaires. C'est pourtant, parmi ses œuvres, celle dont Nietzsche déclare : « En l'offrant à l'humanité, je lui ai fait le plus grandiose présent qu'elle ait jamais reçu. » Il choisit la forme du discours poétique pour exposer les thèmes essentiels de sa philosophie que sont la mort de Dieu et l'apparition du surhomme (Übermensch) : le surhomme est celui qui est animé de la volonté de puissance – entendue non comme désir de domination mais comme force créatrice – et celui qui accepte, d'abord dans la gravité puis dans la joie, l'épreuve de l'éternel retour. « Quel que soit l'état que ce monde puisse atteindre, il doit l'avoir atteint, et cela, non pas une fois, mais d'innombrables fois. »
Le crépuscule du penseur

Nietzsche s'emploie ensuite à détruire définitivement ce qui a été ébranlé dans le Zarathoustra : la morale dans Par-delà bien et mal (1886) et dans la Généalogie de la morale (1887), la religion dominante dans l'Antéchrist (1888 [publié en 1896]) et toutes les formes d'idéalisme dans le Crépuscule des idoles (1888). Dès la fin de 1888, il écrit des lettres étranges, puis, le 3 janvier 1889, alors qu'il se trouve à Turin, il sombre dans l'aliénation mentale. D'abord interné à Iéna, il est ensuite recueilli, à Naumburg, par sa mère – qui lui en veut cependant d'« avoir tué le Christ » – et, finalement, à Weimar, par sa sœur Elisabeth (1846-1935), qui sera la dépositaire de ses derniers manuscrits. En 1901, c'est sa sœur qui publie, sous le titre la Volonté de puissance, ce qui n'est pas réellement une œuvre de Nietzsche, mais une compilation posthume d'aphorismes sélectionnés et parfois même partiellement réécrits. En désaccord avec le texte d'Ecce Homo, datant de 1888, elle en retardera la parution jusqu'en 1908.
La sœur Walkyrie

Elisabeth Nietzsche, surtout connue sous son nom d'épouse – Elisabeth Förster Nietzsche –, fut pour Friedrich une sœur attentionnée et complice, dont l'affection, à l'âge adulte, se mua en une passion dévorante, qui la poussa notamment à s'immiscer dans la vie sentimentale de son frère. C'est elle, notamment, qui mit fin à la liaison – pourtant toute spirituelle – que celui-ci eut avec la jeune Lou Andreas-Salomé entre 1882 et 1883.
Nietzsche, sur la fin de sa vie, n'était plus que l'ombre de lui-même. Il tomba complètement sous la coupe d'Elisabeth, qui gérait ses archives. C'est sa sœur qui entreprit de diffuser son œuvre, quitte à jouer les faussaires afin de transformer Friedrich en héros de la « nouvelle Allemagne ». Trente ans durant, après la mort de son frère, elle chercha à imposer une interprétation de la pensée nietzschéenne qui allait dans le sens de ses propres convictions aryennes – parachevées par son adhésion au national-socialisme.

 

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