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L'IMPRIMERIE

 


 

 

 

 

 

imprimerie

Consulter aussi dans le dictionnaire : imprimerie
Cet article fait partie du dossier consacré à la Renaissance.

Ensemble des techniques et métiers qui concourent à la fabrication d'ouvrages imprimés. (Synonyme : industries graphiques.)

HISTORIQUE
EN ORIENT
Les premières reproductions d'écriture furent sans doute obtenues sur la cire ou l'argile avec les sceaux cylindriques et les cachets qu'on retrouve dans les plus anciennes cités de la Mésopotamie ou de l'Élam ; certains datent de vingt-huit siècles avant notre ère. Des briques ont aussi été estampées en creux au moyen de formes de bois ou de métal. Ensuite, l'imprimerie fut connue en Chine, où elle mettait en œuvre des formes de bois gravé. Sur une planche polie, le bois était enlevé autour de l'écriture, qui demeurait seule en relief. On l'encrait et on appliquait sur elle une feuille de papier de riz. L'invention de caractères mobiles est relatée dans un livre du xie s. et attribuée à Bi Sheng (1041-1048). Ces caractères furent en terre cuite, puis en plomb, enfin en cuivre.

EN EUROPE

Johannes Gutenberg
Les impressions xylographiques, dont le procédé se rattache plus à la gravure, constituent le premier chapitre de l'histoire de l'imprimerie par leur but et l'époque de leur diffusion. À l'aide de gouges, le graveur laisse en saillie, à la surface d'un bloc, le signe à reproduire. C'est la différence de niveau qui empêche l'encre d'atteindre les creux. La planche à graver en poirier, en cormier ou noyer est débitée dans le sens du fil du bois, parallèlement à l'axe du tronc ou de la branche. Cette gravure en bois de fil a surtout été en faveur au milieu du xvie s. Elle était utilisée pour l'impression de cartes à jouer, d'images pieuses avec ou sans phylactères, de textes brefs plus ou moins illustrés (donats), de livres typographiés enfin, dans lesquels des dessins pouvaient être reproduits. La gravure artistique au burin, sur bois, au xve s., amena à concevoir l'idée de graver séparément chacune des vingt-cinq lettres de l'alphabet latin. En effet, à partir d'un certain nombre de caractères fondus, une infinité de combinaisons fut possible ainsi que le tirage d'épreuves à volonté. C'est à Johannes Gensfleisch, dit Gutenberg, et à son collaborateur principal Peter Schöffer, que revient, semble-t-il, l'honneur de l'invention de l'imprimerie. En fait, cette invention était double puisqu'elle associait celle de la presse à imprimer, mise au point d'après le modèle des pressoirs à vis utilisés par les vignerons rhénans, et celle des caractères métalliques mobiles, dus à Schöffer. Pour autant, ce ne fut pas la lettre mobile qui fut l'invention décisive mais la lettre métallique moulée (« jetée en moule »), due à Gutenberg. Presque immédiatement s'instaura la méthode de fabrication des caractères devenue classique :
– gravure en poinçon, à l'extrémité d'une tige métallique (acier doux), du signe voulu en relief et à l'envers ;
– frappe à l'aide de ce poinçon d'une matrice dans un métal plus tendre (cuivre rouge) ;
– moulage, dans un moule à arçon, ou moule à main, d'un alliage ternaire (plomb, étain, antimoine) qui s'imposa jusqu'à nous.
Le 14 octobre 1457, Fust, l'associé de Gutenberg, et Schöffer achevèrent d'imprimer le premier livre portant la date imprimée : le Psautier de Mayence. Avec Gutenberg, ils publièrent des ouvrages populaires de religion, de grammaire latine, des calendriers. Leur œuvre la plus célèbre est une Bible in-folio, dite à « 42 lignes », ou « Bible mazarine » (elle appartint au cardinal et se trouve à la bibliothèque Mazarine).

LA DIFFUSION
LA TYPOGRAPHIE

L'art nouveau se répandit avec rapidité, par la vallée du Rhin, dans toute l'Europe. Deux ouvriers de Gutenberg s'établirent en 1464 en Italie, à Subiaco, puis à Rome. Un envoyé de Charles VII à Mayence porta les « secrets de l'art » à Venise, où Alde Manuce fonda, en 1490, sa dynastie d'imprimeurs, qui devait durer un siècle. Il publia un Virgile en caractères penchés, dits « aldini », ou « italiques » (1500). À Paris, par exemple, les débuts de l'imprimerie sont dûs à trois ouvriers typographes allemands, Martin Crantz (ou Krantz) de Strasbourg, Michaël Freiburger de Colmar, et Ulrich Gehring de Constance, qui furent accueillis en 1470 dans le collège de la Sorbonne (où le premier livre sorti de leur presse, la même année, fut les Lettres de Gasparini de Pergame) ; en 1473, ces trois typographes s'installèrent rue Saint-Jacques à l'enseigne du Soleil d'Or. À partir de 1477, seul apparaît le nom d'Ulrich Gehring, qui revint rue de la Sorbonne où il ouvrit un atelier à l'enseigne du Buis. En France encore, citons la famille Estienne (1500 à 1661) ; à Lyon, É. Dolet ; aux xviiie et xixe s., les Didot. L'Angleterre a une imprimerie à Oxford en 1479, puis une à Londres. Les Pays-Bas ont les Plantin à Anvers (1548-1876), puis les Elzévir à Leyde (1580-1636).
La typographie, opéra une véritable révolution dans la diffusion de la pensée. Sans subir de modification fondamentale, le procédé typographique allait permettre d'imprimer la quasi-totalité des ouvrages parus du xve s. aux débuts de la révolution industrielle. C'est au xixe s. que l'on doit les grandes novations en matière d'imprimerie : l'Allemand König met au point la presse à cylindre en 1811, l'Anglais Stanhope construit, en 1820, une presse à bras entièrement métallique ; vers 1850, entre en service la première rotative. De telles machines vont permettre dès lors la publication quotidienne de journaux. Nicéphore Niépce avait trouvé, vers 1830, le principe de la photographie ; la similigravure permet, dès 1882, d'imprimer des images photographiques.

LA COMPOSITION MÉCANIQUE
La mécanisation de la composition, effective aux États-Unis peu avant 1890, devint opérationnelle en Europe aux environs de 1900. Tout le travail manuel d'assemblage et de justification des lignes se faisait mécaniquement à l'aide de machines composeuses-fondeuses. Dans le système Linotype (inventé en 1886 par l'Américain Ottmar Mergenthaler), surtout utilisé par la presse, la frappe des touches d'un clavier assemblait et justifiait mécaniquement des matrices – et non des caractères – dans lesquelles était envoyé un jet de « métal typographique » (le plomb). Les lignes-blocs qui en résultaient étaient fondues chacune d'un seul tenant. Avec le procédé Monotype (dû à un autre Américain, Tolbert Lanston), préféré par l'édition, la frappe d'un clavier délivrait une bande de papier perforé, dont le décodage par une machine fondeuse permettait de fabriquer des lettres séparées assemblées ligne par ligne. Les composeuses-fondeuses produisaient, selon les corps, entre 5 000 et 9 000 signes à l'heure, contre 1 000 à 1 400 en composition manuelle.

LES PROCÉDÉS D'IMPRESSION
LA DIVERSIFICATION DES TECHNIQUES
Après l'imprimerie typographique, première en date et dont les formes sont constituées par des éléments imprimants en relief, d'autres procédés sont nés, répondant à des besoins nouveaux ou issus de possibilités nouvelles : la taille-douce, l'eau-forte et leurs dérivés, où les éléments imprimants sont en creux ; la lithographie, où éléments imprimants et non imprimants sont sur le même plan. La photographie a donné naissance à la photogravure et a permis de compléter les procédés manuels de dessin, de gravure, de composition, par des procédés photomécaniques, lesquels ont rendu possible l'impression d'illustrations en noir et en couleurs. Nouveaux venus depuis le début du xxe s., l'offset et l'héliogravure ont pris une rapide extension. Aujourd'hui, cependant, l'électronique bouleverse les méthodes traditionnelles des industries graphiques, et la vitesse d'exécution devient sans commune mesure avec les possibilités humaines. Le ruban perforé, la bande magnétique et le film remplacent le plomb. Le caractère immatériel enregistré sur ordinateur succède au caractère métallique. Une seule photocomposeuse de troisième génération absorbe la production d'une centaine de clavistes. Un ordinateur peut d'ores et déjà assurer la présentation définitive d'un texte, voire réaliser diverses maquettes de mise en pages selon un programme préétabli. Seul le produit fini, c'est-à-dire l'imprimé, ne risque pas de disparaître.

L'ÉVOLUTION DU SECTEUR
À ses débuts, l'imprimerie intègre toutes les fonctions, de l'édition à la librairie. Puis apparaissent des imprimeries effectuant à façon les travaux que leur confient les éditeurs. La production se divise ensuite en travaux dits « de labeur », ou impression de livres, et en travaux « de ville », représentés par le reste du marché. Au xixe s. vient s'ajouter la presse. Les entreprises se chargent encore de toutes les opérations, de la composition au façonnage.
De nos jours, la diversification s'est accrue, certaines entreprises n'assurant parfois qu'une seule de ces fonctions, si bien que l'ensemble des activités techniques qui ont pour but la production d'un imprimé est plutôt désigné sous l'expression d'« industries graphiques », le terme « imprimerie » étant réservé à une entreprise qui s'occupe surtout (parfois exclusivement) de l'impression.

DE LA TAILLE DOUCE AUX TECHNIQUES CONTEMPORAINES

LA TAILLE DOUCE

Maso Finiguerra (1426-1464) appliqua pour la première fois la gravure en creux à l'imprimerie, en remplissant d'encre les tailles d'une plaque d'argent gravée et en imprimant, grâce à cette forme, une image représentant le Couronnement de la Vierge. Depuis, on a donné le nom de « taille-douce » à l'ensemble des procédés de gravure manuelle en creux.
La gravure en creux, ou taille-douce, devint à la Renaissance le mode d'illustration préféré du livre; elle succède au relief du bois de fil, qui ne permettait pas une finesse d'exécution suffisante. Ce type d'impression est l'inverse de celui de la gravure sur bois en relief. Il faut ajouter que la métallurgie du cuivre, support habituel de la taille-douce, la favorisa grandement en substituant les planches laminées, d'épaisseur enfin uniforme, aux précédentes, simplement coulées et battues.

Christophe Plantin, à Anvers, fut l'un des premiers à promouvoir la taille-douce, à partir de 1559 (avec l'ouvrage la Magnifique et Somptueuse Pompe funèbre, faite aux obsèques de Charles Cinquième, célébrées en la ville de Bruxelles) en faisant appel à des graveurs de grande renommée.
Deux méthodes sont employées pour graver le cuivre, qui est le métal utilisé presque exclusivement en taille-douce : l'outil peut être un burin dont l'arête tranchante entame fortement le métal, ou une pointe sèche, stylet d'acier ou de diamant, qui ne laisse dans le cuivre qu'un léger sillon, ou le procédé à l'eau-forte.
Quand la gravure est réalisée par voie chimique, la plaque de cuivre est recouverte préalablement d'un vernis. Puis le graveur, avec une pointe, met le métal à nu sans l'entamer. La plaque est ensuite plongée dans un bain d'acide (eau-forte) qui va creuser dans le cuivre les zones que la pointe a dénudées. D'autres techniques sont utilisées : l'aquatinte, le lavis, le procédé au sucre…
Ce procédé avait pour inconvénient majeur la nécessité d'une impression sur deux presses : l'une, typographique, pour le texte ; l'autre, chalcographique, pour les illustrations. Les presses de taille-douce ressemblent à un laminoir, dans lequel passe la plaque recouverte par la feuille à imprimer. Une servitude de la taille-douce est qu'elle nécessite avant impression l'essuyage de l'encre compacte dont on recouvre toute la surface de la plaque – faute de pouvoir faire autrement – car elle ne doit subsister que dans les tailles de la gravure. C'est là, en effet, que le papier d'impression ira la recueillir.
La taille-douce est restée, jusqu'au xixe s., le procédé d'illustration le plus apprécié. Aujourd'hui elle est réservée aux ouvrages de bibliophilie (livres de grand luxe tirés en nombre limité).

LES TECHNIQUES CONTEMPORAINES

Procédés d'impression
    
Cinq procédés d'impression (lithographie, offset, héliogravure, flexigraphie et sérigraphie) se partagent aujourd'hui le marché des industries graphiques. La typographie utilise des caractères typographiques pour le texte et des clichés pour les illustrations. La mise au point, vers 1900, de l'impression en offset a progressivement déstabilisé le secteur d'activité de la typographie, qui ne représente plus qu'une très faible part du marché. Elle est encore utilisée pour l'impression de livres de bibliophilie et pour les travaux de ville.

Le procédé lithographique fut inventé par l'Autrichien Aloys Senefelder, en 1796. C'est un procédé physico-chimique fondé sur l'antagonisme qui existe entre l'eau et les corps gras. La forme imprimante est une pierre calcaire parfaitement plane (la pierre litho est du calcaire très fin). Sur sa surface poreuse, extrêmement homogène, on dessine ou on reporte à l'envers l'image à reproduire, à l'aide d'une encre spéciale dont les acides gras se combinent chimiquement au calcaire. On fixe ensuite ce report avec une solution d'acide nitrique et de gomme arabique. La presse lithographique fonctionne comme une presse typographique à système plan contre cylindre. Lors de l'impression, la forme passe d'abord au contact de rouleaux mouilleurs : l'humidité est « repoussée » par les parties dessinées, et « acceptée » par la surface des parties non imprimantes. La forme passe ensuite au contact des rouleaux encreurs, dont l'encre, qui n'adhère pas aux parties mouillées, se dépose sur l'image. Celle-ci se reporte alors à l'endroit sur une feuille de papier entraînée par le cylindre de pression. Les pierres lithographiques, lourdes et encombrantes, furent remplacées par du zinc, car ce métal présente pour l'imprimerie des propriétés analogues à celles du calcaire. Vers 1880, on construisit des presses lithographiques rotatives, dans lesquelles la plaque de zinc cintrée était accrochée sur un cylindre porte-forme.
En 1904, l'Américain Ira Rubel, laissant passer un tour sans feuille sur sa presse litho, constate que l'habillage de caoutchouc du cylindre de contre-pression donne une impression très convenable au verso de la feuille suivante : c'est grâce à cette fausse manœuvre qu'est né le procédé offset. L'impression en offset ne diffère que très peu de l'imprimerie litho : la feuille est imprimée par l'intermédiaire d'un cylindre recouvert de caoutchouc (cylindre porte-blanchet). L'image, à l'endroit sur la forme, se reporte à l'envers sur le blanchet, pour se décalquer finalement à l'endroit sur la feuille. La photogravure offset obéit aux mêmes principes que la photogravure typographique, mais les points de trame offset ne sont plus soumis à l'écrasement. L'offset est le mode d’impression le plus répandu en publicité, mais aussi dans l'impression des livres, des revues et même des journaux.

L'héliogravure utilise un procédé dont les formes imprimantes sont des cylindres recouverts d'une pellicule de cuivre, déposée par voie électrolytique, dans laquelle sont gravés en creux les éléments imprimants. Le parc des presses d'héliogravure n'est pratiquement constitué que de rotatives. Le traitement des cylindres nécessite des installations lourdes et complexes qui font appel aux technologies de la gravure assistée par ordinateur. Le coût élevé de la gravure ne peut être amorti que par des tirages très élevés : catalogues de V.P.C., hebdomadaires, etc.
Dans la flexographie, les formes imprimantes sont en relief et sont constituées de clichés souples, en caoutchouc ou en plastique ; ce procédé est surtout exploité en continu sur des rotatives. Les solvants de l'encre fluide sont très volatils et le séchage s'effectue par évaporation, ce qui permet d'imprimer sur des supports non absorbants, tels les plastiques souples utilisés dans les secteurs de l'emballage.
La sérigraphie, enfin, est un procédé exploitant le principe du pochoir. La forme imprimante est constituée d'un cadre, fermé par un écran en soie, à l'origine (d'où son nom), et maintenant en Nylon. Les entreprises spécialisées vont de l'imprimerie artisanale aux unités les plus industrialisées. L'impression des autoadhésifs sur les plastiques, celle des habillages de matériel technologique sont des secteurs privilégiés de la sérigraphie, qui permet aussi d'imprimer sur des volumes (tubes, ampoules, etc.). → photocomposition

 

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gothique (bas latin gothicus)

 

 

 

 

 

 

 

gothique
(bas latin gothicus)

Consulter aussi dans le dictionnaire : gothique
Cet article fait partie du dossier consacré au style.
Se dit d'une forme d'art qui s'est épanouie en Europe du xiie s. jusqu'à la Renaissance.

BEAUX-ARTS
1. INTRODUCTION

Le mot gothique apparaît au xvie s. pour qualifier l'architecture médiévale du nord des Alpes par opposition aux formes classiques reprises de l'Antiquité par la Renaissance italienne. De nos jours encore, le gothique se définit mieux dans l'architecture que dans les autres domaines de l'art.

Caractérisé par l'emploi de l'arc brisé, joint à la voûte sur croisée d'ogives et à l'arc-boutant, il s'étend du milieu du xiie s. au début du xvie s.
Il est plus malaisé de le définir dans la peinture, qui ne devient réellement gothique qu'au xiiie s. et qui, dès 1400, au moins en Italie, s'en éloigne. En fait, l'art gothique, qui s'est développé dans toute l'Europe occidentale, n'est pas apparu partout au même moment. Il a évolué différemment selon les contrées.

2. LE PREMIER ART GOTHIQUE

Apparu tout d'abord dans l'architecture, l’art gothique est lié à l'abbé Suger et voit son éclosion à l'église de Saint-Denis, près de Paris. C'est là que, pour la première fois, vers 1140, il s'affirme avec maîtrise.

2.1. L’ABBATIALE DE SAINT-DENIS
Les parties basses du chœur de Saint-Denis mettent en œuvre voûtes sur croisée d'ogives, supports minces et arcs brisés, plus résistants que les arcs en plein cintre. L'abbé Suger privilégie ces moyens novateurs car pour lui l'église doit être sur terre le reflet de l'église céleste, demeure du Seigneur. Et cette évocation céleste ne peut être rendue que par la lumière, qui pénètre abondamment dans les structures minces par l'intermédiaire des vitraux, mode d'expression majeur de la peinture à l'époque gothique. La préférence accordée aux nouvelles techniques satisfait également un désir de clarification, comme l'a montré Erwin Panofsky. On est alors à l'âge de la scolastique et l’on aime argumenter, définir, classer. Les procédés gothiques de construction permettent de fait de donner une grande lisibilité aux structures, de souligner, par le graphisme des colonnes, des chapiteaux et des moulures, les lignes de force des supports et leurs prolongements sous les voûtes dans le jeu des ogives et des doubleaux, la division des travées et la séparation stricte des étages. Cette même clarté reparaît dans la répartition des sculptures aux portails : statues-colonnes, voussures, trumeau, linteau, tympan.
C'est à Saint-Denis que se manifeste avec évidence cet esprit nouveau. Pourtant, la voûte sur croisée d'ogives était employée depuis la fin du xie s. en Angleterre et en Normandie, et l'arc brisé était d'un usage courant dans la Bourgogne romane. La création de l'art gothique tient à ce que, par le moyen de techniques éprouvées et associées, Saint-Denis exprime un style nouveau de légèreté, de lumière et de clarté logique, qui rompt avec la robustesse, le schématisme et parfois la confusion de l'art roman.

2.2. LE PORTAIL ROYAL DE CHARTRES
Contemporain de Saint-Denis, le portail royal de Chartres, mieux conservé que la façade de l'abbatiale de Suger, montre dans une majesté grandiose et dans une composition rigoureuse la plénitude de la vision gothique dans la sculpture. C'est une vaste synthèse iconographique, le « miroir du monde », selon l'expression d'Émile Mâle, reprise des auteurs du xiiie s., où toutes les images de l'univers céleste et terrestre s'ordonnent hiérarchiquement autour du Christ triomphant, dans un accord parfait avec la structure architecturale des portes.

2.3. DIFFUSION ET ÉVOLUTION DES MODÈLES
La sculpture de Chartres est rapidement imitée en Île-de-France et sur la Loire tandis que le chevet de Suger, à doubles bas-côtés et chapelles rayonnantes juxtaposées, connaît une longue descendance (cathédrale de Noyon, abbatiale de Saint-Germain-des-Prés).

SENS
La cathédrale de Sens est le premier grand édifice entièrement gothique construit dans le milieu du siècle. Elle utilise les voûtes d'ogives sexpartites, mises au point en Normandie dès les années 1120, et emploie l'alternance des supports, colonnes jumelles et piles composées. Son élévation est à trois étages, comme, plus tard, les cathédrales du xiiie s. Dépourvue de transept à l'origine, sa relative simplicité contraste avec la complexité des édifices de la seconde moitié du siècle.

NOYON ET LAON
En effet, des cathédrales comme celles de Noyon et de Laon multiplient alors les étages d'ouvertures, arcades, tribunes, triforium, fenêtres hautes, et adoptent des transepts étendus. Dans cette région du nord-est de la France se développe un grand foyer d'architecture dans la seconde moitié du xiie s. À Laon est utilisé pour la première fois de façon systématique le triforium-galerie de passage, qui allait être un des traits distinctifs des grandes cathédrales.

REIMS
Saint-Remi de Reims illustre particulièrement la recherche de lumière, multipliant les fenêtres à la façade et au chevet, creusant les murs de passages et faisant jouer les colonnes pour accentuer la plasticité des formes. Le mur, qui fait alterner pénombre et luminosité, devient diaphane, selon l'expression de Hans Jantzen. Ce mur « modelé » reparaît aux transepts de Noyon et de Soissons, et essaime vers l'Angleterre et vers la Bourgogne jusqu'à Lausanne.

PARIS
Notre-Dame de Paris appartient aussi dans son ensemble à cette époque. Primitivement dotée de quatre étages, couverte de voûtes sexpartites, elle a abandonné l'alternance au profit d'une continuité plus sobre des travées. Dans cette église, on projette de construire la nef en l'étayant d'arcs-boutants. Ce système de contre-butement, typiquement gothique, a d’abord été expérimenté à Mantes, à Saint-Remi de Reims, peut-être à Saint-Germain-des-Prés, mais c'est à partir des années 1180 qu'on comprend tout le parti qu'on peut en tirer pour supprimer les tribunes et accroître encore la lumière intérieure par l'agrandissement des fenêtres hautes.

ANGERS
L'art gothique s’y montre également précoce. Dès le milieu du xiie s., la cathédrale adopte la croisée d'ogives sur plan carré, sous des voûtes bombées comme des coupoles.

POITIERS
À Poitiers, on entreprend une cathédrale à trois vaisseaux à peu près de même hauteur, avec un chevet plat, des supports légers, sans étages ni arcs-boutants, et avec des voûtes bombées recoupées de nervures perpendiculaires, ou liernes.

BOURGOGNE ET CHAMPAGNE
Les Cisterciens, en Bourgogne et en Champagne, utilisent de bonne heure l'arc brisé et la voûte sur croisée d'ogives. L'abbatiale de Pontigny, dans l'Yonne, en demeure un des meilleurs exemples.

3. LE STYLE 1200
Autour de 1200 apparaît dans les arts figurés un style souple et fluide, éloigné de la rigueur gothique, qui plonge ses racines dans un lointain passé teinté de nostalgie pour l'art antique et paléochrétien. Son grand maître est un orfèvre lié au milieu mosan, Nicolas de Verdun, qui tire du métal des figures puissamment modelées sous leur drapé « mouillé », à la châsse de Notre-Dame de Tournai comme à l'ambon de Klosterneuburg (près de Vienne).
La seconde Bible de Winchester annonce ce courant particulier dans la peinture, qui se manifeste dans le psautier d'Ingeburge (Chantilly) et dans les vitraux de Laon.
La sculpture sur pierre du nord-est de la France en porte la marque à Saint-Remi de Reims, à la cathédrale de Laon, et les statues de la Visitation de la cathédrale de Reims en constituent une image tardive et sans suite, en raison du triomphe de l'art proprement gothique.

4. L'ÂGE DES GRANDES CATHÉDRALES
4.1. LA CATHÉDRALE DE CHARTRES

Toutes les expériences architecturales du xiie s. aboutissent à l'éclosion d'un chef-d'œuvre, la cathédrale de Chartres, qui fut reconstruite, à l'exception de la façade, après l'incendie de 1194. Elle confirme les recherches antérieures : les murs sont articulés très lisiblement, sans alternance. Les voûtes sont quadripartites. Les piles, composées, se plantent de biais pour répondre aux diagonales des ogives et engendrent ainsi un dynamisme ignoré des premières œuvres gothiques. Le triforium-passage, dernière zone d'ombre, se situe entre des arcades et des fenêtres composées d'importance égale, dans un équilibre parfait. Chartres abandonne la tribune, la voûte sexpartite, les effets de passage dans les murs pour la sobriété des travées simples à trois étages. C'est une œuvre classique dans la mesure où classicisme signifie équilibre, mesure et simplicité. Les arcs-boutants règnent en maîtres à l'extérieur, hérissé de tours, décoré de porches, dont la richesse un peu lourde s'oppose à l'harmonie paisible de l'ordonnance interne.
Contemporaine de Chartres, au moins pour le chevet, la cathédrale de Soissons révèle les mêmes qualités. Un peu plus jeune, la cathédrale de Reims est l'héritière directe de Chartres, avec plus de raffinement et d'élancement, et une façade sculptée incomparable.

4.2. LA CATHÉDRALE DE BOURGES

La cathédrale de Bourges, contemporaine de Chartres, montre la richesse d'invention du xiiie s. Son vaisseau central, sans transept, est assis sur des piles très élevées. À travers les arcades, on voit l'étagement des doubles collatéraux, de hauteur différente. Il en résulte un espace intérieur prodigieux. Le Maître de Bourges ne renonce ni aux voûtes sexpartites, ni au jeu des colonnes, qui articulent fortement les murs dans une alternance savante, et cette plasticité se maintient en Bourgogne, à Auxerre, à Notre-Dame de Dijon.

4.3. LE GOTHIQUE EN NORMANDIE
La Normandie se convertit à l'art gothique à la fin du xiie s., à Fécamp, à Lisieux, et, à partir du chevet de Saint-Etienne de Caen, crée un art original, aux arcs très aigus et très moulurés, aux murs percés de nombreux passages. Cette architecture s'épanouit avec les cathédrales de Rouen, de Coutances, de Bayeux et, plus tard, de Sées. Il faut y rattacher la Merveille du Mont-Saint-Michel, bâtie de 1203 à 1228, et aussi le chevet de la cathédrale du Mans.

4.4. DIFFUSION DE L’ART GOTHIQUE
L'ordre cistercien, en pleine expansion, exporte l'architecture gothique vers l'Italie, à Chiaravalle Milanese ou à Fossanova, vers l'Allemagne, à Eberbach ou à Maulbronn, vers l'Espagne, à Poblet ou à Veruela, vers le Portugal, à Alcobaça, vers l'Angleterre, à Fountains Abbey ou à Rievaulx.

Mais, indépendamment des fondations cisterciennes, l'Angleterre élabore rapidement une nouvelle architecture. L'art gothique apparaît au chœur de la cathédrale de Canterbury, construit en 1175 sous la direction de Guillaume de Sens. Le chœur de Chichester, la cathédrale de Lincoln, à l'aube du xiiie s., montrent des caractères proches de l'art normand, mais y ajoutent la polychromie des marbres noirs de Purbeck sur fond de calcaire blanc, accentuent la profondeur des murs et adoptent des plans très allongés, le plus souvent à chevet plat. La tour-lanterne, comme en Normandie, domine au-dessus des longues toitures, où les arcs-boutants se dissimulent volontiers, à l'inverse des contre-butements français. La cathédrale de Salisbury, commencée en 1220, consacre ce nouveau style.

4.5. ÉPANOUISSEMENT DE LA SCULPTURE
Pendant que s'élèvent les cathédrales, la sculpture sur pierre envahit les façades. Le portail de la cathédrale de Senlis, à la fin du xiie s., avec son Triomphe de la Vierge, repris à Chartres et à Paris, marque un tournant et révèle un style plus humanisé que celui du portail royal de Chartres, tout en restant monumental. Cette sculpture calme, noble et sereine s'affirme aux six portes du transept de Chartres, dans les tympans comme dans les statues des apôtres, des martyrs et des confesseurs des ébrasements ou dans le Beau Dieu du trumeau de la porte du Jugement dernier. Le saint Firmin et le Beau Dieu d'Amiens, le Jugement dernier de Notre-Dame de Paris, le Beau Dieu de la cathédrale de Reims illustrent aussi cet art de haute qualité.

5. LE GOTHIQUE RAYONNANT
Vers 1230-1240, le domaine capétien, déjà si riche en expériences, donne naissance au style rayonnant, qui conquiert, grâce au prestige de la royauté française, l'Europe occidentale et se continue jusque dans le courant du xive s.

5.1. ARCHITECTURE
Ce style demeure gothique dans sa structure et ses procédés, mais il rompt avec l'équilibre instauré à Chartres, par une recherche de plus grande unité spatiale, obtenue par des ouvertures plus vastes au rez-de-chaussée, afin de faire communiquer vaisseau central et bas-côtés, et par des volumes plus ramassés et plus concentrés, qui réduisent le transept ou le déploiement du chevet. La lumière efface les dernières zones d'ombre grâce au vitrage des triforiums ou à leur suppression. L'articulation des murs tend à disparaître dans l'amenuisement des supports, qui se fondent dans un riche décor continu au triforium et plus encore aux fenêtres hautes, décomposées par leurs remplages en séries de lancettes surmontées de trilobes, de quatre-feuilles et de roses. Le réseau des fenêtres se poursuit à l'extérieur et couvre de ses motifs contreforts et arcs-boutants.

FRANCE

Le gothique rayonnant se manifeste à Notre-Dame de Paris dans les chapelles latérales et aux deux roses du transept, à meneaux « rayonnants », œuvres de Jean de Chelles et de Pierre de Montreuil. Il apparaît aussi au transept et à la nef de Saint-Denis ainsi qu'à la cathédrale d'Amiens, commencée en 1220 par Robert de Luzarches. Dans cet édifice, la nef rompt avec les proportions chartraines ; l'évolution est plus nette au chevet bâti par Thomas et Renaud de Cormont : le triforium s'y ajoure, se couronne de gables, se mêle au réseau des fenêtres.
La Sainte-Chapelle de Paris (1241-1248) est sans doute l'exemple le plus connu de cet art. C'est à la fois un édifice et un reliquaire. L'étage supérieur n'est plus qu'un espace unique, ouvert de toutes parts à la lumière ; il faut un effort pour retrouver dans la succession des fenêtres la structure architecturale.
Les cathédrales de Troyes, de Tours, la nef de la cathédrale de Strasbourg (tout comme, en Europe, la cathédrale de Cologne et l'abbatiale de Westminster) diffusent le style rayonnant, qui supplante les inventions régionales : en Champagne, à Saint-Urbain de Troyes ; en Bourgogne, à Saint-Bénigne de Dijon ; en Normandie, à Évreux et à Saint-Ouen de Rouen. Il s'étend dans le Sud : à Saint-Nazaire de Carcassonne, dans les églises bâties par Jean Deschamps (1218 ?-1295) [Clermont, Limoges] et plus tard à La Chaise-Dieu.

EUROPE

L'Angleterre, malgré l’exemple de Westminster, reste fidèle à ses traditions et adapte les éléments rayonnants, surtout connus dans les milieux de la cour de Londres, à ses créations propres. C'est l'époque du style décoré – decorated style – , qui se poursuit jusqu'au milieu du xive s. à travers les cathédrales d'Exeter, de Winchester, d'York, la nef de Canterbury et l'extraordinaire tour-lanterne octogonale en bois d'Ély.
L'Allemagne, longtemps réticente à l'architecture gothique, l'accepte au xiiie s. à Mayence, à Trèves (Notre-Dame), à Marburg (Elisabethkirche). Après 1250, les cathédrales de Strasbourg et de Cologne imposent le style rayonnant, puis, très vite, s'élaborent des formules originales, comme la tour unique de la façade de la cathédrale de Fribourg-en-Brisgau.
L'art gothique s'étend aussi vers le nord : à l'église des saints Michel et Gudule de Bruxelles et jusqu'au Danemark et en Suède.
Vers le sud, il s'implante en Espagne, à Ávila, à Burgos, à Tolède, à León, mais il s'y mêle un décor très particulier : l'art mudéjar, qui emprunte à l'islām, florissant dans le Sud, ses motifs et ses procédés.
L'architecture gothique se rencontre aussi en Italie, adoptée par les ordres mendiants à San Francesco d'Assise et à Bologne, plus tard à Santa Croce de Florence. La cathédrale de Sienne appartient au gothique du xiiie s. dans sa majeure partie, mais avec une polychromie de marbres dans la tradition locale. À la cathédrale d'Orvieto, un peu après, les architectes dressent une façade garnie de gables gothiques, mais ne voûtent pas l'intérieur, manifestant ainsi un refus des procédés gothiques et un retour à l'art paléochrétien.

5.2. SCULPTURE
En même temps que l'architecture, la sculpture évolue. Dans la flore des chapiteaux apparaissent des feuillages et des fleurs directement inspirés de la nature (Notre-Dame de Paris, Sainte-Chapelle, cathédrale de Reims). Les statues s'animent, s'isolent et se font expressives : apôtres à l'intérieur de la Sainte-Chapelle, saint Joseph et l'ange au sourire de Reims.
Ces sculptures eurent un grand succès et une suite : par exemple avec la Vierge dorée du transept d'Amiens, aux portails de Bourges, à Strasbourg dans les statues de l'Église et de la Synagogue, des Vierges sages et des Vierges folles, à Mayence et, au-delà du Rhin, avec le Cavalier de Bamberg et, à un degré moindre, à Naumburg dans les célèbres statues des fondateurs. La beauté de ces sculptures s'exprima avec une rare délicatesse dans les ivoires parisiens.
L'influence de la sculpture française se sentit jusqu'en Italie, chez Giovanni Pisano, fils de Nicola, qui allia la plastique gothique aux traditions des reliefs antiques, avec une agitation dramatique, à la cathédrale de Sienne et à Pise.

5.3. PEINTURE
La peinture française fut dominée par l'art du vitrail à Chartres, à Bourges ou à la Sainte-Chapelle. Son ascendant fut tel que les miniatures, comme celles du Psautier de Saint-Louis (Bibliothèque nationale), adoptèrent pour cadres les réseaux des verrières. Les châsses, telles celle de saint Taurin à Evreux et celle de sainte Gertrude à Nivelles, prirent la forme d'une église couverte de fenestrages. Même les portails, comme celui de Saint-Etienne à Sens, se décorèrent de réseaux rayonnants.
En Italie, Giotto, à l'aube du xive s., renouvela la peinture italienne, la dégagea des traditions byzantines, lui insuffla une monumentalité et une puissance plastique qui montrent des contacts avec la sculpture des cathédrales françaises, mais aussi un retour aux valeurs antiques, à l'Arena de Padoue comme à Santa Croce de Florence. Aucun peintre, au nord des Alpes, vers 1300, ne peut être comparé à Giotto, mais on trouve des ateliers d'enlumineurs, notamment à Paris, autour du maître Honoré.

6. LE XIVe S. JUSQUE VERS 1380

On admet généralement que le style rayonnant se poursuit au cours de la majeure partie du xive s. En fait, c'est une époque encore mal étudiée, qui révèle le développement de particularismes locaux, voire nationaux, jusqu'à l'éclosion du style international à la fin du siècle.

6.1. ARCHITECTURE
ARCHITECTURE RELIGIEUSE
Les constructions d’églises se poursuivent (Auxerre, Rodez, église des Jacobins de Toulouse, cathédrale d’Albi).
Les rois de Majorque édifient une immense cathédrale à Palma, tandis qu'à l'autre extrémité de la Méditerranée les Lusignan élèvent la cathédrale de Famagouste.
L'Allemagne construit des églises en brique dans le Nord et répand dans le Sud les églises-halles à trois vaisseaux de même hauteur, dont le premier exemple est l'église de Schwäbisch Gmünd, commencée vers 1320. C'est là que débutent les Parler, dynastie d'architectes du xive s., qui s'illustrent au chœur de Fribourg-en-Brisgau, à celui de la cathédrale de Bâle, à la façade de Strasbourg et à Prague.

ARCHITECTURE CIVILE
L'architecture civile, surtout militaire au xiiie s., se développe dans les édifices publics des pays de civilisation urbaine : Palazzo Vecchio de Florence, Palais public de Sienne (bâti de 1297 à 1310), halle aux draps de Bruges (xiiie-xve s.).
En France, on fonde des villes nouvelles dans le Sud-Ouest, telles les bastides au tracé régulier de Monpazier ou de Grenade-sur-Garonne, on bâtit des ponts, comme le pont Valentré de Cahors, on construit des hôpitaux, comme celui de Tonnerre.
L'aspect le plus frappant de l'architecture civile du xive s. est le développement des châteaux et des demeures princières, de plus en plus accueillants, parce que, a-t-on dit, les progrès de l'artillerie rendent inutiles les lourdes défenses, mais aussi à cause de l'évolution des goûts et des mœurs. À Paris, on peut encore voir la grande salle basse du Palais, qui remonte à l'époque de Philippe le Bel, et, aux portes de la capitale, le château de Vincennes, où naquit Charles V.
Le Palais-Vieux des papes d'Avignon, construit avant 1346 par Pierre Poisson, est encore une forteresse ; le Palais-Neuf, achevé en 1360, avec sa salle de la Grande Audience et sa chapelle, est caractéristique d'un nouveau luxe, où se rencontrent influences italiennes et nordiques.

6.2. SCULPTURE
Dans les dernières années du xiiie s. s'établit un important chantier de sculpture à Notre-Dame de Paris pour le décor de la clôture du chœur. Mais la statuaire devient l'apanage des mécènes : statues de Vierges et de saints commandées par Enguerrand de Marigny pour Écouis ; œuvres de Jean Pépin d'Huy exécutées pour Mahaut d'Artois ; Vierge reliquaire du Louvre, objet précieux d'orfèvrerie et d'émaux fait à la demande de la reine Jeanne d'Évreux. Cette figure montre la grâce mélancolique que l'on retrouve sur les innombrables madones de pierre du xive s., le regard perdu, l'attitude « hanchée » pour accentuer la souplesse alanguie de la forme. Leur préciosité linéaire, souvent un peu sèche, se répète dans les gisants et se combine au réalisme des portraits funéraires, qui font leur apparition par exemple au tombeau des entrailles de Charles IV et de Jeanne d'Évreux par le sculpteur Jean de Liège.

6.3. PEINTURE
ITALIE
Dans la peinture, à Sienne, dès les premières années du xive s., Duccio allie dans sa fameuse Maestà les fonds d'or et l'irréalité byzantine à une notation subtile, fluide de l'espace, à des tons précieux, à une écriture souple. Simone Martini, auteur du Condottiere da Guidoriccio da Fogliano du Palais public de Sienne, est son héritier et se trouve à Avignon en 1340 pour décorer la porte de Notre-Dame-des-Doms. Matteo Giovannetti poursuit l'œuvre de Simone à Avignon, dans le décor du Palais-Neuf et à la chartreuse de Villeneuve. À Sienne même, les Lorenzetti cherchent une nouvelle expression de l'espace en développant les cadres architecturaux à l'intérieur de leurs peintures ainsi que les vastes premiers plans derrière lesquels se dressent des figures gracieuses.

FRANCE
En France, à Évreux et à Saint-Ouen de Rouen, les admirables vitraux à grands personnages surmontés de dais s'éclairent de jaune d'argent et scintillent sur des fonds de grisaille.
À Paris, Jean Pucelle, auteur, avec son atelier, des miniatures de la Bible de Robert de Billiyng (1327) et du Bréviaire de Belleville conservés à la Bibliothèque nationale, s'impose. Ses tons nuancés, son graphisme raffiné ne peuvent s'expliquer sans des contacts directs avec la peinture siennoise, mais, en même temps, il met à la mode les petites scènes naturalistes, qui se répandent dans les marges et dont l'art parisien avait déjà donné quelques exemples.

6.4. IMPORTANCE DU MÉCÉNAT PRINCIER
Les parents de Charles V, Jean le Bon et Bonne de Luxembourg, donnent l'exemple du mécénat princier. Le portrait de Jean le Bon (Louvre), peint peut-être par Girard d'Orléans, est le premier tableau de chevalet et le plus ancien portrait dans la peinture française. C'est aussi Jean le Bon qui commande la Bible de Jean de Sy (Bibliothèque nationale). C'est dans ce milieu royal que se forme le goût de Charles V pour le mécénat, de même que celui de son oncle, l'empereur Charles IV de Bohême, et celui de ses frères, les ducs d'Anjou, de Berry et de Bourgogne.
S'il ne reste rien du Louvre de Charles V, construit par Raymond du Temple, on connaît au moins un grand sculpteur de son temps, André Beauneveu, chargé de sculpter les tombeaux des premiers Valois, Philippe VI, Jean le Bon et Charles V, pour la nécropole royale de Saint-Denis. Son art réagit contre la sophistication des statues du début du siècle par un retour à la monumentalité et à la sobriété.
Charles V s'adressa à un autre sculpteur, anonyme, pour dresser deux statues de Saint Louis et de Marguerite de Provence à la porte d'une église de Paris. L'artiste les figura sous les traits de Charles V et de son épouse dans un style aussi dépouillé que celui de Beauneveu, avec encore plus de sensibilité dans l'expression de vive intelligence du roi. Ces deux statues, aujourd'hui au Louvre, ont été rapprochées des belles effigies de Jean de Berry, de sa femme, de Charles VI et d'Isabeau de Bavière qui décorent la cheminée de la Grande Salle du palais de Poitiers.
Charles V collectionnait les livres dans sa « librairie » du Louvre et fit travailler de nombreux peintres. Les Grandes Chroniques de France (Bibliothèque nationale) en gardent le souvenir, mais plus encore le Parement de Narbonne (Louvre), toile dessinée à l'encre, sur laquelle figurent Charles V et la reine en donateurs. C'est aussi à la fin du règne de Charles V qu'appartiennent les tapisseries de l'Apocalypse d'Angers, commandées par Louis Ier d'Anjou au lissier parisien Nicolas Bataille et au peintre Hennequin de Bruges. Il ne faudrait pas oublier que Charles V fut aussi amateur d'objets précieux. Son sceptre, au Louvre, très restauré, et la coupe du British Museum, décorée d'émaux, en restent des vestiges.
Un autre foyer se développe à Prague dans l'entourage de la cour de Bohême. Charles IV fait construire la cathédrale par Mathieu d'Arras, puis par Peter Parler. Toute une école d'enlumineurs illustre de remarquables manuscrits, comme le Passionnaire de l'abbesse Cunégonde, vers 1320, ou le Missel de Jean de Streda (Johann von Neumarkt), après 1350. Le Maître de Vyšší Brod peint tout un cycle sur panneaux, et, un peu plus tard, Maître Théodoric décore la chapelle du château royal de Karlštejn, de cent vingt-neuf peintures de saints et de prophètes. Ses figures sont massives et en même temps d'un dessin mou, qui, contrairement aux tendances générales de l'art du xive s., cède la prééminence à la couleur.

7. LA FIN DU MOYEN ÂGE
La seconde moitié du xive s. voit l'avènement de nouveaux styles dans l'architecture.

7.1. ARCHITECTURE
LE STYLE PERPENDICULAIRE

C'est en Angleterre que prend place la naissance du style perpendiculaire, qui s'éloigne de l'art gothique. Ce style apparaît dès le milieu du xive s., au chœur de la cathédrale romane de Gloucester, dont les parois latérales disparaissent derrière un réseau de panneaux de pierre découpés en rectangles. Le fond du chœur est remplacé par une immense verrière à fenestrage perpendiculaire. Les voûtes en éventail du cloître adjacent, élevées un peu plus tard, ont des supports dissimulés dans des niches qui tapissent les murs. Des triangles convexes partent de ces murs, s'arrondissent et se rejoignent sous un plafond plat, qui ne rappelle plus rien de la croisée d'ogives. Une broderie de motifs en léger relief couvre toute la voûte. Ce style, né dans l'ouest de l'Angleterre avant 1400, s'étend avec une vigueur nouvelle après la guerre des Deux-Roses. Il se manifeste dans l'architecture civile, à Oxford, à Cambridge, au palais d'Eltham. Il reparaît dans l'architecture religieuse, à Peterborough, et dans les grandes entreprises royales du début du xvie s., à la chapelle d'Henri VII à Westminster, où les voûtes en éventail se combinent avec des clefs pendantes, au cloître Saint Stephen de Westminster, œuvre de William Vertue et de Henry Redman, à Saint George's Chapel de Windsor, à la Chapelle de King's Collège à Cambridge, par John Wastell.

LE GOÛT DE L’ORNEMENTATION
L'exubérance du décor se retrouve ailleurs, sous d'autres formes. Elle prend un aspect particulier dans la Péninsule Ibérique, car les éléments gothiques s'y allient aux motifs de l'islām. Les « chapelles imparfaites » de Batalha, au Portugal, dès le milieu du xive s., déploient une végétation de pierre foisonnante qui semble croître dans une atmosphère de luxuriance tropicale. Cette richesse se retrouve à Belém, à la tour-lanterne de la cathédrale de Burgos, à l'Alhambra de Grenade et au palais de l'Infant à Guadalajara.

LE STYLE FLAMBOYANT
L'art flamboyant, en France et dans les pays du Nord et de l'Europe centrale, aime aussi la richesse décorative. Ainsi nommé à cause de l'usage qu'il fait des courbes et des contre-courbes, articulées en « soufflets » et « mouchettes », il apparaît à la fin du xive s.
Gui de Dammartin, architecte de la Sainte-Chapelle de Riom, paraît en avoir été l'un des initiateurs. La structure des voûtes sur croisée d'ogives ne disparaît pas comme en Angleterre, mais les nervures se multiplient, s'entrecroisent, se recoupent avec une grande fantaisie et s'enrichissent de clefs pendantes. Le même esprit inventif préside aux plans et aux élévations des églises, tantôt à nef unique, tantôt à trois vaisseaux d'inégale hauteur, tantôt églises-halles. Les murs reprennent de l'importance entre les ouvertures. Les piles se creusent, ondulent, se modèlent d'arêtes à angles vifs et montent d'un seul jet jusqu'aux voûtes, dans lesquelles elles se fondent. Les fenêtres s'ornent de réseaux flamboyants. La brisure des arcs s'assouplit, s'abaisse en anse de panier, se redresse en accolade.

Aux portails, la statuaire disparaît presque, étouffée par les socles, les dais, les gables et les pinacles ajourés et fouillés. Les motifs végétaux, feuilles piquantes, choux frisés, se découpent en un relief aigu et tourmenté. Les balustrades, les arcs-boutants perforés et contournés accroissent encore cette luxuriance décorative, qui alterne avec des pans de mur nu. Cet art connaît une faveur particulière en Normandie et dans le nord-ouest de la France : à Gisors, à Louviers, à Lisieux, à Saint-Maclou de Rouen, à Saint-Pierre de Caen, au chœur du Mont-Saint-Michel, à Saint-Vulfran d'Abbeville, à Rue, à Saint-Riquier ; mais il se répand partout : à Chartres, à la flèche de Jean de Beauce ; à Paris, à Saint-Séverin et à Saint-Gervais ; dans l'Est, à Notre-Dame-de-l'Épine, près de Châlons-sur-Marne, à Saint-Nicolas-de-Port ; sur la Loire, à Vendôme et à Cléry ; en Bresse, à la somptueuse église de Brou ; dans le Sud, au porche de la cathédrale d'Albi.
Le style flamboyant apparaît aussi en Allemagne à la fin du xive s., à Ulm, sous la direction d'Ulrich von Ensingen, qui construit peu après la flèche de la cathédrale de Strasbourg, terminée par Johannes Hültz. Saint-Jacques de Liège, la cathédrale d'Anvers, l'église de Bois-le-Duc cèdent à l'exubérance du décor, tandis que Notre-Dame de Halle, les églises de Leyde et de Dordrecht conservent une grande sobriété.
L'architecture civile adopte aussi les nouvelles formes, à l'hôtel Jacques-Cœur de Bourges, au palais de Justice de Rouen ou aux hôtels de ville du Nord, de Douai, de Compiègne, de Bruxelles ou d'Oudenaarde, avec leurs orgueilleux beffrois. Le château de Tarascon, les premiers châteaux de la Loire, Langeais, Loches, Chaumont, Châteaudun, Amboise, rappellent ce que furent les demeures princières de la fin du Moyen Âge.

7.2. SCULPTURE

À la cour de Bourgogne, au moment même où fleurit le « gothique international », Claus Sluter, originaire de Haarlem, apporte une vigueur et un pathétisme neufs à la sculpture. À Dijon, le portail de la chartreuse de Champmol et le calvaire du cloître de celle-ci, plus connu sous le nom de « puits de Moïse », révèlent une impétuosité dramatique, une plasticité des vêtements gonflés et cassés aux pieds, une recherche d'expression pathétique. La violence et le sens théâtral de cet art transforment la sculpture du xve s., et son écho résonne jusque dans la peinture des grands maîtres flamands. En Bourgogne même, Claus de Werve (vers 1380-1439), Jacques Morel, Juan de La Huerta (?-vers 1462), Antoine Le Moiturier continuent l'œuvre de Sluter.
Les thèmes douloureux se répandent, comme celui de la Mise au tombeau, traité vers 1453 à Tonnerre par Jean Michel et Georges de La Sonnette. Ce thème est repris bien des fois, à Monestiès-sur-Cérou par exemple, à Solesmes à la fin du siècle, dans un décor déjà italien. La Pietà, ou Vierge de pitié qui reçoit sur les genoux le corps du Christ mort, est un autre sujet dramatique souvent représenté à la fin du Moyen Âge, comme le sont les Crucifixions tragiques. Parmi les grands ensembles sculptés, il faut citer les portails de la cathédrale de Rouen, où travaillent Pierre Desaubeaux, Roland Leroux et Nicolas Quesnel, les statues de la chapelle de Châteaudun et la clôture du chœur de la cathédrale d'Albi, où se mêlent des influences bourguignonnes et d'autres venues de la Loire. Dans cette dernière région, en effet, la véhémence de Sluter s'adoucit et l'élégance sereine des sculpteurs de l'entourage de Charles V persiste. Ces tendances se notent au tombeau d'Agnès Sorel à Loches, dans la sainte Madeleine de l'église Saint-Pierre de Montluçon ou la Vierge du Marthuret de Riom, et plus encore chez Michel Colombe (tombeau des parents d'Anne de Bretagne à la cathédrale de Nantes). La région de Troyes se rattache encore à l'art gothique au xvie s., avec le Maître de sainte Marthe (église Sainte-Madeleine de Troyes), dont on retrouve la sobre expression de douleur dans la Pietà de Bayel et les Mises au tombeau de Villeneuve-l'Archevêque et de Chaource ; la Lorraine aussi, avec Ligier Richier.
La sculpture italienne se tourne dès 1400 vers la Renaissance, mais, dans les pays germaniques, on sculpte des retables de bois, en Rhénanie à Oberwesel ou à Marienstatt, à la fin du xive s., en Autriche à Sankt Wolfgang, non loin de Salzbourg, en 1471-1481. Le retable de Cracovie, par Veit Stoss, celui de Creglingen, par Tilman Riemenschneider, sont célèbres. À Anvers, à Bruxelles, des ateliers de retables sculptés, fourmillant de personnages, connaissent un grand succès.
L'Espagne est prodigue de sculpteurs. Des étrangers y travaillent, mais un art particulier s'y développe, empreint d'une fierté et d'une dignité propres à la Péninsule. Il faut mentionner le tombeau de Jean II et d'Isabelle de Portugal à la chartreuse de Miraflores ou le retable de sainte Anne à la cathédrale de Burgos parmi de nombreuses œuvres d'excellente qualité.
En Angleterre, à côté des reliefs en albâtre un peu commerciaux, on rencontre de très beaux monuments de bronze, comme le tombeau de Richard Beauchamp, à Warwick, par William Austen.

7.3. PEINTURE

En peinture, à la suite du grand courant international de la fin du xive s., les artistes se distinguent par leur nombre et par leur valeur.
Dans les pays du Nord, c'est l'explosion de l'art flamand, dont il suffit de rappeler les principaux interprètes : Robert Campin, Van Eyck, Van der Weyden, puis Bouts, Van der Goes, Memling. Les recherches de profondeur spatiale, d'atmosphère transparente, de luminosité marquent cette peinture, qui se dégage du microcosme de l'enluminure, tout en conservant le goût du détail et de l'ornement. Les compositions religieuses, les portraits réalistes, l'univers fantastique de Jérôme Bosch se succèdent. La moisson des chefs-d'œuvre flamands du xve s. influence la production artistique des autres pays et se répercute jusqu'en Italie, dans les milieux florentins les plus évolués.
Cette influence est particulièrement sensible en Espagne – qu'a visitée Van Eyck – , chez Lluís Dalmau (Vierge aux conseillers, Barcelone), chez Jaume Huguet ou chez le Maître de la Seo de Urgel. Les peintres les plus remarquables demeurent Bartolomé Bermejo (Pietà), Pedro Berruguete, qui mêle des expériences italiennes aux influences flamandes dans le Retable de sainte Eulalie, et, au Portugal, Nuño Gonçalvez avec le Retable de São Vicente.
L'art germanique, avec Stephan Lochner à Cologne, Lukas Moser, Hans Multscher et Konrad Witz dans le Sud, assimile les leçons flamandes et aboutit aux œuvres de Martin Schongauer et de Friedrich Herlin, qui annoncent les maîtres du xvie s.
La France aussi possède de grands peintres au xve s. Simon Marmion, le Maître de saint Gilles sont très influencés par l'art flamand, mais Jean Fouquet va beaucoup plus loin, dans l'enluminure comme dans les tableaux. Il allie dans un art très personnel les ordonnances et les tonalités italiennes à la fluidité atmosphérique nordique. Il faut en dire autant d'Enguerrand Charonton et du Maître de la Pietà d'Avignon, qui retrouvent dans leurs compositions la monumentalité des tympans des grandes cathédrales.
L'art du vitrail est particulièrement bien représenté à Rouen et à Strasbourg avec Pierre d'Andlau. Il faudrait encore parler de la tapisserie, qui fleurit à Arras, à Bruxelles et qui, à l'aube de la Renaissance, donne les tentures mille-fleurs, et aussi des trésors d'orfèvrerie, comme celui de la Toison d'or à Vienne.
Ce n'est donc pas un art moribond et décadent que la Renaissance est venue supplanter, mais un art très vivace, qui ne cessait de se renouveler depuis la création de Suger à Saint-Denis.

8. LE GOTHIQUE INTERNATIONAL
À la fin du xive s. se répand dans toute l'Europe occidentale, surtout dans la peinture, le style gothique international. C'est un art raffiné, si élégant qu'on l'a qualifié parfois de « maniéré », dans lequel les formes s'étirent, les lignes se courbent en une écriture compliquée, qui aime les couleurs rares et la somptuosité de l'or. Art de cour et de luxe, parfois artificiel, qui, pourtant, observe la nature, développe les recherches spatiales, le paysage et le portrait, il est lié aux mécénats princiers de la fin du xive s. et disparaît dès les années 1415-1420.
La peinture siennoise des Lorenzetti est à l'origine de ce style, qui prend son essor en Italie avec les Gaddi, Antonio Veneziano (actif de 1369 à 1388) et Lorenzo Monaco (vers 1370-vers 1422), dont la grâce et les couleurs vives se perpétuent au début du xve s. chez Sassetta et Gentile da Fabriano (vers 1370-1427). En Lombardie, Giovannino De'Grassi se révèle un extraordinaire animalier et, à Vérone, Pisanello exprime toute la préciosité, réaliste dans son observation, fantastique dans ses inventions, du gothique international. Au même moment, à Florence, Masaccio s'engage dans les voies de la Renaissance.
L'influence siennoise se répand de bonne heure en Espagne, vers 1380 en Catalogne avec Lluís Borrassá, puis avec Ramon de Mur et Bernat Martorell, à Majorque avec le Maître de sainte Eulalie et le Maître de Montesión, à Saragosse avec Zaortiga, à Valence avec Marzal de Sax.
L'Allemagne n'échappe pas à ce courant international, que l'on rencontre à Hambourg chez Maître Bertram, auteur du retable de l'église Saint-Pierre, et chez Maître Francke, à Dortmund chez Konrad von Soest. Il apparaît même en Bohême chez le Maître de Trebon, qui combine le graphisme élégant des silhouettes à des détails réalistes, avec des couleurs vives qui émanent d'une sorte de clair-obscur.
Les Pays-Bas participent au mouvement général, mais se trouvent liés à la Bourgogne par le mariage du plus jeune frère de Charles V, Philippe le Hardi, à Marguerite de Flandre, et c'est à Dijon qu'on trouve les peintures les plus caractéristiques, celles de Melchior Broederlam, originaire d'Ypres, auteur des volets peints du retable de la chartreuse de Champmol. À sa suite, Jean de Beaumetz (?-1396) exprime un art plus violent et plus dur.
En Angleterre, le Diptyque Wilton demeure le seul témoin important de cet art de cour.
À Paris, on rencontre des artistes souvent venus du Nord. Ainsi, Jean Malouel (vers 1370-1419), né à Nimègue, peint, avant son départ pour la Bourgogne en 1397, le Martyre de saint Denis , terminé par Henri Bellechose (?-vers 1445). Jacquemart de Hesdin entre au service du duc de Berry, termine peut-être le Psautier du duc, commencé par le sculpteur Beauneveu, et décore les Très Belles Heures de Bruxelles dans un style où se reconnaissent le souvenir de Jean Pucelle et l'influence d'Ambrogio Lorenzetti, notamment dans les compositions spatiales.
Les artistes les plus célèbres de la cour de Jean de Berry, les frères Limbourg, viennent de Nimègue, comme Malouel, dont ils sont les neveux, et voyagent dans toute l'Europe avant de se fixer en Berry. Ils incarnent le gothique international dans les miniatures des Très Riches Heures du duc de Berry (Chantilly). Ils imitent les Siennois dans la grâce calligraphique et la recherche de profondeur ; ils y mêlent observation naturaliste et fantaisie du décor, portraits de grands seigneurs et pays idéalisés.
Trois miniaturistes du début du xve s. participent encore au courant international : le Maître des Heures de Boucicaut , le Maître du Bréviaire de Bedford et le Maître des Heures de Rohan .
Cet art de cour s'est aussi exprimé dans les objets précieux. La plupart ont disparu, mais le Petit cheval d'or d'Altötting (Bavière) en donne encore quelque idée. Les Vierges sculptées de Bohême, relevant du « beau style », peuvent être aussi rattachées au gothique international, de même que le Couronnement de la Vierge sculpté au-dessus de la porte du château de La Ferté-Milon. Ces sculptures précieuses font suite aux Vierges italiennes de Nino Pisano.


PLAN
*        
    *         BEAUX-ARTS
        *         1. Introduction
        *         2. Le premier art gothique
        *         3. Le style 1200
        *         4. L'âge des grandes cathédrales
        *         5. Le gothique rayonnant
        *         6. Le xive s. jusque vers 1380
        *         7. La fin du Moyen Âge
        *         8. Le gothique international

Chronologie
*         entre 1135 et 1144 Suger fait reconstruire la façade et le chevet de l'abbatiale de Saint-Denis.
*         deuxième moitié du XIIe s. Cathédrales de Sens, Angers, Poitiers.
*         1160-1230 Construction de la cathédrale de Laon.
*         1163 Début de la construction de Notre-Dame de Paris.
*         de 1194 à 1220/1230 Reconstruction de la cathédrale de Chartres.
*         XIIIe s. « Merveille » du Mont-Saint-Michel et Sainte-Chapelle de Paris. Cathédrale de Lincoln. Début de la construction des cathédrales de York et Canterbury.
*         XIIIe s. Statues de l'ébrasement du portail central de la cathédrale de Reims.
*         XIIIe s. Statuaire des cathédrales de Chartres, Amiens et Bourges.
*         1220-1265 Cathédrale de Salisbury.
*         vers 1220 Résurrection et Couronnement de la Vierge, hauts-reliefs du tympan du portail de la Vierge de Notre-Dame de Paris.
*         vers 1220-1270 Achèvement de la cathédrale d'Amiens (gothique rayonnant).
*         1221 Début de la construction de la cathédrale de Burgos. Consécration de la cathédrale en 1260.
*         vers 1250 Ekkehard et Uta, statues du chœur de l'église de Naumburg, près de Halle.
*         vers 1258 Maestà, (Vierge en majesté), par Cimabue.
*         vers 1280 Début de la construction de la cathédrale d'Albi.

 

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LOUIS PASTEUR

 

 

 

 

 

 

 

Louis Pasteur

Cet article fait partie du dossier consacré à l'immunité.

Chimiste et biologiste français (Dole 1822-Villeneuve-l'Étang, Marnes-la-Coquette, 1895).

1. LA VIE ET LA CARRIÈRE DE LOUIS PASTEUR

1.1. LES LETTRES, LE DESSIN, LES MATHÉMATIQUES

Élève de l'école primaire, puis externe au collège d'Arbois (Jura), Louis Pasteur est fils de tanneur. C'est un élève moyen, mais il dénote un penchant très vif pour le dessin. Le principal du collège d'Arbois l'incite à s'orienter vers l'École normale supérieure. En octobre 1838, Louis Pasteur et son camarade Jules Vercel partent pour Paris afin de suivre les cours du lycée Saint-Louis. Très rapidement, Pasteur, qui ne supporte pas la séparation du milieu familial, retourne à Arbois, puis part pour le collège de Besançon, plus proche de ses parents que la capitale.
En 1840, Louis Pasteur est bachelier ès lettres. Il continue de peindre et de graver, et il se lie avec Charles Chappuis. En 1842, il est bachelier ès mathématiques ; admissible à l'École normale supérieure (14e sur 22), il décide de se représenter pour obtenir un meilleur rang et part pour Paris. Il est reçu à l'École normale quatrième en 1843.

1.2. PASTEUR ET LES SCIENCES PHYSIQUES

Normalien, Louis Pasteur suit les cours de Jean-Baptiste Dumas et étudie le problème de la polarisation de la lumière à propos des acides tartriques et paratartriques. En 1846, il est reçu à l'agrégation des sciences physiques.

Sur l'insistance de son maître Antoine Jérôme Balard, il n'est pas nommé en province et reste à Paris pour préparer sa thèse de doctorat. Le 23 août 1847, il soutient une thèse de physique sur l'« étude des phénomènes relatifs à la polarisation rotatoire des liquides ». Le 20 mars 1848, il présente à l'Académie des sciences son mémoire Recherches sur le dimorphisme, concernant l'aptitude de certains corps à cristalliser de manière dissemblable. Après la révolution de 1848, il étudie de nouveau le problème des tartrates et paratartrates, et il démontre que l'acide paratartrique se compose d'isomères d'acide tartrique droit (naturel) et d'acide paratartrique gauche. Ces deux acides ont des pouvoirs rotatoires égaux et contraires, qui se neutralisent lorsqu'ils sont mélangés en solution aqueuse. Jean-Baptiste Biot, spécialiste de la polarisation rotatoire, après avoir vérifié ce travail de Pasteur, publie un rapport sur les « recherches sur les relations qui peuvent exister entre la forme cristalline, la composition chimique et le sens du pouvoir rotatoire ».
→ stéréochimie.

1.3. RECONNAISSANCE DE PASTEUR PAR L’ACADÉMIE DES SCIENCES
Louis Pasteur est nommé professeur de physique au lycée de Dijon. En janvier 1849, il devient suppléant de chimie à la faculté de Strasbourg. Il épouse la fille du recteur Laurent, Marie, et continue ses travaux de cristallographie. Sa réputation s'étend parmi les physiciens et les chimistes français et étrangers. En 1852, il va à Leipzig, puis en Autriche et à Prague pour étudier les tartrates. En juin 1853, il réussit la transformation de l'acide tartrique en acide racémique. Ses travaux sont consacrés en janvier 1853 par l'Académie des sciences. Le jeune savant souligne l'importance de la dissymétrie moléculaire, qui peut intervenir dans des phénomènes physiologiques comme celui de la fermentation.

1.4. LE « PHÉNOMÈNE VITAL » DES FERMENTATIONS
En septembre 1854, Louis Pasteur est nommé professeur et doyen de la nouvelle faculté des sciences de Lille. Des accidents industriels dans la fabrication d'alcool de betterave (1856) sont à l'origine de ses travaux sur la fermentation, et en particulier sur la fermentation alcoolique.

Tandis que les travaux antérieurs des chimistes s'accordaient à nier le rôle de la « vie » dans le mécanisme de la fermentation, Louis Pasteur, isolant la levure lactique, reconnaît là un phénomène corrélatif de la vie. En août 1857, il fait une communication sur la fermentation lactique à la Société des sciences de Lille.
Il revient alors à l'École normale supérieure pour y être administrateur et directeur des études scientifiques. C'est dans un laboratoire misérable qu'il élabore son mémoire sur la fermentation alcoolique (décembre 1857), où il conclut que « le dédoublement du sucre en alcool et en acide carbonique est un acte corrélatif d'un phénomène vital ». En janvier 1860, quelques mois après la mort de sa fille aînée, il obtient le prix de physiologie expérimentale pour ses travaux sur la fermentation.

1.5. PASTEUR ET LA CRITIQUE DE LA GÉNÉRATION SPONTANÉE
Louis Pasteur veut alors s'attaquer aux phénomènes des générations spontanées. Il tient, en effet, à contrôler les expérimentations de Félix Archimède Pouchet, qui démontraient la possibilité de faire naître des animalcules dans des récipients privés d'air.
Il commence par l'étude microscopique de l'air. Grâce à des filtres de coton, il isole des « germes » qui troublent une suspension stérile. Puis il démontre, en ouvrant ses ballons à Paris, en province, en montagne, sur la mer de Glace, que « les poussières en suspension dans l'air sont l'origine exclusive de la vie dans les infusions » (novembre 1860). Malgré ses détracteurs, il persévère, affirmant, en 1861, que la fermentation butyrique est liée à des infusoires, vivant d'ailleurs sans air (anaérobies).
→ microbiologie.

1.6. LA THÉORIE DES GERMES : UN LONG CHEMINEMENT

En décembre 1862, il est nommé membre de l'Académie des sciences. Jean-Baptiste Biot, son maître et ami, est mort quelques mois plus tôt. Pasteur va reprendre ses travaux sur la fermentation, mais déjà il affirme que son but est d'arriver à la connaissance des maladies putrides et contagieuses. Il vient de mettre au point la pasteurisation.

→ maladies infectieuses, → conservation [agroalimentaire].

1.6.1. LES MALADIES DES VINS ET LA PASTEURISATION

En 1864, il envisage le problème du développement des ferments, cause des maladies des vins, et découvre qu'une élévation brève de leur température, sans les altérer, les protège.

1.6.2. LES MALADIES DES VERS À SOIE ET LA TRANSFORMATION DU VIN EN VINAIGRE

Jean-Baptiste Dumas lui demande d'étudier l'épidémie de « pébrine » (les taches des vers à soie malades ressemblent au poivre) qui ruine la sériciculture, alors en plein renouveau. Pasteur est envoyé à Alès en juin 1865. Malgré la mort brutale de son père, il étudie cette mystérieuse maladie. Il démontre qu'il est nécessaire, pour avoir des vers sains, de ne retenir que des graines provenant de papillons sains. Il met en évidence la contagiosité de la pébrine et pose les principes de la sélection des œufs provenant de papillons sains.
En 1867, malgré les difficultés internes de l'École normale, Pasteur, grâce à des crédits spéciaux, améliore son laboratoire.
À Orléans, il démontre devant des industriels l'importance du rôle de Mycoderma aceti dans la fabrication du vinaigre, expose clairement le mécanisme vivant de l'acétification, les risques d'erreurs, les causes d'échecs de l'industrie du vinaigre.
En janvier 1868, il écrit un plaidoyer pour le développement de la recherche, que le Moniteur refuse. Il est soutenu par Victor Duruy, et l'article est publié dans la Revue des cours scientifiques, puis en brochure. Napoléon III, réunissant le 16 mars plusieurs savants, décide de donner aux chercheurs français de quoi rivaliser avec les Allemands.
Pasteur, durant cette année 1868, s'occupe des vers à soie à Alès, et du chauffage des vins à Toulon. Grâce à ses expériences, il assure la possibilité de conservation des vins et l'augmentation de leurs débouchés.
Le 19 octobre, il fait une hémiplégie gauche. Il récupère peu à peu et, en janvier 1869, marche seul. Dans les mois qui suivent, de nouvelles expériences démontrent la valeur du système de grainage pour le renouvellement de la sériciculture, mais les sceptiques restent nombreux. Pourtant, en Autriche et en Italie, la méthode préconisée par Pasteur donne de remarquables résultats.
Durant la guerre de 1870, Pasteur séjourne à Arbois. Très affecté par la défaite, il publie, après l'armistice, dans le Salut public (Lyon) plusieurs articles sur les carences de la France dans le domaine universitaire, sur la discordance entre l'effort scientifique de l'Allemagne et l'absence d'attention du gouvernement français aux problèmes du développement de l'instruction supérieure.

Durant la guerre civile (→  la Commune), toute activité scientifique est arrêtée. Pasteur refuse des propositions du gouvernement italien, qui lui offre une chaire de chimie appliquée à l'agriculture à Pise. En avril 1871, il apprend avec joie le succès de son élève Jules Raulin, qui a mis au point un liquide de culture pour un Aspergillus, (→  aspergillose) et détermine les substances capables d'inhiber la culture. Il perfectionne son système de grainage du ver à soie et commence à se passionner pour la fabrication de la bière.

1.6.3. LES MALADIES DE LA BIÈRE
Il imagine des appareils destinés à protéger le moût contre les poussières, se rend en Angleterre, visite des brasseries, y dépiste des « maladies de la bière », conseille et est écouté. Revenu à Paris il met au point le système de chauffage de la bière à 50-55 °C pour assurer sa conservation (bière pasteurisée).

1.6.4. LA STÉRILISATION DES LIQUIDES
Il doit, à cette époque, répondre aux attaques de nombreux partisans de la génération spontanée. Balard, en janvier 1872, lui écrit : « Ne perdez pas votre temps à répondre à vos ennemis. Laissez-les expérimenter. » Lui rappelant ses découvertes, il lui dit : « Ne peut-on pas espérer qu'en persévérant dans cette voie vous préserverez l'espèce humaine à son tour de quelques-unes de ces maladies mystérieuses dont les germes contenus dans l'air pourraient être la cause ? ».
La question posée à Pasteur est alors l'origine des levures, leur aspect, leur physiologie en aérobiose ou en anaérobiose (→  métabolisme). Surtout, le savant pense aborder l'étude des maladies contagieuses, à l'origine desquelles il évoque le rôle d'infiniment petits. En 1873, il obtient une place d'associé libre de la faculté de médecine. C'est l'époque où Jean-Antoine Villemin démontre la transmissibilité de la tuberculose et se heurte aux sceptiques et où Casimir Joseph Davaine – qui connaît les travaux de Pasteur – rapproche le rôle des ferments de celui d'« animalcules » observés dans le sang charbonneux (→ charbon). Armand Trousseau lui-même avait évoqué le rôle de ferments dans la variole, la morve, mais ces hypothèses étaient oubliées.

À cette époque, l'infection triomphe : l'abandon des règles empiriques de l'hygiène et la promiscuité sont responsables de cette situation. Cependant, Alphonse Guérin, évoquant le rôle des germes de l'air dans l'infection, invente l'« emballage » des plaies opératoires, après lavage : l'infection régresse. L'application des principes de Lister, soutenue en France par Just Lucas-Championnière, fait diminuer le pourcentage des infections postopératoires. Pasteur prouve expérimentalement l'importance de ces méthodes.
À propos d'un conflit avec Henry-Charlton Bastian sur le développement de germes dans les urines, Pasteur démontre l'importance du chauffage à 120 °C, qui bloque le développement des germes (stérilisation des liquides). Il chauffe à 150 ou 200 °C des objets à stériliser, placés dans des tubes ou des flacons de verre. À cette date, ses travaux sur les fermentations et son succès dans la maladie du ver à soie lui apportent une renommée mondiale.

1.6.5. LE GERME DU CHARBON

En 1877, Pasteur étudie le charbon. Il démontre que la bactéridie de Davaine est vivante, qu'elle peut se reproduire en dehors de l'organisme, dans des milieux appropriés, et prendre une forme sporulée. Il sépare nettement le germe du charbon des germes de la putréfaction et clarifie certaines données contradictoires liées à la confusion entre ces germes (pour lesquels, en 1878, Charles Sédillot crée le terme de microbe). Il montre le rôle du milieu dans le développement de la maladie.
→ bactérie.

1.6.6. COMMUNICATION SUR LA « THÉORIE DES GERMES »
Le 30 avril 1878, il fait sa communication sur la théorie des germes et leur rôle en pathologie. Il démontre les mécanismes de l'épidémiologie du charbon. À la même époque, il étudie le pus des furoncles, et soupçonne l'origine bactérienne de la fièvre puerpérale.

1.7. LES TRAVAUX DE PASTEUR SUR LES VACCINATIONS

1.7.1. VERS LES BACTÉRIES ATTÉNUÉES

S'intéressant au choléra des poules, il constate qu'une culture vieillie n'est plus virulente. Inoculée, celle-ci ne transmet pas la maladie. Et mieux, la poule ainsi inoculée n'est plus sensible à une culture fraîche. Pasteur approche du concept de vaccination (mise au point en 1796 par le médecin anglais Edward Jenner) par bactéries atténuées.

1.7.2. LE VACCIN CONTRE LE CHARBON
Alors que J.-J. H. Toussaint échoue dans sa tentative de vaccination contre le charbon, Pasteur tente d'appliquer à cette maladie les principes découverts à propos du choléra des poules. Il y parvient en atténuant la virulence des bactéridies par vieillissement à 42 °C, température à laquelle le germe ne sporule pas. Le succès de la vaccination contre le charbon est assuré par l'expérience de Pouilly-le-Fort en juin 1882. C'est la gloire. Émile Roux (1853-1933) et Charles Édouard Chamberland (1851-1908) partagent les honneurs. Malgré des oppositions de dernière heure, Pasteur sera désormais écouté.
Au congrès de Londres en août, il est célébré et il séduit par sa logique, son enthousiasme et son honnêteté. Le 8 décembre 1881, il est élu à l' Académie française ; il est reçu par Renan le 27 avril 1882. Au congrès d'hygiène de Genève, il est honoré, malgré de vives critiques des Allemands à propos des « virus atténués » (→ vaccin) et de la pathogénie du charbon.
Sa pension est augmentée après le rapport de Paul Bert, qui résume l'œuvre de Pasteur en trois points : « Chaque fermentation est le produit du développement d'un microbe spécial. Chaque maladie infectieuse est produite par le développement dans l'organisme d'un microbe. Le microbe d'une maladie infectieuse cultivée dans certaines conditions est atténué : de virus, il devient vaccin. »

1.7.3. LE VACCIN CONTRE LA RAGE
En 1884, Pasteur se tourne vers la rage. Il tente d'inoculer la maladie au lapin en injectant salive et sang de chiens enragés. Puis il injecte des fragments cérébraux au lapin. Enfin, il découvre l'inoculation intracérébrale qui donne constamment une rage typique. Il parvient à atténuer la virulence par vieillissement et séchage des moelles épinières des lapins inoculés. À Villeneuve-l'Étang, il entreprend deux expériences : la première consiste à rendre des chiens réfractaires par des inoculations préventives, et la seconde à empêcher la rage d'éclater chez des chiens inoculés.

Le 6 juillet 1885, Joseph Meister, un enfant de neuf ans mordu deux jours plus tôt, est amené à Pasteur. Après de nombreuses hésitations, on commence le traitement par des moelles de plus en plus virulentes. En août, l'enfant est considéré comme sauvé. Quelques mois plus tard, Jean-Baptiste Jupille, gravement mordu, traité au sixième jour, est également sauvé par le traitement. Bientôt des blessés affluent à Paris. La prophylaxie de la rage est efficace après morsure.

1.8. LA FONDATION DE L’INSTITUT PASTEUR

L'Académie des sciences adopte le projet de la fondation d'un « Institut Pasteur ». Une souscription nationale et internationale est ouverte en 1886. Jacques Joseph Grancher, Émile Roux, André Chantemesse poursuivent le traitement des maladies, mais Pasteur, souffrant, doit partir pour le Midi se reposer avec sa famille. À son retour à Paris, un nouvel accident neurologique le contraint à diminuer ses activités. L'Institut Pasteur est inauguré le 14 novembre 1888, et le 27 décembre 1892, à la Sorbonne, les soixante-dix ans de Pasteur sont célébrés avec éclat.

Portrait de Pasteur
Grâce aux travaux des élèves de Pasteur, les germes de la diphtérie et de la peste sont découverts, et le rôle des toxines est mis en évidence ; Roux met au point la sérothérapie antidiphtérique, qu'il applique le 1er février 1894.
Le 1er novembre 1894, L. Pasteur tombe malade. Il participe encore aux activités de ses collaborateurs, mais il meurt le 28 septembre 1895.

2. L’IMPORTANCE DES TRAVAUX DE PASTEUR

Pasteur, chimiste et biologiste, a accompli une œuvre immense. Toutes ses découvertes ont eu des incidences pratiques.
– Par ses travaux sur les cristaux, il a créé la stéréochimie.
– Étudiant les fermentations, il a appliqué ses découvertes à la protection des vins et de la bière par la pasteurisation.
– Il a sauvé la sériciculture en démontrant le caractère héréditaire de la pébrine et en inventant le « grainage ».
– Il a démontré l'importance des micro-organismes comme éléments d'équilibre dans la nature et leur rôle dans l'infection. Recherchant des moyens thérapeutiques, il a mis au point la vaccination contre le charbon et celle contre la rage.
Son œuvre a bouleversé les conceptions de la pathologie infectieuse, influencé la chimie biologique et créé de nouvelles méthodes industrielles.


PLAN
*        
    *         1. LA VIE ET LA CARRIÈRE DE LOUIS PASTEUR
        *         1.1. Les lettres, le dessin, les mathématiques
        *         1.2. Pasteur et les sciences physiques
        *         1.3. Reconnaissance de Pasteur par l’Académie des sciences
        *         1.4. Le « phénomène vital » des fermentations
        *         1.5. Pasteur et la critique de la génération spontanée
        *         1.6. La théorie des germes : un long cheminement
            *         1.6.1. Les maladies des vins et la pasteurisation
            *         1.6.2. Les maladies des vers à soie et la transformation du vin en vinaigre
            *         1.6.3. Les maladies de la bière
            *         1.6.4. La stérilisation des liquides
            *         1.6.5. Le germe du charbon
            *         1.6.6. Communication sur la « théorie des germes »
        *         1.7. Les travaux de Pasteur sur les vaccinations
            *         1.7.1. Vers les bactéries atténuées
            *         1.7.2. Le vaccin contre le charbon
            *         1.7.3. Le vaccin contre la rage
        *         1.8. La fondation de l’Institut Pasteur
    *         2. L’IMPORTANCE DES TRAVAUX DE PASTEUR


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pharmacie.
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Chronologie
*         1857 Premier mémoire du Français L. Pasteur sur la fermentation alcoolique.
*         1861 L. Pasteur découvre que les microbes vivent en anaérobiose, c'est-à-dire en l'absence de tout apport d'oxygène.
*         1862 L. Pasteur réfute la notion de génération spontanée des êtres vivants à partir de la matière inorganique.
*         1878 Découverte du staphylocoque par L. Pasteur.
*         1879 Premières expériences de vaccinations préventives par inoculation de microbes (sur des animaux) par L. Pasteur.
*         1885 Première vaccination contre la rage par L. Pasteur.

 

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VOLTAIRE

 

 

 

 

 

 

 

François Marie Arouet, dit Voltaire

Cet article fait partie du dossier consacré à la Révolution française.

Écrivain français (Paris 1694-Paris 1778).

       
Voltaire, l’un des philosophes des Lumières les plus importants, a connu une vie mouvementée marquée par l’engagement au service de la liberté. Travailleur infatigable et prolixe, il laisse une œuvre considérable et très variée qui touche à tous les domaines, renouvèle le genre historique et donne au conte ses lettres de noblesse.
Famille
Il est né le 21 novembre 1694 ; son père est notaire et conseiller du roi ; sa mère meurt alors qu’il est âgé de sept ans.
Formation
Il est placé chez les jésuites du collège Louis-le-Grand (ancien collège de Clermont), puis fait des études à la faculté de droit de Paris.
Début de sa carrière
À partir de 1715, il fréquente les milieux libertins et les salons littéraires, compose des écrits satiriques qui le conduisent à la Bastille. En prison, il rédige Œdipe (1717). Il fait des voyages en Europe et connaît des intrigues de cour. Il continue à écrire pour le théâtre et commence une épopée, la Ligue (1723), première version de la Henriade (1728). Une altercation avec le chevalier de Rohan-Chabot lui vaut douze jours à la Bastille, puis l’exil en Angleterre (1726).
Premiers succès
Rentré en France en 1728, il fait jouer son théâtre ; il triomphe avec sa pièce Zaïre (1732). Il se retire à Cirey, chez Mme du Châtelet. Les Lettres philosophiques connaissent un succès de scandale (1734), de même que le poème provocateur le Mondain (1736).
Tournant de sa carrière
Il est rappelé à Paris où il est nommé historiographe du roi (1745). Parallèlement à son travail d’historien (le Siècle de Louis XIV, 1752 ; Essai sur les mœurs et l'esprit des nations, 1756), il commence à rédiger des contes satiriques (Zadig, 1748 ; Micromégas, 1752). Il accepte l’invitation de Frédéric II de Prusse et part pour Potsdam (1750). En 1755, il s’installe en Suisse, où sera publié Candide (janvier 1759) et, enfin, dans un village français près de la frontière suisse, Ferney (décembre 1758-février 1759).
Dernière partie de sa carrière
Devenu l’« hôte de l’Europe », il intervient dans des « affaires » (Calas, Sirven, La Barre). Il poursuit son combat en faveur de la tolérance (Traité sur la tolérance, 1763 ; Dictionnaire philosophique portatif, 1764) sans toutefois abandonner le conte (l’Ingénu, 1767). Il meurt le 30 mai 1778. Treize ans plus tard, en 1791, ses restes sont transférés solennellement au Panthéon.

1. LA VIE DE VOLTAIRE
1.1. LA FORMATION INITIALE (1694-1713)

François Marie Arouet est le cinquième enfant de François Arouet (1649-1722) et de Marguerite Daumart (vers 1661-1701) [sur les six enfants de la famille, trois meurent en bas âge]. Son père, notaire royal, puis payeur des épices à la Chambre des comptes, est en relations professionnelles et personnelles avec l'aristocratie. Il fait donner à ses fils la meilleure éducation possible. Pour l'aîné Armand, vers 1695, c'est celle des Oratoriens. Pour François Marie, en 1704, c'est celle des jésuites du collège Louis-le-Grand. La mésentente entre les deux frères vient sans doute en partie de là. Elle sera doublée de difficultés entre le père et le fils, lorsque le libertinage et la vocation littéraire apparaîtront simultanément. Voltaire affecte parfois de ne pas être le fils de son père, mais du chansonnier Rochebrune : affirmation agressive d'indépendance – la plaisanterie sur sa bâtardise est considérée de nos jours comme le signe d'une phobie et d'une hantise qui se retrouvent dans l'attitude de Voltaire devant Dieu, père au terrible pouvoir.


Son adolescence subit l'influence de l'humanisme jésuite et celle du libertinage mondain. Aux Jésuites, Voltaire doit sa culture classique, son goût assez puriste, le souci de l'élégance et de la précision dans l'écriture, son amour du théâtre et même, en dépit d'eux, les bases de son déisme. Aux libertins du Temple, son épicurisme, son esprit plaisant et irrévérencieux, son talent dans la poésie légère.
→ Compagnie de Jésus, → libertinage.

1.2. PREMIÈRE EXPÉRIENCE DE L’ÉCRITURE POLÉMIQUE (1713-1726)
Mais Voltaire ne se contente pas d'être un homme de plaisir : il y a dans son art de jouir une insolence qui lui vaut d'être envoyé par son père à Caen, puis à La Haye en 1713, d'être confiné à Sully-sur-Loire en 1716 sur ordre du Régent (sur lequel on dit qu’il a écrit quelques vers assassins) et embastillé en 1717. Dès ce moment, il prépare deux grandes œuvres, d'une tout autre portée que ses vers épicuriens : la tragédie Œdipe, triomphalement représentée en novembre 1718, et le poème de la Ligue, paru en 1723, qui deviendra en 1728 la Henriade. Il veut maintenant imiter Sophocle et Virgile. Le libertin commence à se faire philosophe en lisant Malebranche, Bayle, Locke et Newton.
C'est en 1718 qu'il prend le pseudonyme de Voltaire (d'abord Arouet et Voltaire), peut-être formé à partir d'Airvault, nom d'un bourg poitevin où ses ancêtres ont résidé. Le chevalier de Rohan (1683-1760), qui le fait bâtonner et, humiliation pire, de nouveau embastiller en 1726, semble avoir interrompu une carrière admirablement commencée d'écrivain déjà illustre et de courtisan. En fait, il rend Voltaire à sa vraie vocation, qui aurait certainement éclaté d'une façon ou d'une autre, car on ne peut guère imaginer qu'il se soit contenté d'être poète-lauréat.
1.3. SÉJOUR EN ANGLETERRE (1726-1728)

C'est Voltaire lui-même qui demande la permission de passer en Angleterre. Y a-t-il découvert ce dont il n'avait aucune idée et subi une profonde métamorphose ? Y a-t-il, au contraire, trouvé ce qu'il était venu y chercher, appris ce qu'il savait déjà ? Les deux thèses ont été soutenues. On admet maintenant que s'il a, avant son voyage, lu des ouvrages traduits, s'il a aussi adopté par ses propres cheminements des vues déjà « philosophiques » sur Dieu, sur la Providence, sur la société, sur la tolérance, sur la liberté, il n'est pourtant pas en état, dans les années 1726-1728, d'assimiler complètement la science et la philosophie anglaises.
Mais Voltaire fait l'expérience d'une civilisation, dont il sent et veut définir ce qu'il appelle l'esprit ou le génie. Il comprend l'importance pour la pensée et la littérature françaises de connaître ces Anglais, avec qui le Régent a noué alliance, et il réunit une masse de notations, d'idées, de questions, de problèmes, d'anecdotes, de modèles formels dont il ne cessera de tirer parti pendant tout le reste de son existence.
Les Lettres philosophiques, ou Lettres anglaises, conçues bien avant la fin de son séjour en Angleterre, paraissent en anglais dès 1733, en français en 1734. Elles sont, malgré leurs erreurs et leurs lacunes, l'un des essais les plus réussis pour ce qui est de comprendre et donner à comprendre le fonctionnement d'une société étrangère et le lien entre des institutions, des mœurs et une culture sous le signe de la liberté.

1.4. RETOUR EN FRANCE : SPÉCULATION FINANCIÈRE ET CLANDESTINITÉ (1728-1734)
De son retour en France (1728) à son installation en Lorraine, à Cirey (1734), Voltaire vit quelques années tiraillé : entre le monde et la retraite, le succès et les persécutions, la publication des œuvres achevées et la mise en chantier d'œuvres nouvelles.
Il fait applaudir Brutus (décembre 1730) et Zaïre (août 1732), mais son Histoire de Charles XII est saisie (janvier 1731). Son Temple du goût soulève des protestations violentes (janvier 1733), ses Lettres philosophiques (avril 1734), longuement revues et auxquelles il a ajouté les remarques « Sur les Pensées de M. Pascal », sont brûlées, et l'auteur doit se réfugier en Lorraine (mai 1734) pour échapper à une lettre de cachet (écrit formel du roi ordonnant l'incarcération ou l'exil). En mai 1732, il avait pour la première fois fait mention de son projet d'écrire l'histoire de Louis XIV.
C'est pendant cette période qu'il met au point deux moyens d'assurer sa liberté d'écrire, et dont il ne cessera désormais d'user : la spéculation, qui lui procurera l'aisance matérielle puis la richesse, et la clandestinité, dans laquelle il prépare l'impression et la diffusion de ses œuvres.

1.5. LA RETRAITE À CIREY (1734-1750)
1.5.1. PÉRIODE STUDIEUSE (1734-1740)
Voltaire s'est installé à Cirey, en Haute-Marne, chez Mme du Châtelet (Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet, 1706-1749). C'est le lieu de sa retraite et le centre de ses activités jusqu'à la mort de sa maîtresse. Plusieurs raisons lui ont fait souhaiter de se retirer pendant quelques années : les poursuites entamées contre lui, le besoin de se recueillir pour l'œuvre de longue haleine que va être le Siècle de Louis XIV, le sentiment qu'il doit acquérir en science et en philosophie les connaissances qui lui manquent, et au seuil desquelles l'achèvement des Lettres philosophiques l'a conduit.
De 1734 à 1738 s'accomplit ce que l'on a appelé la rééducation de Voltaire. Il était déjà philosophe par son esprit critique, par ses idées sur la religion, sur la société, sur le bonheur. Il le devient au sens encyclopédique où son siècle doit entendre le mot : en se faisant métaphysicien, physicien, chimiste, mathématicien, économiste, historien, sans jamais cesser d'être poète et d'écrire des comédies, des tragédies, des épîtres ou des vers galants.
Avec Mme du Châtelet, il commente Newton, Leibniz, Christian von Wolff, Samuel Clarke, Bernard de Mandeville et fait des expériences de laboratoire. Sa correspondance avec Frédéric II de Prusse et le rôle qu'il espère jouer auprès du prince l'amènent à s'instruire sur la diplomatie et sur les problèmes économiques.
Toutes ces activités et ces recherches, qui explorent le concept de civilisation, aboutissent au Traité de métaphysique (Voltaire y travaille du début de 1734 à la fin de 1736, l'ouvrage ne sera pas publié de son vivant), aux Éléments de la philosophie de Newton (publiés en 1738), au Siècle de Louis XIV (une première version est prête en 1738, le début est publié en 1739 et aussitôt saisi), aux sept Discours sur l'homme (composés et diffusés plus ou moins clandestinement en 1738) et au projet de l'Essai sur les mœurs et l'esprit des nations.
1.5.2. PÉRIODE D'INSTABILITÉ (1740-1750)
Mais la retraite à Cirey n'est ni constante, ni solitaire, ni même toujours tranquille. Les visiteurs se succèdent. On fait du théâtre. On lit les œuvres toutes fraîches. On veille sur les manuscrits, qui sont comme des explosifs prêts à éclater : Voltaire entre en fureur quand des pages de la Pucelle disparaissent de leur tiroir. Il doit fuir en Hollande quand le texte du Mondain circule (novembre 1736).

La seconde partie de la période de Cirey est encore plus agitée : voyages à Lille auprès de sa nièce Mme Denis (qui devient sa maîtresse à partir de 1744), voyages à Paris pour la représentation, vite interdite, de Mahomet (août 1741) et pour celle de Mérope, triomphale (février 1743). Il rencontre Frédéric II à Wesel, près de Clèves (septembre 1740), part en mission diplomatique à Berlin et en Hollande (1743-1744), séjourne à Versailles pour la représentation de la Princesse de Navarre et celle du Temple de la gloire (1745).
Voltaire cherche, en effet, à obtenir la faveur de Louis XV. Son Poème de Fontenoy est imprimé par l'imprimerie royale (1745). Il est finalement nommé historiographe de France (avril 1745), élu à l'Académie française (avril 1746), avant de recevoir le brevet de gentilhomme ordinaire de la chambre du roi (décembre 1746). Les académies de province et de l'étranger rivalisent pour le compter parmi leurs membres. Il est reçu à Sceaux chez la duchesse du Maine, pour laquelle il écrit ses premiers Contes.
Mais, comme en 1726, l'édifice de son succès s'effondre quand il peut se croire au sommet. L'épisode du jeu de la reine (où Voltaire dit à Mme du Châtelet, qui perdait tout ce qu'elle misait, qu'elle jouait avec des coquins) est moins autant une des causes de sa disgrâce que la conséquence et le symbole de la conduite qu'il a adoptée. Il n'aurait en effet jamais sacrifié son œuvre et sa pensée à la quête des faveurs royales, dont il voulait se faire un bouclier, et le roi savait fort bien qu'il n'était pas un courtisan sincère. La mort de Mme du Châtelet prive Voltaire de son refuge, mais le délie de la promesse qu'il a faite de ne pas répondre à l'invitation de Frédéric.
1.6. AUPRÈS DE FRÉDÉRIC II DE PRUSSE (1750-1754)
1.6.1. ENTRE ADMIRATION ET DÉFIANCE RÉCIPROQUES

À son arrivée à Potsdam, en juillet 1750, Voltaire n'a plus d'illusions sur le roi-philosophe. Il comprend bien que la guerre et l'intrigue passeront toujours avant la philosophie aux yeux de celui qui lui a soumis, en 1740, une réfutation de Machiavel, mais a envahi la Silésie dès 1741. Le souverain et l'écrivain éprouvent l'un pour l'autre un sentiment étrange et violent, mélange d'admiration, d'attachement, de défiance et de mépris. Ce qu'ils se sont écrit l'un à l'autre, et ce qu'ils ont écrit l'un de l'autre, est à interpréter en fonction de toutes leurs arrière-pensées. Voltaire doit se justifier devant l'opinion française, et peut-être à ses propres yeux, d'être allé servir le roi de Prusse : celui-ci accable Voltaire de flatteries tout en le calomniant auprès du gouvernement français, pour lui interdire le retour en France. Le 15 mars 1753, Voltaire reçoit néanmoins le droit de quitter la Prusse.

1.6.2. UNE PÉRIODE FÉCONDE MALGRÉ TOUT
En peu de temps, Voltaire apprend beaucoup sur le pouvoir politique, sur la parole des rois, sur le rôle des intellectuels, et son expérience humaine, déjà variée, renforce encore davantage son caractère cosmopolite. Il travaille aussi beaucoup, malgré les divertissements, les corvées et les polémiques. En vérité, il songe d'abord à son travail en acceptant l'invitation de Frédéric II. Le Siècle de Louis XIV paraît (1752). Voltaire rédige de grands morceaux de l'Histoire universelle (le futur Essai sur les mœurs et l'esprit des nations), que déjà les éditeurs pirates s'apprêtent à publier d'après des manuscrits volés. Il pense à écrire son Dictionnaire philosophique portatif. Il donne, sous le titre de Micromégas (1752), sa forme définitive à un conte dont le premier état datait peut-être de 1739, et compose le Poème sur la loi naturelle, qui paraît en 1755.

1.6.3. DE NOUVEAU EN QUÊTE D'UN ABRI
Pendant un an et demi, de mars 1753 à novembre 1754, Voltaire cherche un abri. Malgré le bon accueil qu'il reçoit de plusieurs princes d'Allemagne, à Kassel, à Gotha, à Strasbourg, à Schwetzingen, les motifs de tristesse s'accumulent : deux représentants de Frédéric l'ont cruellement humilié et retenu illégalement prisonnier à Francfort (29 mai-7 juillet 1753). Les éditions pirates de ses œuvres historiques et les manuscrits de la Pucelle se multiplient. Mme Denis semble disposée à l'abandonner. Sa santé chancelle. À Colmar, pendant l'hiver de 1753, il songe au suicide. Mais il ne cesse de travailler : cela le sauve.

1.7. LE PATRIARCHE (1754-1778)
1.7.1. LA RETRAITE À FERNEY : UNE ACTIVITÉ INTENSE
En novembre 1754, Voltaire s'installe à Prangins (commune suisse du canton de Vaud), puis en mars 1755 près de Genève dans le domaine de Saint-Jean qu'il rebaptise « les Délices ». S'ensuivent des querelles et même des menaces d'expulsion, à cause des représentations théâtrales auxquelles il doit renoncer, à cause aussi du scandale de l'article « Genève », écrit par d'Alembert dans l’Encyclopédie, où l'on reconnaît son influence.

En décembre 1758, Voltaire achète le château de Ferney (dans l'Ain, près de la frontière suisse), où il ne s'installe qu'en 1759. Il y restera jusqu'à l'année de sa mort et y devient le « grand Voltaire », le « patriarche » qui reçoit des visiteurs de tous pays et correspond avec le monde entier – il dicte ou écrit parfois jusqu'à quinze ou vingt lettres à la suite. Il travaille de dix à quinze heures par jour, fait des plantations, construit des maisons, fonde des manufactures de montres, de bas de soie, donne des représentations théâtrales, des repas, des bals. Ainsi, en une vingtaine d'années, il lance dans le public plus de quatre cents écrits, depuis la facétie en deux pages jusqu'à l'encyclopédie philosophique en plusieurs volumes.
Candide, qui paraît en 1759, marque la fin d'une période d'inquiétude, au cours de laquelle il publie pourtant les Annales de l'Empire (1753) et l'Essai sur les mœurs et l'esprit des nations (1756). Il écrit, à la suite du tremblement de terre ayant détruit la ville, le Poème sur le désastre de Lisbonne (1756) et la première partie de l'Histoire de la Russie sous Pierre le Grand (1759). Il achève et fait paraître l'Orphelin de la Chine (1755), travaille à l'édition générale de ses œuvres entreprise par les frères Cramer. Il tente aussi, sans succès, d'arrêter la guerre en servant d'intermédiaire entre le duc de Choiseul et Frédéric II.
Dans l'immense production de Ferney figurent des tragédies comme Tancrède (1759), Olympie (1764), les Scythes (1768), les Guèbres (1769), les Lois de Minos (1772), Irène (1778), quelques comédies, le commentaire du théâtre de Corneille, des études historiques (Histoire du parlement de Paris, le Pyrrhonisme de l'Histoire, Fragment sur l'histoire générale), des études juridiques (Commentaire du livre des délits et des peines [de Beccaria], Commentaire sur l'Esprit des lois, le Prix de la justice et de l'humanité), des épîtres au roi de Chine, au roi du Danemark, à l'impératrice de Russie, à Boileau, à Horace, etc. Mais même les œuvres de pure littérature ou d'érudition sont liées aux polémiques dans lesquelles Voltaire est engagé, et chacune ne trouve son sens que replacée dans les circonstances qui l'ont fait naître. Il arrive à l'auteur d'expédier en quelques jours une tragédie, à la fois pour attirer l'attention du roi et obtenir la permission de revenir à Paris, qui lui est refusée aussi obstinément par Louis XVI qu'elle l'a été par Louis XV.

1.7.2. DÉFENSE DE LA LIBERTÉ DE PENSÉE

Dispute de Voltaire et de Jean-Jacques Rousseau
Tout sert le combat philosophique. « Écr. l'inf. », c'est-à-dire « Écrasons l'infâme », répète-t-il à ses correspondants – l'« infâme » étant la superstition, la religion en général et la religion catholique en particulier. Le combat vise aussi l'injustice, l'arbitraire, l'obscurantisme, la sottise, tout ce que Voltaire juge contraire à l'humanité et à la raison. Sa première arme étant le ridicule, satires, épigrammes et facéties bafouent les croyances et les usages qu'il condamne. Elles pleuvent sur Fréron, Omer de Fleury, les frères Le Franc de Pompignan, Jean-Jacques Rousseau, Chaumeix, Needham, Nonnotte, Patouillet, et bien d'autres ennemis récents ou de vieille date. Plusieurs de ces railleries mordantes sont restées célèbres : la Relation de la maladie, de la confession, de la mort et de l'apparition du jésuite Berthier, le Pot-Pourri, les Anecdotes sur Bélisaires ou la Canonisation de saint Cucufin.
Selon un dessein conçu depuis longtemps, Voltaire réunit des articles d'un ton plus sérieux, souvent tout aussi satirique, sur des sujets théologiques ou religieux (le Dictionnaire philosophique portatif, 1764, plusieurs fois réédité, augmenté à chaque réédition, devenu en 1769 la Raison par alphabet, puis simplement le Dictionnaire philosophique) ou sur tous les sujets de philosophie, législation, politique, histoire, littérature, où le philosophe a son mot à dire (Questions sur l'Encyclopédie, à partir de 1770). Il met en forme les recherches de critique religieuse et de critique biblique qu'il a commencées à Cirey avec Mme du Châtelet, et une vingtaine d'essais ou de traités sortent de Ferney de 1760 à 1778 : Sermon des Cinquante (1762), Traité sur la tolérance (1763), Questions sur les miracles (1765), Examen important de Milord Bolingbroke (1766), le Dîner du comte de Boulainvilliers (1768), Collection d'anciens évangiles (1769), Dieu et les hommes (1769), la Bible enfin expliquée (1776), Histoire de l'établissement du christianisme (1777).

Voltaire a des alliés dans ce combat, les encyclopédistes d'Alembert et Marmontel, et il prend leur défense quand ils sont persécutés. Mais, à mesure que se développe en France une philosophie athée, dont les porte-parole sont, entre autres, Diderot et d'Holbach, il ressent le besoin de raffermir les bases de sa propre philosophie, qui est loin d'être toute négative. Il le fait dans des dialogues comme le Douteur et l'Adorateur (1766 ?), l'A.B.C. (1768), les Adorateurs (1769), Sophronime et Adelos (1776), Dialogues d'Evhémère (1777) et dans des opuscules comme le Philosophe ignorant (1766), Tout en Dieu (1769), Lettres de Memmius à Cicéron (1771), Il faut prendre un parti ou le principe d'action (1772).

1.7.3. LE POLÉMISTE ENGAGÉ

Voltaire promettant son appui à la famille Calas
Enfin, la satire et la discussion ne suffisent pas à Voltaire. Il fait appel à l'opinion publique et intervient dans des affaires judiciaires qui l'occupent et l'angoissent pendant plusieurs années : affaires Calas, Sirven, Montbailli, La Barre, Lally-Tollendal. Les Contes (l'Ingénu, la Princesse de Babylone, l'Histoire de Jenni, le Taureau blanc) sont la synthèse fantaisiste de toutes ces polémiques et de toutes ces réflexions, pour la joie de l'imagination et de l'intelligence…
Le 5 février 1778, après avoir envoyé devant lui en reconnaissance Mme Denis, Voltaire part sans autorisation pour Paris et y arrive le 19. Sa présence soulève la foule, les visiteurs se pressent à son domicile, la loge des Neuf-Sœurs lui donne l'initiation. L'Académie française lui fait présider une de ses séances, la Comédie-Française – où l'on joue sa pièce Irène – fait couronner son buste sur la scène en sa présence.

Voltaire meurt le 30 mai, en pleine gloire. Son cadavre, auquel le curé de Saint-Sulpice et l'archevêque de Paris refusent la sépulture, est transporté clandestinement et inhumé dans l'abbaye de Seillières par son neveu, l'abbé Vincent Mignot.
Après la Révolution, le 11 juillet 1791, son corps entre en grande pompe au Panthéon, accompagné par l'immense cortège des citoyens reconnaissants, lors de la première cérémonie révolutionnaire qui se déroule sans la participation du clergé. Son épitaphe porte ces mots : « Il combattit les athées et les fanatiques. Il inspira la tolérance, il réclama les droits de l'homme contre la servitude de la féodalité. Poète, historien, philosophe, il agrandit l'esprit humain, et lui apprit à être libre. »

2. L'ŒUVRE DE VOLTAIRE
2.1. LE VOLTAIRE HISTORIEN
2.1.1. UNE NOUVELLE MÉTHODE HISTORIQUE

Voltaire a voulu que l'histoire soit philosophique et n'a cessé de faire avancer parallèlement ses travaux historiques et ses réflexions sur les méthodes et les objectifs de l'historien. Parti d'une conception épique et dramatique, qui a pu faire dire que la Henriade était une histoire en vers et l'Histoire de Charles XII une tragédie en prose, il a voulu ensuite faire le tableau d'un moment de haute civilisation dans un pays (le Siècle de Louis XIV), puis retracer l'histoire de la civilisation dans l'univers entier, en commençant au point où Bossuet avait arrêté son Discours sur l'histoire universelle (Essai sur les mœurs et l'esprit des nations et sur les principaux faits de l'histoire depuis Charlemagne jusqu'à Louis XIII, qui devait d'abord être une Histoire générale ou une Histoire de l'esprit humain).
Voltaire entend respecter plusieurs principes, qu'il a de mieux en mieux précisés avec le temps : les faits doivent être exactement établis, contrôlés par la consultation des témoins oculaires et des documents écrits ; tout ce qui est contraire à la raison, à la vraisemblance et à la nature doit être écarté ; les récits légendaires et les miracles n'ont pas leur place dans une œuvre historique, sauf comme exemples de la crédulité et de l'ignorance des siècles passés. Voltaire reproche à ses prédécesseurs et à ses contradicteurs moins leur manque de connaissances que leur manque de jugement. Il s'acharne à dénoncer leurs « bévues » et leurs « sottises ».
Tous les faits, même avérés, ne sont pas à retenir : l'érudition historique a réuni depuis le début du xviie s. une immense documentation, et le critère du tri à faire dans cette documentation est la signification humaine des faits. De sorte que Voltaire s'intéresse moins aux événements, batailles, mariages, naissances de princes, qu'à la vie des hommes « dans l'intérieur des familles » et « aux grandes actions des souverains qui ont rendu leurs peuples meilleurs et plus heureux ». Il ne renonce pas à raconter : l'Histoire de Charles XII est une narration. Les chapitres narratifs dans le Siècle de Louis XIV sont les plus nombreux, mais le récit est rapide et clair. Il vaut une explication et il comporte une signification critique, parfois soulignée d'un trait d'ironie.
Les idées, la religion, les arts, les lettres, les sciences, la technique, le commerce, et ce que Voltaire appelle les « mœurs » et les « usages », occupent une place croissante : ils constituent la civilisation, dont Voltaire écrit l'histoire, sans la nommer, puisque le mot n'existait pas encore.

2.1.2. TROIS CAUSES À L'ŒUVRE DANS L'HISTOIRE
Voltaire voit agir dans l'histoire trois sortes de causes : les grands hommes, le hasard et un déterminisme assez complexe, où se combinent des facteurs matériels – comme le climat et le tempérament naturel des hommes – et des facteurs institutionnels, comme le gouvernement et la religion. De ces dernières causes, il ne cherche pas à démêler le « mystère » : il lui suffit d'affirmer que tout s'enchaîne. Le hasard est ce qui vient dérouter les calculs humains, les petites causes produisant les grands effets. Ici encore, Voltaire est en garde contre une explication trop ambitieuse de l'histoire. Quant aux grands hommes, ils peuvent le mal comme le bien, selon leur caractère et selon le moment où ils apparaissent. Ceux qui comptent aux yeux de l'historien sont ceux qui ont conduit leur pays à un sommet de civilisation : Périclès, Philippe de Macédoine et Alexandre le Grand dans la Grèce antique ; César et Auguste à Rome ; les Médicis au temps de la Renaissance italienne ; Louis XIV dans la France du xviie s.
Voltaire n'ignore pas que ces grands hommes ont rencontré des circonstances favorables et ont été puissamment secondés, qu'ils n'ont pas tout fait par eux-mêmes, que, dans l'intervalle des siècles de « génie », l'humanité a continué à progresser. Mais son scepticisme et son pessimisme sont plus satisfaits de reporter sur quelques individus exceptionnels l'initiative et la responsabilité de ce qui fait le prix de la vie humaine.

2.1.3. UNE HISTOIRE POLÉMIQUE

Voltaire écrit l'histoire également en polémiste et, malgré son désir de tout comprendre, en civilisé de l'Europe occidentale. Ses jugements sont orientés par les combats philosophiques, par les problèmes propres à son époque et par les intérêts d'un homme de sa culture et de son milieu. Il est assez mal informé des mécanismes économiques. Il considère comme plus agissantes les volontés humaines. Il a délibérément renoncé à rendre compte du mouvement de l'histoire par un principe philosophique, métaphysique, sociologique ou physique : il pense que l'histoire, à son époque, doit devenir une science, non pas parce qu'elle formulera des lois générales, mais parce qu'elle établira exactement les faits et déterminera leurs causes et leurs conséquences.
Plusieurs de ces défauts qu'on reproche à Voltaire sont sans doute des qualités. En tout cas, les discussions actuelles sur l'ethnocentrisme ou sur la possibilité d'une histoire scientifique prouvent qu'on ne peut opposer à la conception voltairienne de l'histoire que des conceptions aussi arbitraires. Il reste que Voltaire a débarrassé l'histoire de la théologie et de toute explication par la transcendance, et qu'il l'a, en sens inverse, arrachée à l'événementiel, à la collection minutieuse de faits particuliers.
Historien humaniste, Voltaire a établi un ordre de valeurs dans les objets dont s'occupe l'histoire, mettant au premier rang le bonheur sous ses formes les plus évoluées. Il a ainsi fait apparaître un progrès que l'historien ne doit pas seulement constater, mais auquel il doit contribuer en inspirant l'horreur pour les crimes contre l'homme. Au récit des actions commises par les « saccageurs de province [qui] ne sont que des héros » (Lettre à A.M. Thiriot, 15 juillet 1735), il a tenté de substituer le récit d'une action unique : la marche de l'esprit humain.

LES PRINCIPAUX ESSAIS HISTORIQUES DE VOLTAIRE
2.2. LE VOLTAIRE DRAMATURGE
Au théâtre, l'échec est presque complet, si l'on met à part l'utilisation de la scène comme d'une tribune. Voltaire aimait trop le théâtre : l'histrion en lui a tué le dramaturge, qui, pourtant, avait des idées nouvelles et n'avait pas en vain essayé de comprendre Shakespeare – dont il reste le principal introducteur en France. Son plus grand succès théâtral fut Zaïre (1732) : la pièce a été traduite dans toutes les langues européennes et jouées par les comédiens-français 488 fois jusqu'en 1936.
Il y a certes de beaux passages, du pathétique, du chant dans les tragédies d'avant 1750 (Zaïre, 1732 ; Mérope, 1743). Mais peut-être faudrait-il mettre toutes les autres en prose pour faire apparaître leurs qualités dramatiques. On peut trouver un réel intérêt à quelques pièces en prose, étrangères à toute norme, comme Socrate (1759) ou l'Écossaise (1760) : pour Voltaire, c'était d'abord des satires, elles ont pourtant un accent moderne qui manque trop souvent aux drames de Diderot, Sedaine et Mercier.

LES PRINCIPALES PIÈCES DE VOLTAIRE
2.3. LE VOLTAIRE PHILOSOPHE
2.3.1. LE REFUS DE LA MÉTAPHYSIQUE

Si le philosophe est celui dont toutes les pensées, logiquement liées, prétendent élucider les premiers principes de toutes choses, Voltaire n'est pas un philosophe. Ce qu'il appelle philosophie est précisément le refus de la philosophie entendue comme métaphysique. Qu'est-ce que Dieu, pourquoi et quand le monde a-t-il été créé, qu'est-ce que l'infini du temps et de l'espace, qu'est-ce que la matière et qu'est-ce que l'esprit, l'homme a-t-il une âme et est-elle immortelle, qu'est-ce que l'homme lui-même ? Toutes ces questions posées par la métaphysique, l'homme ne peut ni les résoudre ni les concevoir clairement. Dès qu'il raisonne sur autre chose que sur des faits, il déraisonne. La science physique, fondée sur l'observation et l'expérience, est le modèle de toutes les connaissances qu'il peut atteindre. Encore n'est-il pas sûr qu'elle soit utile à son bonheur.
L'utilité est en effet le critère de ce qu'il faut connaître, et le scepticisme, pour Voltaire comme pour la plupart des penseurs rationalistes de son temps, le commencement et la condition de la philosophie. Mais le doute n'est pas total. Il épargne quelques fortes certitudes :
– que l'existence du monde implique celle d'un créateur, car il n'y a pas d'effet sans cause, et que ce créateur d'un monde en ordre est souverainement intelligent ;
– que la nature a ses lois, dont l'homme participe par sa constitution physique, et que des lois morales de justice et de solidarité, dépendant de cette constitution, sont universellement reconnues, même quand elles imposent des comportements contradictoires selon les pays ;
– que la vie sur cette terre, malgré d'épouvantables malheurs, mérite d'être vécue ;
– qu'il faut mettre l'homme en état de la vivre de mieux en mieux et détruire les erreurs et les préjugés qui l'en séparent.

2.3.2. LE REFUS DE L'ESPRIT DE SYSTÈME
Parce que son argumentation devait changer selon ses adversaires, Voltaire n'hésita pas à se contredire en apparence, unissant en réalité dans des associations toujours plus riches les arguments qu'il employait successivement. Ainsi, le tremblement de terre de Lisbonne lui sert, en 1759, à réfuter Leibniz et Alexander Pope, mais la sécurité des voyages « sur la terre affermie » lui sert, en 1768, dans l'A.B.C., à rassurer ceux qui ne voient dans la création que le mal. La métaphysique de Malebranche est sacrifiée vers 1730 à la saine philosophie de Locke et de Newton, mais l'idée malebranchiste du « Tout en Dieu » est développée dans un opuscule de 1769 et mise au service d'un déterminisme universel déiste, opposé et parallèle au déterminisme athée.
Voltaire ignore la pensée dialectique. Il ne sait pas faire sortir la synthèse du heurt entre la thèse et l'antithèse. Il ne peut qu'appuyer, selon le cas, sur le pour ou sur le contre, non pour s'installer dans un juste milieu, mais pour les affirmer comme solidaires, chacun étant la condition et le garant de l'autre. Ce faisant, il ne se livre pas à un vain jeu de l'esprit. Il est persuadé qu'une vue unilatérale mutile le réel et que, dans l'ignorance où est l'homme des premiers principes et des fins dernières, le sentiment des contradictions assure sa liberté.

2.3.3. LA PHILOSOPHIE COMME MORALE

Toute la philosophie se ramène ainsi à la morale, non pas à la morale spéculative, mais à la morale engagée, qui peut se faire entendre sous n'importe quelle forme : tragédie, satire, conte, poème, dialogue, article de circonstance, aussi bien que sous l'aspect consacré du traité. Voltaire a pourtant été obsédé par les questions qu'il déclare inutiles et insolubles : elles sont au cœur de ses polémiques.
Son esprit critique se dresse contre un optimisme aveugle fondé sur un acte de foi ou sur des raisonnements à la Pangloss, ce personnage de Candide (1759). Dès le début, il n'est optimiste que par un acte de volonté. Son poème le Mondain, si on le lit bien, fait la satire d'un jouisseur que n'effleure aucune inquiétude. Ses malheurs personnels ont confirmé à Voltaire l'existence du mal. Dire qu'il a été bouleversé et désemparé par le tremblement de terre de Lisbonne, c'est gravement exagérer. Mais il s'en prend aux avocats de la Providence avec irritation et tristesse, parce qu'il refuse de crier « tout est bien » et de justifier le malheur.
Voltaire condamne tout aussi énergiquement ceux qui calomnient l'homme, les misanthropes comme Pascal, et, croyant en un Dieu de bonté, il déteste l'ascétisme et la mortification. Il lui faut se battre sur deux fronts, puis sur trois quand entre en lice l'athéisme matérialiste.
Une aptitude sans égale, au moment où il affirme une idée, à saisir et à préserver l'idée contraire, une adresse géniale à l'ironie, qui est le moyen d'expression de cette aptitude, telles sont les qualités de Voltaire philosophe. Sa pensée est inscrite dans l'histoire de l'humanité. Il a passionné plusieurs générations pour la justice, la liberté, la raison, l'esprit critique, la tolérance. On peut redemander encore à son œuvre toute la saveur de ces idéaux, si l'on a peur qu'ils ne s'affadissent.

LES PRINCIPAUX OUVRAGES PHILOSOPHIQUES DE VOLTAIRE
2.4. LE VOLTAIRE CONTEUR

L'ironie voltairienne est intacte dans les romans et les contes « philosophiques », parce qu'ils n'ont pas été écrits pour le progrès de la réflexion ou de la discussion, mais pour le plaisir, en marge des autres œuvres. Voltaire y a mis sa pensée telle qu'il la vivait au plus intime de son être. Elle s'y exprime dans le jaillissement, apparemment libre, de la fantaisie. Ce qui est ailleurs argument polémique est ici humeur et bouffonne invention.
La technique du récit, le sujet des Contes, leur intention ont changé selon les circonstances de la rédaction : Micromégas est plus optimiste, Candide plus grinçant, l'Ingénu plus dramatique, l'Histoire de Jenni plus émue. Ils sont l'écho des préoccupations intellectuelles de Voltaire et de sa vie à divers moments (Zadig [1748] écrit en référence au « roi-philosophe » Frédéric II).
Mais dans tous, Voltaire s'est mis lui-même, totalement, assumant ses contradictions (car il est à la fois Candide et Pangloss) et les dépassant (car il n'est ni Pangloss ni Candide), répondant aux questions du monde qui l'écrase par une interrogation socratique sur ses expériences les plus profondes. Car l'ironie y est elle-même objet d'ironie. Elle enveloppe le naïf, dont les étonnements font ressortir l'absurdité des hommes et la ridiculisent. Elle vise non plus seulement les préjugés et la sottise, mais l'homme en général, être misérable et fragile, borné dans ses connaissances et dans son existence, sujet aux passions et à l'erreur, qui ne peut pas considérer sa condition sans éclater de rire. Ce rire n'anéantit pas ses espérances ni la grandeur de ses réussites, mais signale leur relativité (voyez Micromégas). La finitude et la mort frappent d'ironie toute existence humaine : en épousant l'ironie du destin, en ironisant avec les dieux, l'homme échappe au ridicule, s'accorde à lui-même et à sa condition, et se donne le droit d'être grand selon sa propre norme.
L'ironie de Voltaire est libération de l'esprit et du cœur. Ce que sa pensée peut avoir de rhétorique, de tendancieux, de court quand elle s'exprime dans des tragédies, des discours en vers ou même dans des dialogues, est brûlé au feu de l'ironie. Voltaire n'est dupe d'aucune imposture, d'aucune gravité. Il s'évade par le rire et rétablit le sérieux et le sentimental sans s'y engluer. Il ne court pas le risque de tourner à vide, de tomber dans le nihilisme intellectuel et moral du « hideux sourire » (selon les vers d'Alfred de Musset : « Dors-tu content, Voltaire, et ton hideux sourire/Voltige-t-il encor sur tes os décharnés ? », Rolla, 1833). Nullement dérobade d'un esprit égoïste qui ricanerait de tout et ne voudrait jamais s'engager, l'ironie voltairienne est appel au courage et à la liberté. Elle est généreuse.
LES PRINCIPAUX CONTES DE VOLTAIRE


PLAN
*        
    *         1. LA VIE DE VOLTAIRE
        *         1.1. La formation initiale (1694-1713)
        *         1.2. Première expérience de l’écriture polémique (1713-1726)
        *         1.3. Séjour en Angleterre (1726-1728)
        *         1.4. Retour en France : spéculation financière et clandestinité (1728-1734)
        *         1.5. La retraite à Cirey (1734-1750)
        *         1.6. Auprès de Frédéric II de Prusse (1750-1754)
        *         1.7. Le patriarche (1754-1778)
    *         2. L'ŒUVRE DE VOLTAIRE
        *         2.1. Le Voltaire historien
        *         2.2. Le Voltaire dramaturge
        *         2.3. Le Voltaire philosophe
        *         2.4. Le Voltaire conteur

Chronologie

*         1747 Zadig ou la Destinée, conte philosophique de Voltaire.
*         1751 Le Siècle de Louis XIV, ouvrage historique de Voltaire.
*         1751-1772 Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, publication dirigée par D. Diderot, précédée du Discours préliminaire de d'Alembert, à laquelle participèrent outre Voltaire, Montesquieu et Rousseau, des médecins et des ingénieurs.
*         1759 Candide, conte de Voltaire.

 

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