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LE CLAVECIN

 

 

 

 

 

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clavecin


Famille d'instruments à clavier dont les cordes sont mises en vibration par un mécanisme comportant un plectre. De forme, d'étendue et de dimensions variables, le clavecin a été employé dans toute l'Europe dès le milieu du xve siècle, pour ensuite disparaître presque complètement de la vie musicale vers 1800, cédant ainsi la place à un instrument totalement différent et correspondant mieux à l'évolution du goût à cette époque : le piano-forte. Redécouvert par quelques pionniers au début du xxe siècle, le clavecin a progressivement retrouvé son langage propre tout en élargissant son répertoire par l'augmentation de ses possibilités. Sous l'action conjuguée des compositeurs et de certains facteurs d'instruments, on assiste aujourd'hui à la naissance d'un clavecin nouveau mis à la disposition d'interprètes de talent défendant courageusement la musique de leur temps.

Les origines
On ne sait pas avec précision à quelle date apparaît le clavecin en Europe. Son nom nous est révélé pour la première fois, sous la forme latine clavicymbalum, dans un poème en bas allemand de 1404, Der Minne Regeln. On pense généralement que ce nouvel instrument résulte de la combinaison, réalisée par un artisan inconnu, d'un instrument à cordes à caisse trapézoïdale d'origine arabo-persane, le « qâ nun », avec un clavier à touches étroites comme ceux des orgues portatifs ou positifs. Dès 1420, de nombreux témoignages iconographiques attestent la rapidité de sa diffusion. Vers 1440, un traité capital révèle les règles de construction de divers instruments parmi lesquels figure en bonne place le clavicimbalum. Rédigé par Henri Arnaut de Zwolle (v. 1400-1466), physicien et astronome du duc de Bourgogne Philippe le Bon, puis de Louis XI, ce manuscrit constitue le seul traité de construction de toute l'histoire de la facture de clavecins. Le plan très précis du clavicimbalum qui nous est proposé a de quoi surprendre le lecteur ; en effet, toutes les dimensions de l'instrument sont indiquées par rapport à un « module » de base qui sera ensuite reporté selon une « série » mathématique précise (1, 2, 3, 5, 8, 13…). Aucune dimension mesurée n'est indiquée et toutes les reconstitutions actuelles sont des hypothèses qui s'appuient principalement sur la largeur des touches du clavier. Les plus vraisemblables de ces reconstitutions conduisent à un instrument relativement court à la courbe très prononcée ­ un arc de cercle parfait ­, tendu d'un seul rang de cordes de fer. Son étendue est de trois octaves (35 notes de si à la) et sa sonorité extrêmement brillante et percutante s'explique à la fois par le faible volume de la caisse de résonance, par les plectres de bronze qui mettent les cordes en vibration, et par l'absence de tout système d'étouffoir. Cette dernière particularité contraint l'interprète à adopter un tempo plus que modéré s'il veut éviter toute confusion.

Il n'y a pas à cette époque de littérature spécifique spécialement destinée au clavicimbalum. Son clavier lui permet cependant d'aborder les transcriptions de messes polyphoniques ou bien les tablatures d'orgue d'un Conrad Paumann, dont le Fundamentum Organisandi voit le jour en 1452. Son encombrement réduit et sa légèreté lui permettent sans doute aussi de participer à des musiques de divertissement où son éclat et la précision de son timbre lui permettent de soutenir quelque « danserye ».
Certains regretteront peut-être que le quatrième dispositif décrit par Henri Arnaut de Zwolle pour mettre les cordes en vibration ait été si rapidement oublié : il s'agissait d'une sorte de levier comportant un « crampon » métallique, projeté contre la corde par la touche du clavier. Oublié pendant trois siècles, il devait être redécouvert ensuite pour devenir… le marteau du piano-forte !

Le fonctionnement
Dès le milieu du xve siècle, le principe directeur du clavecin est acquis. Il restera identique, plus ou moins amplifié, jusqu'à la fin du xviiie siècle. Ce principe est simple : un certain nombre de cordes métalliques, de longueur décroissante et correspondant chacune à une note de la gamme, sont tendues au moyen de chevilles d'accord entre deux points fixes. L'un de ces points fixes est destiné à transmettre et amplifier la vibration des cordes, au moyen de la table d'harmonie, véritable membrane de bois mince qui agit à la façon d'une peau de tambour. Le second point fixe est placé sur une partie généralement non résonnante. La réunion de ces différents points constitue respectivement le chevalet et le sillet. Le mécanisme de mise en vibration de chaque corde, le sautereau, est constitué d'une mince réglette de bois (d'environ 14 X 3 mm de section dans un clavecin classique) armée d'un plectre à sa partie supérieure. Ce plectre, jadis en plume de corbeau et maintenant souvent remplacé par un matériau de synthèse, est enchâssé dans une languette de bois dur susceptible de pivoter autour d'un minuscule axe métallique. Un infime ressort, autrefois tiré d'une soie de sanglier, maintient cette languette en position verticale de repos. Lorsque l'on enfonce une touche du clavier, le sautereau qui repose sur l'arrière de la touche se soulève d'autant, guidé dans sa course par une réglette de bois percée de mortaises : le registre. Le plectre qui se trouvait sous la corde accroche ou « pince » celle-ci dans son mouvement ascendant, la mettant ainsi en vibration. La corde « sonne » jusqu'à ce que ses vibrations s'éteignent par perte d'énergie. Relâche-t-on cette même touche ? Le sautereau retombe par son propre poids, son plectre rencontre à nouveau la corde dans un mouvement inverse qui oblige la languette à basculer autour de son axe, laissant ainsi échapper la corde sans émission de son. Toute vibration parasite est évitée grâce à un étouffoir de drap ou de feutre qui coiffe le sautereau. À chaque touche du clavier correspond au moins une corde mise en vibration par un sautereau.

S'il a existé des clavecins à une corde seulement pour chaque note, les facteurs ont eu bientôt l'idée ­ inspirés peut-être en cela par les facteurs d'orgues ­ d'ajouter une seconde corde, accordée à l'unisson ou à l'octave de la première, créant ainsi des « jeux » supplémentaires. Ces jeux posséderont chacun leur propre rang de sautereaux sur des registres séparés qui pourront être mis « en jeu » ou « hors jeu » au moyen de mécanismes simples actionnés par le musicien. Par analogie avec l'orgue, l'arrangement des différents jeux d'un clavecin est appelé sa « disposition ».
Si nous ajoutons que tout clavecin doit posséder une caisse de résonance close ­ à l'inverse de celle du piano moderne ­, nous aurons résumé tous les éléments spécifiques propres à cet instrument. Tous les clavecins dignes de ce nom possèdent ces caractères généraux, mais leur structure ainsi que leur disposition ont sans cesse varié selon les époques ou selon les régions, aboutissant ainsi à des instruments d'esthétique et de sonorité différentes que l'on a l'habitude de regrouper au sein de plusieurs grandes écoles.

La facture italienne
Celle-ci représente un cas particulier parmi toutes les écoles européennes de facture de clavecins. En effet, ses caractères dominants se retrouvent tout au long de son histoire, pendant près de trois siècles, sans que le schéma initial né vers 1500 subisse de profondes altérations : tout se passe comme si l'instrument primitif avait été parfait dès le début de son histoire. Seules des modifications mineures (étendue, suppression ou adjonction d'un jeu, mise à d'autres diapasons, etc.) attestent, par ces déviations par rapport au schéma type, la vitalité et la créativité d'un art qui a toujours su éviter la monotonie.
Historiquement et technologiquement, l'école italienne est celle qui suit au plus près le principe directeur « bourguignon » légué par Henri Arnaut de Zwolle au milieu du xve siècle. Historiquement d'abord, les clavecins les plus anciens sont dus à des facteurs italiens, à une exception près. Il ne se passe « que » soixante ans environ entre la rédaction du célèbre traité et les premiers instruments qui nous sont parvenus. Techniquement ensuite, ces premiers facteurs ont suivi de très près la construction « harmonique » dans l'élaboration de leurs plans et de leurs tracés. À l'examen, on devine aisément l'existence d'un « module » de base qui se retrouve, multiplié ou réduit, dans toutes les parties de l'instrument. L'un de ces modules, et le plus évident, est la conséquence d'une loi physico-acoustique qui veut qu'une corde sonore, d'un matériau et d'un diamètre donnés, sous une tension égale, sonne une octave en dessous d'une corde de référence moitié moins longue. C'est cette constatation qui régit l'ensemble de la production italienne pendant ces trois siècles en incitant les facteurs à adopter la « règle de la juste proportion » pour le tracé de leur plan de cordes. La longueur de la corde correspondant à l'ut de 1 pied (1') est souvent prise pour module, et cette valeur (comprise entre 280 et 300 mm) sera simplement doublée d'octave en octave sur presque toute l'étendue du clavecin. Cette construction quasi mathématique va conférer au clavecin italien sa caractéristique visuelle principale qui est une courbe extrêmement prononcée. L'éclisse courbe est en effet parallèle au chevalet dont la place est déterminée par la longueur des cordes. On observe cependant une altération de la « juste proportion » dans le grave, de façon à ne pas obtenir un instrument exagérément long et fragile, ainsi que des cordes molles et sans timbre. La pointe du chevalet est alors simplement brisée par l'emploi d'une courte portion droite soutenant les cordes les plus longues. Sous l'aspect de la fabrication proprement dite, le clavecin italien est une caisse fermée, d'une ligne très élancée, construite avec des matériaux de faible épaisseur. Son poids en est donc relativement réduit. À titre d'exemple, un instrument dû au facteur Trasuntino, daté de 1538, pèse seulement 12 kg, clavier compris, pour une longueur de 2,08 m ! C'est donc une technique de fabrication qui s'apparente encore beaucoup à la lutherie proprement dite.
Sur le plan pratique, la caisse est construite à partir d'un fond en sapin dont l'épaisseur varie de 10/11 à 21/22 mm selon les instruments. Ce fond est parfois consolidé par des traverses « en écharpe », clouées et collées diagonalement pour renforcer l'assemblage. Sur cette assise plane seront fixées, par simple collage ou par encastrement, des équerres qui supporteront une « couronne de contre-éclisses » servant ultérieurement d'appui à la table d'harmonie. Des arcs-boutants partant du fond et rejoignant les contre-éclisses viennent encore rigidifier cette charpente sans nuire à sa légèreté. Le sommier qui recevra les chevilles d'accord est généralement issu d'un bloc de noyer et est fixé solidement sur des supports en ménageant un espace ou « fosse » à l'avant de la table, espace destiné au passage des registres. Il est à noter que la majorité des instruments italiens anciens comportent une « fosse » placée en oblique par rapport au sommier et au clavier : le registre est ainsi plus éloigné du clavier au grave qu'à l'aigu. Nous retrouvons là une préoccupation majeure des facteurs pour tenter de maintenir une harmonie entre les rapports des points de pincement de chaque corde sur toute l'étendue du clavier. Les éclisses sont ensuite collées sur la périphérie de cette charpente. Ce sont des planches minces, de 3 à 6 mm d'épaisseur et de 180 à 200 mm de largeur, généralement en cyprès mais aussi parfois en noyer. Après assemblage, ces éclisses ainsi que le bas de la caisse seront ornés de moulures au profil très accentué. Moulures ornementales, certes, mais qui joueront surtout le rôle de renforts destinés à rigidifier ces surfaces déformables, sans augmenter sensiblement le poids de l'ensemble. La table d'harmonie est préparée, généralement, à partir d'un assemblage de minces feuillets de cyprès, mais parfois aussi d'épicéa, puis dotée de son barrage (armature de la face interne destinée à délimiter avec précision des aires de vibration) et de son chevalet (baguette moulurée et cintrée qui transmet les vibrations à la table). Cette table est collée sur les contre-éclisses et prête à recevoir, après « division » et « pointage », un ou deux rangs de cordes très fines, généralement en fer et en laiton.
Il n'entre donc dans l'élaboration de la caisse des instruments italiens que des matériaux légers et résonnants. Cette légèreté conduisant à une relative fragilité, le clavecin italien est contenu dans un étui ou « caisse extérieure » en bois plus massif. C'est cette caisse qui recevra le couvercle et c'est sur celle-ci que s'exercera le talent des peintres et des ornemanistes, car l'instrument lui-même est toujours laissé nu, dans la beauté du bois soigneusement poli. Un piètement qui peut aller jusqu'à l'extravagance supporte le tout, lorsque le clavecin est fixé à demeure. En cas de déplacement fréquent ­ les princes n'aiment-ils pas être accompagnés de leurs musiciens ? ­ une table peut le recevoir, deux tréteaux permettent d'en jouer.
Une autre singularité intéressante est l'adoption systématique par les facteurs italiens ­ et par les musiciens, par conséquent ­ d'un clavecin à un seul clavier dont l'étendue reste longtemps fixée autour de quatre octaves. Pour cette étendue, représentant 49 notes, le clavier ne comprend souvent que 45 touches, l'octave la plus grave étant amputée de certains demi-tons. Cela résulte de l'accord particulier des instruments à clavier préconisé jusqu'au milieu du xviiie siècle au moins. Cet accord, dit « à tempérament inégal », avait pour cause l'impossibilité de diviser l'octave en douze demi-tons égaux en conservant des intervalles (tierce, quinte, etc.) acoustiquement « justes ». Les musiciens « trichaient » donc en favorisant certaines tonalités au détriment de certaines autres, peu employées (fa dièse mineur, par exemple). Tous les systèmes gravitant autour de ce principe avaient pour énorme avantage de rendre l'œuvre musicale « expressive » par sa tonalité même. En revanche, le nombre de tonalités autorisées était plus restreint, d'où la présence de cette « courte octave » dans les claviers de l'époque, dans une région sonore où la main gauche ne réalise que l'harmonie. Générale au xvie siècle et pendant presque tout le xviie, cette pratique disparut peu à peu, à mesure que l'étendue des claviers augmentait pour atteindre quatre octaves et une quinte, entièrement chromatiques, au xviiie siècle.
Avec ses deux seuls jeux de « huit pieds » (8') et son clavier unique, le clavecin italien possède une vie et une présence indiscutables. La légèreté des matériaux favorise une attaque du son très mordante suivie d'un son très coloré et relativement peu soutenu. Son timbre lumineux ne pardonne pas la moindre erreur de phrasé ; mais qu'il soit servi par un musicien sensible et averti, qu'il soit surtout accordé selon l'un des « tempéraments inégaux », alors il servira mieux que n'importe quel autre les œuvres étonnantes qu'ont écrit pour lui Giovanni Picchi, Salomone Rossi, Girolamo Frescobaldi, ou… les « virginalistes » anglais !

La péninsule Ibérique
Fort peu de chose distingue la facture italienne de celle de la péninsule, ce qui est assez normal compte tenu de l'étroitesse des liens qui ont uni ces deux régions sous l'Ancien Régime. Plan et matériaux y sont identiques et seuls quelques éléments du décor accusent des différences sensibles. Il faut cependant reconnaître que peu de clavecins espagnols ou portugais antérieurs au xviiie siècle nous sont parvenus. En revanche, les instruments portugais de la fin du xviiie qui ont survécu permettent peut-être de résoudre le problème posé par certaines sonates de Domenico Scarlatti. On sait que plusieurs sonates du Napolitain dépassent l'étendue des plus grands clavecins construits en Europe à son époque, et atteignent le sol aigu, alors que les instruments italiens atteignent tout juste le mi. Plusieurs instruments existent, qui permettent d'élaborer une hypothèse satisfaisante, deux parmi ceux-ci atteignant le la aigu (instruments de Manuel Anjos Leo de Beja – 1700 et Joze Antunes – 1789). Au service de Maria Barbara, ex-infante du Portugal, reine d'Espagne, pour qui il a composé de nombreuses « sonates », Scarlatti ne peut avoir ignoré de tels instruments et c'est peut-être dans cette voie que l'on peut souhaiter une plus grande authenticité dans l'interprétation de ses œuvres.

La facture flamande
Vouloir esquisser une histoire du clavecin en Europe revient, en fait, à étudier plus particulièrement deux pays : l'Italie et les Flandres. Issues toutes deux du vieux tronc commun « bourguignon », leurs caractéristiques spécifiques divergent sensiblement au milieu du xvie siècle. Tandis que l'Italie influence la facture espagnole et portugaise, les Flandres inspirent fortement les facteurs français, allemands et anglais. Comme celle de tout produit manufacturé important, l'histoire du clavecin, en Flandres, reflète l'histoire politique et économique de ses principaux centres. Dès le xive siècle, Bruges jouit d'une opulence incontestée due à sa situation géographique lui permettant d'offrir au commerce l'un des plus fameux ports de l'Europe du Nord. Malheureusement, l'envasement progressif de ses accès, dès le milieu du xve siècle, donne l'avantage à Anvers. Toute la vie artistique brugeoise y est transférée et le trafic international dont bénéficie la ville à cette époque porte loin des frontières le renom de la cité. Parmi toutes les activités que cette opulence naissante contribue à développer, la facture instrumentale tient une place non négligeable. Dès le xvie siècle, les nombreux facteurs de clavecins sont regroupés au sein de la « guilde de Saint-Luc », confrérie réunissant des peintres et des sculpteurs, et codifiant leurs activités. L'appartenance à cette guilde permet simplement aux facteurs de réaliser eux-mêmes la décoration de leurs clavecins. Il faut attendre une ordonnance de 1558 pour que dix d'entre eux, dont les noms sont ainsi passés à la postérité, soient reconnus comme facteurs à part entière.
Trois instruments seulement nous sont parvenus des cosignataires de cette ordonnance : celui de Joost Karest (1548), un autre de Martin Van der Biest (1580) et un troisième de Lodwijck Theewes (1579). L'instrument de Karest, un virginal conservé au Musée instrumental de Bruxelles, atteste d'une profonde influence italienne : plan polygonal, éclisses fines à moulures, présence d'une caisse extérieure. Mais des différences fondamentales l'éloignent du type traditionnel italien : clavier entièrement « en retrait », guidage des sautereaux par la table et par un guide séparé, et surtout adoption d'un module de cordes plus long que sur la plupart des instruments italiens (ut de 1' : 292 mm). Il s'agit donc d'un instrument hybride dû à un facteur né à un carrefour d'influences, Karest se disant lui-même « de Colonia ». L'étude de nombreux documents iconographiques confirme la présence de ce type d'instrument jusque dans la seconde moitié du xvie siècle.
On considère généralement que le clavecin flamand typique est dû à une dynastie de facteurs anversois, les Rückers, actifs pendant plus d'un siècle, et dont le fondateur, Hans Rückers « le Vieux » est admis à la guilde de Saint-Luc en 1579. Il meurt vraisemblablement en 1598, laissant à deux de ses fils, Johannes II (1578-1643) et Andreas I (1579-1654) le soin de continuer la tradition familiale. Admis tous deux comme membres de la guilde en 1610 et 1611, ceux-ci transmettent à Andreas II (1607 – apr. 1667) les secrets du métier. Le nom des Couchet, dont Johannes (1611-1655) est le plus illustre, est inséparable des précédents dans l'élaboration du clavecin flamand traditionnel.
La facture anversoise de cette époque se distingue de la facture italienne par ses conceptions et par ses procédés de fabrication. Dès la fin du xvie siècle, les Rückers adoptent une politique de « modèles » de clavecins pour des usages bien définis, modèles qu'ils reproduiront à de nombreux exemplaires sans modification. Ces modèles sont conçus pour se mêler aux autres instruments de musique groupés en familles homogènes depuis le début de la Renaissance. Pour les seuls clavecins, en plus de l'instrument « standard » accordé au ton, les ateliers anversois fabriquent des clavecins plus courts pour être accordés un ton ou une quinte au-dessus ou bien même à l'octave. Conception différente encore par le choix d'un module de cordes « long » (ut de 1' : 355/356 mm pour l'instrument au ton). La règle de la juste proportion est sensiblement corrigée par un raccourcissement progressif des cordes graves et un allongement sensible des cordes aiguës avec comme zone charnière la région des 2'. Il en résulte une courbe du chevalet peu prononcée. L'éclisse courbe n'est plus parallèle au chevalet, mais s'en écarte dans les basses alors qu'elle s'en rapproche à l'aigu.
La fabrication proprement dite est différente de celle pratiquée en Italie. Le clavecin ne sera pas élaboré en partant du fond, mais par assemblage successif des différentes éclisses montées « en l'air ». Matériaux et dimensions diffèrent aussi. Le tilleul, le peuplier ou le saule traités en fortes épaisseurs (13 à 14 mm pour les éclisses) sont seuls employés pour la fabrication de la caisse, le sommier étant constitué d'un fort bloc de chêne débité « sur quartier ». Chaque éclisse est assemblée à sa voisine par un joint « en mitre » assurant une cohésion suffisante de l'ensemble. L'habituelle couronne de contre-éclisses augmente encore la rigidité qui est accrue par un double système de traverses, coincées entre l'échine (grande éclisse droite) et la courbe. Les traverses inférieures sont perpendiculaires au fond ­ qui sera posé après le tablage et peut-être même le cordage du clavecin ­ tandis que les traverses supérieures ou arcs-boutants viennent résister à la tension des cordes, au niveau des contre-éclisses. La table est exclusivement constituée de feuillets d'épicéa d'une épaisseur variant, dans un même instrument, de 2 mm à 3,5/4 mm. Elle comporte un chevalet de 8' et un chevalet de 4'. Le barrage intérieur est assez complexe mais sert lui aussi à délimiter des aires de vibration précises. Entre la table et le sommier rectangulaire viennent se loger deux registres avec guide inférieur fixe. Le clavier unique comporte 45 touches pour une étendue de quatre octaves, la plus grave étant « courte ». Les « marches » (ou notes diatoniques) sont plaquées d'os blanchi et poli, pendant que les « feintes » (ou notes chromatiques) sont faites de blocs de chêne noirci.
Le clavecin type est tendu de deux rangs de cordes, laiton pour le grave et fer pour le reste. La disposition courante est généralement un jeu de 8' plus un jeu de 4', bien que l'on rencontre parfois des instruments ne possédant que deux 8'.
La nécessité de fournir des instruments de différentes tailles utilisés à des fins de transposition a conduit les facteurs anversois, dès la fin du xvie siècle, à concevoir et à réaliser un clavecin double réunissant l'instrument au ton et l'instrument transpositeur, tendu lui aussi de deux rangs de cordes (1 X 8' + 1 X 4'). La transposition est obtenue par deux claviers indépendants et décalés, placés l'un sous l'autre. Cette pratique que l'on conçoit assez mal de nos jours s'est maintenue jusque dans la seconde moitié du xviie siècle, période à laquelle les facteurs substituèrent des claviers alignés et accouplables qui devaient particulièrement s'illustrer pendant tout le xviiie siècle, sous l'appellation ­ moderne ­ de « clavecin contrastant ».
Les clavecins flamands sont abondamment décorés. La table est ornée d'un liseré d'arabesques et d'un semis de fleurs et de petits animaux. La « rose » qui comporte les initiales du facteur participe à cette composition et attire les regards avec sa couverture de feuilles d'or. L'intérieur du couvercle reçoit une garniture de papier moiré sur laquelle se détachent les grandes lettres d'une devise latine. Des papiers imprimés, comme celui dit « aux hippocampes », garnissent les éclisses situées au-dessus du clavier. Il n'y a plus de caisse extérieure, le clavecin étant suffisamment robuste. On peut donc peindre les éclisses, afin de ne pas laisser le bois à nu. Sauf commande spéciale, les motifs les plus couramment rencontrés sont les faux marbres, traités en bandes ou en médaillons sertis dans des imitations de ferrures. Le piètement, souvent composé de puissants et nombreux balustres, reflète bien l'opulence et le goût des citoyens prospères de la vieille cité commerçante.
La sonorité des clavecins flamands est plus robuste que celle des instruments italiens, et le son est plus soutenu, conséquence logique de la relative lourdeur de la construction. C'est sans doute cela, associé à une indéniable clarté, qui confère à ces instruments un caractère polyphonique très marqué, où chaque partie du discours sonore est intégralement respectée. Les « ricercari » et « fantaisies » d'un Jan Pieterszoon Sweelinck y sont particulièrement bien adaptées, de même que les œuvres de William Byrd et de John Bull, deux des plus prestigieux « virginalistes » anglais.
La tradition anversoise n'a pas disparu avec le dernier des Rückers et le xviiie siècle a vu s'amplifier le schéma initial légué par ces artisans. Afin de correspondre à la musique du jour, l'étendue des clavecins s'accroît pour atteindre cinq octaves complètes, à partir du fa, vers 1745-1750. La caisse de l'instrument s'allonge pour répondre aux longues cordes de l'extrême grave, le nombre des jeux est porté à trois (2 X 8' + 1 X 4') et l'on ajoute même un rang de sautereaux séparé, traversant le sommier en oblique et pinçant l'un des huit pieds tout près du sillet. La sonorité de ce jeu « nasal » est particulièrement riche en partiels aigus et contraste radicalement avec les autres jeux. Les noms de Johannes Daniel Dulcken (actif de 1736 à 1769), de Johannes Petrus Bull et de Jakob Van den Elsche doivent être associés à ces derniers feux du clavecin flamand, de même que l'original Albertus Delin qui œuvrait à Tournai entre 1743 et 1770.

La facture française
Nous avons vu précédemment que la Bourgogne était le lieu d'origine du clavicymbalum, et l'absence de documents contraires nous autorise à supposer que ce type d'instrument était répandu dans toute l'Europe cultivée d'alors. Les liens économiques et culturels privilégiés que le « grand duc d'Occident » entretenait avec les autres pays a certainement favorisé la rapide expansion du prototype décrit par Henri Arnaut de Zwolle. De nombreuses représentations en attestent dans des pays aussi divers que l'Angleterre, les Pays-Bas, l'Allemagne, la Suède et jusqu'en Istrie, ancienne dépendance vénitienne maintenant rattachée à la Yougoslavie.
Les facteurs ont dû s'intéresser rapidement à la construction de l'instrument à sautereaux, car les noms de plusieurs d'entre eux nous sont parvenus. En revanche, et c'est là le principal paradoxe de l'école française, pas un seul clavecin antérieur à la seconde moitié du xviie siècle n'a survécu. Curieuse situation où les textes sont nombreux (H. A. de Zwolle, Mersenne, Trichet, La Rousselière, l'Encyclopédie, etc.) et où les instruments font défaut.
Entre 1440 et 1636, année de la publication de l'Harmonie universelle du religieux Marin Mersenne, existe un trou de deux siècles sur lequel nous ne savons presque rien. L'instrument décrit par Mersenne semble s'inspirer de la tradition italienne : construction légère, éclisses fines et courbe prononcée supposant l'adoption assez rigoureuse de la règle de la juste proportion. L'instrument possède deux rangs de cordes et son clavier unique contient quatre octaves entièrement chromatiques, d'ut à ut.
Les quelques clavecins de la fin du xviie siècle qui nous restent montrent une amplification de ce schéma. Tous ces instruments possèdent deux claviers et n'ont apparemment jamais été des instruments transpositeurs, au sens flamand du terme. La caisse est plus imposante, sensiblement plus longue et plus large et les éclisses en noyer ou en sapin sont d'une épaisseur moyenne entre les mesures italiennes et les mesures flamandes. L'instrument est entièrement monté à partir d'un fond en sapin et, comme en Italie, adopte les équerres soutenant les éclisses et les contre-éclisses. Les facteurs empruntent cependant à leurs homologues du Nord des arcs-boutants renforçant la caisse à la hauteur des contre-éclisses. Un module assez long (de 302 à 320 mm pour l'ut de 1'), associé à une correction importante de la règle de la juste proportion, confère à ces instruments de la fin du siècle une courbe tenant le milieu entre celles des deux précédentes écoles. Tous ces clavecins sont tendus de trois rangs de cordes (2 X 8' + 1 X 4') et leur étendue maximum est de quatre octaves plus une quarte (de sol à ut) avec l'octave courte à la basse. Les facteurs qui ont le mieux illustré cette période portent les noms de Denis (toute une dynastie), Jaquet, Richard, Barbier, pour les facteurs parisiens, ou encore l'étonnant Vincent Thibaut de Toulouse pour la province.
À leurs successeurs revient le mérite d'avoir profondément modifié ces éléments afin de donner naissance au grand clavecin français du xviiie siècle. S'inspirant désormais plus étroitement des modèles flamands, les Nicolas Dumont (actif entre 1673 et 1708), Pierre Bellot (1675 – apr. 1732) et surtout Nicolas Blanchet (1660-1731) donnent naissance à des instruments à forte personnalité. Ceux-ci possèdent un ou deux claviers de plus de quatre octaves (fa à ré, fa à mi) faisant parler deux ou trois rangs de cordes (2 X 8' ou 2 X 8' + 1 X 4'). La construction de la caisse s'apparente à la méthode flamande, avec l'emploi systématique du tilleul comme matériau de base, la table étant, bien entendu, en épicéa. Le barrage, de même que la structure interne sont fidèlement dérivés des modèles flamands dont ils sont, parfois, la simple amplification. Un module de cordes assez long (compris entre 340 et 365 mm), associé à une règle de proportion radicalement corrigée (basses raccourcies et aigu allongé), confère à ces instruments un aspect robuste et puissant non dénué d'élégance. Si la décoration de la table s'inspire nettement des instruments anversois ­ avec plus de modelé, cependant ­, le décor extérieur ainsi que celui du couvercle reflètent les caractéristiques des styles et des ornements en vigueur à la cour de France. Le piètement ressortit lui-même beaucoup plus à l'histoire du siège qu'à celle de la facture instrumentale : balustres ou colonnes torses en bois naturel jusqu'à la fin du xviie siècle, pieds à gaine avec entretoises sous Louis XIV, solides pieds cambrés nerveusement sculptés de la Régence.
Les deuxième et troisième générations de facteurs français se contentent de parfaire ces modèles, grâce surtout à des mécaniques irréprochables et un timbre fortement caractérisé. Parmi ces facteurs, les Blanchet (François-Étienne Ier et II), Jean-Claude Goujon, les frères Hemsch, puis plus tard Pascal Taskin fournissent la cour et les musiciens parisiens, pendant que Collesse, Donzelague et Stirnemann à Lyon ou Sébastien Garnier à Reims honorent les commandes des amateurs provinciaux. À l'aube de la Révolution, le clavecin français typique est un instrument à un ou à deux claviers, d'une étendue de cinq octaves complètes (du fa au fa), possédant trois rangs de cordes (2 X 8' + 1 X 4'), que les inventions de Taskin (jeu de « peau de buffle », genouillères pour actionner les jeux) ou de Sébastien Érard (clavecin « mécanique ») ne préservent pas de la tourmente. Prudemment, certains facteurs commencent d'ailleurs à commercialiser des pianos-forte. Il n'y a pas, comme en Italie, de relative homogénéité du timbre des clavecins français. Un instrument de Vincent Thibaut, par exemple, ne préfigure en rien la sonorité d'un grand clavecin de Hemsch des années 1750. Au premier convient parfaitement la grandeur un peu hiératique des pièces de Chambonnières, Danglebert ou Louis Couperin, cependant que le second rend pleinement justice aux suites de François Couperin le Grand groupées en « ordres », ou à la prodigieuse invention des œuvres de Jean-Philippe Rameau. Ces derniers clavecins se caractérisent essentiellement par la somptuosité de leur grave, le moelleux du médium et la brillance parfois agressive de leurs aigus. Ils ne sont absolument pas « polyphoniques » et l'interprétation d'œuvres allemandes y est parfois problématique. Par contre, la musique française pour clavecin se montre toujours en parfaite adéquation avec le type d'instrument qui l'a vue naître.

Le ravalement des clavecins flamands
Les clavecins anversois ont été prisés, de tout temps, loin de leur pays et particulièrement en France. À la fin du xviie siècle, leur étendue s'avère trop restreinte et leur ancienne mécanique a du mal à rivaliser avec les claviers neufs parisiens. Les facteurs de la capitale agrandissent donc le vieil instrument tout en conservant la majeure partie des bois originaux, cause de ce timbre si recherché. Le clavecin est totalement mis en pièces, élargi et rallongé, les chevalets et sillets prolongés sont redivisés pour correspondre à la mesure de l'octave française, plus étroite que celle des Flandres. L'ensemble de la décoration est soit simplement retouché, soit entièrement refait au goût du jour. La mécanique (claviers, registres, sautereaux) est refaite à neuf selon l'étendue de la « musique nouvelle », et l'instrument plus que centenaire recommence une nouvelle vie sous le nouveau vocable de « Rückers-Blanchet » ou « Rückers-Taskin » ! Il y a, certes, différents degrés dans l'ampleur de ces reconstructions et certains instruments sont « ravalés » plusieurs fois. Cette opération, extrêmement coûteuse puisqu'elle s'élève au prix d'un bon clavecin neuf, devient la spécialité de certains facteurs parisiens qui y déploient une habileté diabolique. Ceux-ci proposent même parfois des « clavecins contrefaits de Flandres », totalement neufs mais qui ont l'honnêteté de se présenter comme tels ! C'est ainsi que les « petites affiches » de 1769 ont proposé « un clavecin du célèbre Goujon, tenant l'accord deux ans ( !), ayant pour titre Rückers, les claviers sont de Blanchet… ».
Ces pratiques ne parviennent pas à sauver « le royal et majestueux clavecin » de Balbastre d'une disparition certaine, alors que « le nouveau venu, cet instrument de chaudronnier » que fustige Voltaire fait peu à peu la conquête des cœurs et des esprits : ici commence l'histoire du piano.

La facture anglaise
Le style propre de la facture de clavecins en Angleterre ne s'affirme réellement qu'au cours du xviie siècle. Jusque-là coexistent, comme sur le continent, des instruments d'esthétique flamande ou italienne. C'est l'époque où tout instrument à sautereaux, quel qu'il soit, grand ou petit, reçoit l'appellation générique de virginal. Ce peut être un petit instrument à un rang de cordes du type rectangulaire comme à Anvers, ou bien de plan polygonal comme en Italie, comme cet instrument dit « de la reine Élisabeth » conservé au Victoria and Albert Museum de Londres. Ce terme peut aussi désigner un grand clavecin à un ou deux claviers ; ce dernier est souvent nommé dans les inventaires « a pair of virgynalles ». Les musicologues ont nommé cette époque féconde en œuvres pour clavier le siècle des « virginalistes », créant ainsi une confusion qui risque de conduire les interprètes à utiliser exclusivement de petits instruments pour les œuvres admirables d'un Orlando Gibbons, d'un John Bull ou d'un William Byrd.
Un « claviorganum » ­ combinaison d'un clavecin et d'un orgue ­ de 1579 construit par un Flamand installé à Londres, Lodewijck Theewes, nous permet de constater une légère dérive par rapport aux modèles anversois typiques. L'étendue est plus grande (quatre octaves chromatiques, de ut à ut), et la disposition comporte déjà trois rangs de cordes (2 X 8' + 1 X 4'). La structure de l'instrument reste cependant très « flamande ». À l'opposé, un clavecin de 1622, dû au facteur John Haward, révèle un plan directeur italien avec ses structures légères et sa courbe très prononcée. Le matériau est cependant typiquement britannique puisqu'il s'agit d'un instrument entièrement construit en chêne, à l'exception de la table d'harmonie, bien sûr. Son étendue dépasse les quatre octaves (de ut à mi chromatique, ou de sol à mi avec l'octave courte) mais sa disposition est inconnue.
Un instrument de transition construit en 1683 par Carolus Haward achève de nous dérouter. Son plan est articulé autour d'un module de cordes extrêmement court (257 mm pour l'ut de 1') et sa disposition ne comporte que deux 8'. Trois particularités signalent ce clavecin : l'éclisse courbe est raccordée à l'échine par une « contre-courbe », la caisse est construite entièrement en noyer, et l'on note pour la première fois l'emploi d'un rang de sautereaux séparé, pinçant un des 8' très près du sillet : le « lute stop » ou jeu nasal.
Il faut attendre l'établissement à Londres de deux émigrés pour voir la facture anglaise prendre un essor inouï. Le premier, Burkat Shudi (1702-1773) est d'origine suisse alors que le second, Jacob Kirkman (1710-1792) est né près de Strasbourg, à Bischwiller. Tous deux vont rationaliser la fabrication des clavecins au point d'imposer leur style pendant tout le xviiie siècle. Respectivement créés en 1730 et 1738, leurs ateliers bénéficient de cette révolution dans le travail artisanal qui naît à cette époque et qui prépare la grande révolution industrielle de l'Angleterre. Les clavecins ne sont plus élaborés un à un dans le secret des ateliers, avec chacun leur identité propre, mais au contraire à partir de modèles standards pratiquement immuables, reproduits identiquement par le moyen de la fabrication en série. On estime à environ deux mille clavecins la production totale des deux firmes sur une période de cinquante ans. Elle se répartit en clavecins à un clavier et à deux claviers en proportion à peu près égale. Trois modèles de base sont régulièrement fabriqués dans ces ateliers :
­ clavecins à 1 clavier à 2 X 8' ;
­ clavecins à 1 clavier à 2 X 8' + 1 X 4' ;
­ clavecins à 2 claviers : 2 X 8' + 1 X 4' + lute stop.
L'aspect en est puissant et le seul décor de la caisse est le chatoiement des bois de placage, acajou et noyer, disposés « en panneaux » délimités souvent par des filets de buis. Aucune peinture n'orne le couvercle ni la table d'harmonie. Le clavier reproduit la disposition actuelle des touches du piano, marches plaquées d'ivoire, feintes en ébène. La structure de la caisse en sapin et en chêne est d'une grande complexité. Elle tente d'opposer à la tension continue des cordes une charpente rigide et très lourde merveilleusement exécutée mais souvent dépourvue d'efficacité : en effet, les instruments anciens de ce type sont souvent considérablement déformés. L'épaisseur des matériaux employés est souvent plus importante qu'en France à la même époque et le timbre de ces instruments est très soutenu et très rond. Il lasse l'auditeur assez rapidement par un excès de somptuosité dans le timbre et un manque de contraste entre les deux 8'. Ceci conduit sans doute les facteurs à généraliser le jeu nasal, ce « lute stop » qui est souvent utilisé en jeu contrastant, en de brusques oppositions avec le plenum, oppositions facilitées par le « machine stop », mécanisme de changement rapide des jeux commandé au pied ou à la main. En 1769, Burkat Shudi prend un brevet pour un dispositif composé de lattes d'acajou articulées, placées au-dessus des cordes et venant obturer la table d'harmonie au moyen d'une pédale commandée progressivement par le pied du musicien. Ces « jalousies » (venetian swell) autorisent de relatifs crescendo qui ne suffisent pas à sauver l'instrument au tournant du xixe siècle. En 1809, les ateliers de Kirkman construisent leur dernier clavecin.
Le travail des nombreux facteurs de clavecins anglais a été admirablement mis en valeur à diverses époques par une pléiade de musiciens comptant parmi les plus importants de leur temps. En premier lieu, les « virginalistes » dont les œuvres ont vu le jour entre 1550 et 1620 environ et que nous connaissons grâce à deux recueils importants, le Parthenia or the Maydenhead et surtout le Fitzwilliam Virginal Book, collection comprenant près de trois cents pièces. Trois grandes figures émergent de cette gigantesque compilation des différentes formes d'écriture pour le clavier en usage à cette époque : celles de William Byrd (1543-1623), musicien universel, de John Bull (1562-1628), le plus savant de tous et le plus attaché aux timbres instrumentaux, et surtout de Giles Farnaby (1565-1640), le plus profondément original. On note l'absence curieuse dans le Fitzwilliam Virginal Book d'œuvres du célèbre Orlando Gibbons (1583-1625), considéré à son époque comme l'un des plus grands. À ces suites de danses (pavanes, gaillardes, allemandes) s'enchaînent des œuvres de musique « pure », plus abstraites, telles que les variations sur un thème, les fantaisies (fancy) et ricercari. John Morley et Martin Peerson complètent cette liste de musiciens qui ont contribué à l'éclat des règnes d'Élisabeth Ire et de Jacques Ier. Il faut attendre ensuite Matthew Locke (1630-1677), John Blow (1649-1708) et surtout Henry Purcell (v. 1659-1695) qui adapte au caractère anglais la « suite » du continent, composée d'une succession de danses groupées dans un ordre défini. Les suites importantes pour clavecin écrites par Georg Friedrich Haendel (1685-1759) marquent un sommet dans la suite instrumentale que les œuvres de Thomas Arne (1710-1778), le dernier des clavecinistes anglais, ne parviendront pas à éclipser. Le clavecin anglais de la seconde moitié du xviiie siècle s'adresse alors plus spécialement aux sonates romantiques allemandes d'un Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), d'un Wilhelm Friedemann Bach (1710-1784) et surtout convient admirablement à l'exécution des sonates pour clavier de Joseph Haydn. Déjà à cette date, la frontière est mouvante entre les œuvres spécifiquement écrites pour le clavecin et celles pensées pour le piano-forte.

La facture allemande
C'est en Allemagne que naît le terme de « clavicymbalum », dans un poème de 1404. Ceci suppose une connaissance de cet instrument, sinon une pratique régulière du métier de facteur de clavecins. Dès le début du xvie siècle, sont publiés de nombreux traités musicaux où figurent déjà tous les représentants de la famille des instruments à clavier à cordes pincées. Le premier ouvrage, le Musica Getutscht de Sébastien Virdung, est publié à Bâle en 1511. Il est suivi par les ouvrages de Martin Agricola (Musica Instrumentalis Deutsch, Wittenberg, 1528), et Othmar Luscinius (Musurgia seu Praxis Musicae, Strasbourg, 1536). Malgré l'imprécision des gravures ornant ces traités, on peut cependant déduire que l'étendue habituelle était comprise entre 38 et 40 notes, en partant du la ou du si au grave. L'échelle des illustrations suppose un accord en quatre pieds (une octave plus haut que la normale). Là encore, nous ne nous éloignons pas du schéma « bourguignon » de Henri Arnaut de Zwolle. C'est pour de tels instruments qu'écrivent des musiciens tel Conrad Paumann (1410-1473) dont le Fundamentum Organisandi de 1452 n'est pas strictement réservé à l'usage des organistes. Aux xvie et xviie siècles, subsistent, dans les pays germaniques, des instruments de type italien ou flamand, sans qu'il soit possible de voir là une facture nettement individualisée. Force nous est de consulter les traités, car les instruments authentiques ne nous sont pas parvenus. Le plus important de ceux-là est la Syntagma Musicum, publiée de 1615 à 1620 par le compositeur et théoricien Michael Praetorius (1571-1621). Il nous décrit sept instruments en usage à son époque : trois de type « virginal », deux clavecins, un clavecin vertical monté de cordes de boyau et un claviorganum. Après Praetorius, survient une éclipse de plus d'un demi-siècle, due probablement aux conséquences économiques de la guerre de Trente Ans. De plus, les compositeurs des pays du Nord ont souvent préféré l'orgue comme moyen d'expression, plutôt que l'instrument à sautereaux. C'est d'ailleurs souvent un facteur d'orgues qui signe occasionnellement un clavecin, les attributions respectives des deux corps de métier étant encore floues. Au xviiie siècle, la facture allemande est dominée par deux écoles : celle de Hambourg (Allemagne du Nord) avec la dynastie des Hass (4 facteurs), Fleischer (3 facteurs) et Zell, et une école de l'Allemagne de l'Est et du Sud, géographiquement plus dispersée, dont les chefs de file sont Carl August Gräbner et surtout les Silbermann.
La facture hambourgeoise ­ et celle des Hass en particulier ­ représente une exception par rapport aux standards pratiqués à la même époque dans le reste de l'Europe. Ces particularités sont la multiplication des rangs de cordes (2', 4', 8' et 16'), du nombre de registres (jusqu'à 6 pour certains clavecins) et des claviers portés parfois au nombre de 3. Il faut sans doute voir là un reflet de la passion qu'éprouvent les musiciens allemands pour l'orgue. La disposition de ces instruments d'exception peut sembler extravagante si l'on songe que le clavier supérieur comporte (sur un exemple dû à Johann Adolph Hass daté de 1740) un jeu de 8' avec plectres en plume et seulement une « basse » de 2', sur 30 notes. Le clavier inférieur, lui, constitue un plenum imposant, avec, dans l'ordre, un 4', un 8' (plectres en cuir), un 16' (plectres en plume) et une basse de 2' de 44 notes cette fois-ci !

Le jeu de 16' dans les instruments historiques
Si l'on cherche attentivement des exemples anciens et authentiques de jeux de seize pieds au clavecin, il est évident que l'on en trouve quelques-uns, particulièrement en Allemagne du Nord, mais aussi en Alsace. Ces exemples ont toujours constitué des exceptions et le fait est toujours souligné comme dans cette annonce du Strassburger Gelherte Nachrichten de 1783 proposant la vente « d'un grand clavecin inhabituel, de Silbermann, sonnant en 16' ». Les Hass eux-mêmes, pourtant habitués à cette pratique, semblent en avoir pressenti les limites acoustiques. On ne peut, en effet, charger exagérément une table d'harmonie sans nuire à son rendement acoustique et obtenir ainsi un instrument assourdi et confus. Les instruments qui comportent ce jeu ont toujours été construits de manière particulière, avec chevalet et table séparés (Hass, Swannen) et ont été davantage considérés comme des clavecins d'apparat et de prestige que comme de véritables instruments de musique. Tous ces exemples sont, par ailleurs, très tardifs et la littérature qu'ils auraient pu servir est déjà très adaptée au piano-forte. Ce qui est certain, c'est que l'un des plus grands compositeurs de tous les temps, J. S. Bach, a forcément connu ces tentatives, car il était en contact permanent avec les plus grands facteurs de son temps. Il serait plus que hasardeux d'en déduire qu'il en appréciait le principe. D'ailleurs aucun des instruments lui ayant effectivement appartenu ne comportait de jeu de 16'.

L'école allemande de l'Est
En Saxe et en Thuringe s'est développée une école bien proche de la facture française. Les instruments à deux claviers ont la disposition habituelle 2 X 8' + 1 X 4', avec seulement un 8' au clavier supérieur. La simplicité mécanique est de règle, avec un accouplement « à tiroir » qui s'effectue parfois en faisant coulisser le clavier inférieur. Les clavecins de cette école sont d'une sobriété exemplaire, en comparaison avec leurs homologues hambourgeois : le bois de la caisse est souvent laissé à nu, qu'il soit de chêne comme dans les instruments de Carl August Gräbner (1749 – apr. 1796) ou de superbe noyer verni chez les Silbermann. Le timbre de ces clavecins est assez proche de celui des français, avec néanmoins un caractère polyphonique plus marqué, et des aigus moins agressifs. Leur rareté ne permet pas d'affirmer qu'ils servent mieux que d'autres la littérature écrite pour eux, qui est très abondante. Signalons pour mémoire les œuvres pour clavecin de Johann Kaspar Kerll (1627-1693), Johann Krieger (1651-1725), Delphin Strunck et Karlman Kolb (Certamen Aonium, 1733). Les pièces pour clavecin de Johann Peter Kellner (1705-1772), dont le Manipulus Musices a été publié en 1753-1756, sont beaucoup plus intéressantes et sont curieusement teintées d'italianismes annonçant l'éclosion prochaine de la forme sonate. Georg Philipp Telemann (1681-1767), toujours prolixe, a laissé un nombre très important de pièces pour clavecin, comportant des suites, plus de 20 fugues (1731) et ses curieux Dix-huit Canons mélodieux, sonates en duo publiées en 1738 à Paris. L'œuvre la plus importante de toutes est, sans conteste, celle de Jean-Sébastien Bach dont les suites (Suites anglaises, Suites françaises), les Variations Goldberg, les toccatas et partitas, le Concerto italien, les inventions et symphonies sont dans toutes les mémoires. Les préludes et fugues du Clavier ­ clavecin ? ­ bien tempéré de même que son Art de la fugue constituent des sommets inégalés. À l'inverse des musiciens français, J. S. Bach n'écrit pas une musique étroitement associée au timbre et au caractère du clavecin qui la traduit ; l'instrument est presque interchangeable, sans altération sensible du message musical. Seules quelques indications d'utilisation de deux claviers (Variations Goldberg, Concerto italien) signalent une exigence particulière de la part du compositeur. Au moins deux de ses fils ont laissé une trace durable dans la littérature tardive écrite pour le clavecin. Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), dans ses fantaisies et surtout ses Würtembergische Sonaten de 1744, tente de revitaliser par une invention nouvelle l'instrument vieux de trois siècles, avant de consacrer son art à l'emploi exclusif du piano-forte à partir de 1780. Son frère Johann Christian (1735-1782), sensiblement plus jeune, laisse le choix de l'instrument à l'exécutant dès la parution de son opus 5, constitué de Six Sonates pour le clavecin ou le piano-forte dédiées à S. A. S. le duc Ernest de Mecklembourg. Dualité d'un instrument moribond que ne pourra sauver de l'oubli l'intérêt de Félix Mendelssohn découvrant Bach et …le clavecin chez son maître Zelter.

La facture contemporaine
Après l'abandon presque unanime du clavecin vers 1780-1790 au bénéfice du piano-forte, le xixe siècle développe et perfectionne l'instrument qui correspond le mieux au goût de cette époque : le piano. Les anciens facteurs de clavecins qui ont échappé à la tourmente révolutionnaire se reconvertissent dans la fabrication et la vente du nouvel instrument. C'est l'époque où se créent les grandes manufactures de pianos. Quelques rares musiciens, cependant, n'oublient pas le clavecin et tentent de le faire revivre au cours de concerts « historiques » : Ignace Moscheles et Charles Salaman à Londres, Karl Engel en Allemagne et plus tard Louis Diemer en France. Quelques facteurs, généralement formés à la technique de construction du piano, entretiennent ou « restaurent » les clavecins les moins moribonds. Un exemple assez unique est représenté par Louis Tomasini, ancien technicien du piano, qui va même jusqu'à copier des instruments de Henri Hemsch vers 1885. En 1882, la famille Taskin confie à Tomasini la restauration du clavecin familial construit en 1769 et, à cette occasion, la firme Érard, réputée pour la qualité de ses pianos, est autorisée à en dresser un plan complet. Ce relev&

 
 
 
 

GUERRE FROIDE

 

 

 

 

 

 

 

guerre froide


État de tension qui opposa, de 1945 à 1990, les États-Unis, l'URSS et leurs alliés respectifs qui formaient deux blocs dotés de moyens militaires considérables et défendant des systèmes idéologiques et économiques antinomiques.

Données générales
Un monde bipolaire. La guerre froide présente deux caractéristiques principales. Premièrement, elle oppose deux très grandes puissances, les États-Unis et l'URSS, dotées de vastes territoires et de moyens militaires considérables, affirmant des valeurs idéologiques incompatibles et fondées sur des systèmes économiques antinomiques.
Cette situation a pour conséquence un effet de bipolarisation dans la mesure où chacun des adversaires attire dans sa sphère d'influence les États moins puissants. Bien que ce phénomène affecte surtout l'Europe, enjeu principal, il se répercute également sur le processus de décolonisation puis sur les affrontements régionaux qui se développent dans le tiers-monde.
Un conflit indirect. Deuxièmement, dès 1949, ces deux puissances disposent de l'arme nucléaire, d'abord à fission (bombe A) puis à fusion (bombe H), et, dans les années suivantes, de vecteurs balistiques pouvant transporter cette arme sur des distances intercontinentales (environ 8 000 km).
Cette situation nouvelle, dans la mesure où elle crée pour chacun le risque de devoir subir des dommages intolérables, sans aucune commune mesure avec les capacités de destruction connues jusqu'alors, interdit que l'on recoure à la guerre directe pour dénouer la rivalité. En revanche, les manœuvres indirectes (guerres périphériques par alliés interposés), les affrontements économiques (usure du système adverse) et politico-idéologiques (guerre psychologique) prennent une importance accrue. On distingue trois périodes dans la guerre froide.
1. Engagement et formation des blocs (1945-1962)
1.1. La rupture des équilibres traditionnels en Europe
La suprématie soviétique en Europe
La défaite de l'Allemagne au centre de l'Europe, l'effondrement de la France et l'affaiblissement du Royaume-Uni à son extrémité occidentale créent, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une rupture des équilibres traditionnels sur le continent. En dépit des immenses destructions qu'elle a subies, l'Union soviétique manifeste désormais une écrasante suprématie. Ayant gagné 600 000 km2 en Europe, elle dispose, à l'été de 1946, d'une armée de 100 divisions, soit 4 millions d'hommes, et de 6 000 avions, tandis que les Anglo-Saxons procèdent à la démobilisation rapide de leurs forces et à la reconversion des industries de guerre.
La doctrine américaine de l'endiguement
En mars 1946, dans le discours de Fulton, dit « du rideau de fer », le « vieux lion » britannique Churchill met en garde contre le risque de domination communiste sur une Europe dont la division s'aggrave. On assiste, en effet, à une succession de crises d'intensité croissante (Iran, Turquie, Grèce) et à la mise en place de régimes procommunistes dans les pays d'Europe orientale occupés par l'Armée rouge. Ces faits conduisent le nouveau président des États-Unis, Harry Truman, à réviser la traditionnelle politique isolationniste des États-Unis et à adopter une stratégie (doctrine Truman, mars 1947) à laquelle le diplomate George Kennan qui en est l'inspirateur donne le nom d'« endiguement » (containment).
Dans cette logique, en juin 1947, le général Marshall, secrétaire d'État américain, annonce un plan d'aide pour tous les pays européens qui en feront la demande, proposition que les régimes soumis à Moscou sont contraints de refuser.
1.2. Formation et confrontation des deux blocs (1947-1953)
Poussée communiste, inquiétudes à l'Ouest : la formation des deux blocs (1947-1949)


La division du monde en deux blocs engagés dans une lutte sans merci est solennellement énoncée par le délégué soviétique Jdanov lors de la réunion de formation du Kominform (bureau d'information des partis communistes) à Szklarska Poręba en Pologne, le 22 septembre 1947.
Ce que l'on a appelé le « coup de Prague » de février-mars 1948 – le parti communiste s'empare du pouvoir faisant basculer le dernier régime démocratique d'Europe centrale, et la Constitution du 9 mai 1948 fait de la Tchécoslovaquie une démocratie populaire – suscite une très vive inquiétude chez les Européens de l'Ouest et conduit d'abord à la formation du pacte de Bruxelles (mars 1948) puis à l'engagement de pourparlers en vue d'une alliance défensive avec les États-Unis.
Le blocus de Berlin (juin 1948-mai 1949) aggrave la tension et favorise la conclusion rapide du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) en avril 1949. La formation, la même année, de deux États allemands antagonistes achève d'entériner la division de l'Europe et l'impossibilité de donner à la guerre une conclusion juridique acceptable.
Enfin, la victoire des communistes chinois sous la direction de Mao Zedong, à l'automne de 1949, et l'attaque, en 1950, de la Corée du Sud par le leader communiste de la Corée du Nord, Kim Il-sung, confèrent au conflit sa dimension intercontinentale.
À la recherche d'une défense occidentale commune (1950-1953)


La probabilité d'une agression en Europe paraît augmenter d'autant. La politique de défense des États-Unis prend sa forme définitive dans la directive de sécurité nationale de 1950 (NSC-68), élaborée par le haut fonctionnaire américain Paul H. Nitze, qui fixe comme objectif la dissuasion par l'acquisition de la supériorité à tous les niveaux.
Or, il apparaît à la conférence de Lisbonne, en 1952, que, en l'absence d'une armée allemande, l'OTAN n'est pas réellement en mesure de faire face à une attaque soviétique massive. Cela conduit les États-Unis à soutenir le projet français de Communauté européenne de défense (CED). Mais l'hostilité, en France même, à l'égard du réarmement allemand est telle que le plan ne verra jamais le jour. Il en résulte que les États-Unis prennent en 1953 la décision d'introduire sur le théâtre européen des armes nucléaires tactiques capables d'interdire les fortes concentrations de troupes nécessaires pour une attaque d'envergure.
1.3. L'échec de la coexistence pacifique (1953-1962)


La mort de Staline en 1953 n'apporte aucune accalmie dans la guerre froide. En dépit de l'évacuation de l'Autriche par l'URSS pour prix d'une avantageuse neutralité (1955), en dépit aussi des déclarations, en 1956, du dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev sur la coexistence pacifique, rien ne vient concrétiser une réelle détente.

« Représailles massives » et pacte de Varsovie


En janvier 1954, le chef du département d'État, John Foster Dulles, énonce la doctrine dite « des représailles massives », qui prévoit l'engagement de toutes les forces nucléaires américaines en cas d'agression soviétique contre les États-Unis et leurs alliés.
En outre, la création d'une armée ouest-allemande (→ Bundeswehr) étroitement intégrée dans l'OTAN provoque la formation par les Soviétiques de l'Organisation du pacte de Varsovie en 1955. L'échec des deux conférences de désarmement de Genève en 1955 puis l'intervention soviétique à la fin de 1956 en Hongrie (→ insurrection de Budapest) accroît fortement l'anxiété des États-Unis, alors que l'URSS annonce bientôt, en 1957, la mise en orbite du premier satellite artificiel, Spoutnik.
Le territoire américain ayant cessé d'être totalement à l'abri d'une frappe nucléaire adverse, les États-Unis intensifient la production d'armements nucléaires et de vecteurs (fusées, sous-marins, bombardiers) capables de les emporter.
Au risque de la crise



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Dans ce contexte où chacun teste les capacités de l'autre, Berlin devient un point de crispation : Khrouchtchev réclame d’abord dans les six mois l’intégration de la ville à la RDA ou son érection en ville libre sous contrôle de l’ONU, puis, devant l’enlisement des négociations, fait élever le « mur de la honte » entre les deux parties de la ville en août 1961 (→ mur de Berlin), mais renonce de ce fait à son projet d’annexion ; enfin, le président John Fitzgerald Kennedy vient, en juin 1963, exprimer sa solidarité avec les Berlinois par son fameux discours : « Ich bin ein Berliner ! ».
Cette deuxième crise de Berlin (1958-1963) et la crise de Cuba (septembre 1962) se situent dans la perspective de cette compétition où il s'agit de pousser le plus loin possible ses pions jusqu'à rencontrer les limites que son adversaire a décidé de fixer, dans un mélange d'audace exploratoire et de prudence – en témoigne la correspondance entre Khrouchtchev et Fidel Castro de septembre 1962 (publiée en 1990).
2. Stabilisation et codification de l'affrontement (1963-1978)
Tandis que la cohésion des blocs est elle-même partiellement remise en question (conflit sino-soviétique, sortie de la France du commandement intégré de l'OTAN), cette deuxième période de la guerre froide se caractérise par la combinaison de deux types d'entreprises différentes qui s'affectent mutuellement. Au niveau central, une communication étroitement bilatérale s'instaure entre les deux Grands, tandis qu'à la périphérie se développe une compétition violente, bien qu'indirecte.
2.1. Une prudente coopération au sommet
Téléphone rouge et doctrine de la riposte graduée
La mise en place d'un « téléphone rouge » (liaison directe par télex) entre la Maison-Blanche et le Kremlin ne fait pas cesser la course aux armements (développement des Polaris américains et des missiles sol-sol soviétiques). Néanmoins, elle matérialise la volonté d'entretenir une communication non seulement en cas de crise, mais afin de prévenir une confrontation directe qui impliquerait un risque d'utilisation des armes nucléaires.
Le traité de limitation des essais nucléaires de 1963 puis celui relatif à la non-prolifération des armes nucléaires (1968) témoignent de l'existence d'un intérêt commun minimal, mais qui n'exclut nullement la compétition. Cette ambiguïté apparaît dans la nouvelle doctrine de l'OTAN, officiellement adoptée en 1968 et dite « de la riposte graduée » (flexible response) : il s'agit de maintenir l'incertitude quant au risque d'escalade d'une guerre conventionnelle qui éclaterait en Europe et évoluerait en une guerre nucléaire.
Les négociations au sommet


Vienne, Helsinki, Stockholm deviennent à partir de 1965 des lieux de rencontres régulières où se préparent les sommets entre les deux Grands. Si certaines de ces négociations s'enlisent durablement, comme les MBFR (Mutual Balanced Forces Reduction), d'autres aboutissent. C'est le cas pour les SALT (Strategic Arms Limitation Talks), qui limitent les vecteurs balistiques porteurs d'armes nucléaires, et le traité ABM (Anti Ballistic Missiles), qui fixe à deux le nombre de sites défensifs sur le territoire de chacune des deux parties – accords imparfaits, partiels et temporaires qui visent à réguler le développement des armes plus qu'à les supprimer.
D'autres négociations visent à réduire les risques de conflit nucléaire, particulièrement sur le théâtre majeur de la confrontation, l'Europe (accord quadripartite sur Berlin de septembre 1971 et accord de juin 1973 sur la prévention de la guerre nucléaire). La Conférence d'Helsinki sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), constitue, en août 1975, une sorte de point d'orgue de ces manœuvres, qui donnent le sentiment que l'on entérine un statu quo préférable à des remises en cause trop dangereuses.
2.2. Vive compétition à la périphérie et répercussions au sommet


Il en va tout autrement sur les périphéries, en Asie du Sud-Est, au Moyen-Orient, en Afrique, où se développe sous des formes variées une compétition violente par alliés interposés auxquels chacun apporte une assistance plus ou moins importante. Et cela peut aller jusqu'à un engagement unilatéral direct, comme au Viêt Nam pour les Étas-Unis (→ guerre du Viêt Nam).
Mais les résultats enregistrés sur la périphérie ont nécessairement des répercussions au niveau central. Et si les répercussions sont trop fortes, c'est l'ensemble de la relation qui finit par se transformer.
Or, à la fin de 1973, les États-Unis sont affectés par leur défaite au Viêt Nam et l'ébranlement politique intérieur causé par l'affaire du Watergate et la démission de Richard Nixon. L'affaiblissement américain résultant de cette conjugaison devient trop important pour ne pas remettre en question l'équilibre fragile qui s'était établi.
Le repli américain s'accompagne d'un développement extensif de la puissance militaire soviétique, qui culmine avec le déploiement des missiles balistiques SS-20 en Europe (1977) et l'invasion de l'Afghanistan (décembre 1979), tandis que la chute du chah d'Iran (janvier-février 1979) aggrave encore le recul de la position américaine.
3. Intensification et dénouement (1979-1991)
3.1. Le retour à une phase de tension aiguë (1979-1985)
La contre-offensive américaine


Le refus du Congrès américain de ratifier le traité SALT II, signé en juin 1979 par Leonid Brejnev et Jimmy Carter, la relance des programmes de modernisation des forces nucléaires stratégiques des États-Unis et l'embargo céréalier à l'encontre de l'URSS marquent le début d'une très forte dégradation des relations entre les deux Grands et la relance des tensions bloc à bloc.
L'OTAN proclame en décembre 1979 son intention de riposter au déploiement des SS-20 soviétiques par l'installation en Europe occidentale de missiles Pershing II. Dès janvier 1980, le président Carter affirme le caractère vital du golfe Persique pour les États-Unis et leur détermination à s'y porter en force au cas où une puissance extérieure chercherait à en prendre le contrôle à son profit. L'arrivée à la présidence de Ronald Reagan (janvier 1981) ouvre une phase nouvelle, la stratégie américaine visant désormais à reprendre une initiative perdue depuis plus de cinq ans.
Des déclarations belliqueuses de part et d'autre


Le gouvernement américain développe une rhétorique agressive contre « l'empire du Mal » qui vise à la fois à réactiver l'anticommunisme américain et à impressionner l'adversaire par la démonstration de sa conviction. De nouvelles dispositions stratégiques renforcent la directive présidentielle 59 du président Carter en insistant sur la capacité de mener victorieusement une guerre nucléaire. À quoi la propagande soviétique répond par des accusations de bellicisme et d'irresponsabilité contre les États-Unis, dont « la politique d'agression menace de pousser le monde dans le jeu de la guerre nucléaire » (discours de L. Brejnev, octobre 1982, peu avant sa mort).

Aspects économiques et stratégiques


L'embargo, peu efficace et contraire aux intérêts américains, est rapidement levé. En revanche, l'administration Reagan réactive les organismes chargés de la surveillance des transferts de technologies sensibles, tel le COCOM, et s'en prend avec virulence aux sociétés européennes, singulièrement françaises, dont les activités commerciales favoriseraient le développement des technologies de pointe soviétiques (affaire du gazoduc euro-sibérien).
C'est à ce niveau de confluence entre économie, savoir-faire technologique et stratégie que les États-Unis font porter leur effort. L'initiative de défense stratégique (IDS) – programme connu sous le nom de « guerre des étoiles » – vise ainsi à placer l'Union soviétique devant une impasse : renoncer à faire jeu égal avec les États-Unis ou s'épuiser économiquement afin de rattraper son handicap dans la course technologique. Cette inflexion s'appuie sur un important redressement des dépenses militaires américaines entre 1979 et 1983.
Aspects diplomatiques et militaires
Même si les négociations ne sont interrompues que durant peu de temps (fin de 1983-fin de 1984), la tension monte considérablement durant l'année 1983 tant sur le théâtre principal européen, fortement agité par la crise des euromissiles, que sur les périphéries.
Les États-Unis interviennent violemment, en octobre 1983, à la Grenade (Caraïbes) pour prévenir l'établissement d'un régime procastriste ; partout dans le monde, ils soutiennent les guérillas anticommunistes (Nicaragua, Afghanistan, Mozambique). Après la destruction par l'armée de l'air soviétique d'un Boeing civil sud-coréen, la tension à l'Est devient extrême lors des manœuvres de l'OTAN de l'automne 1983.
3.2. Relâchement et fin de la guerre froide (1985-1990)
Retour à une attitude prudente (1985-1988)


Sur fond de grave crise économique intérieure, l'ensemble de ces données convainquent Mikhaïl Gorbatchev, qui dirige l’Union soviétique à partir de 1985, qu'il est temps de revenir à une forme de compétition stabilisée, ce qui ne signifie pas encore la fin de la guerre froide.
Entre 1985 et 1988, il est clair que l'URSS recherche de nouveau les voies d'un accommodement et à se désengager d'entreprises militairement indécises et ruineuses, moralement et économiquement, mais rien n'indique que les Soviétiques renoncent à se poser en rivaux des États-Unis. Lors des négociations sur les forces nucléaires de portée intermédiaire (FNI) stationnées en Europe, chacune des deux parties tente, comme à l'accoutumée, d'obtenir les gains maximaux par rapport à l'enjeu européen et de placer l'adversaire en situation délicate par rapport à son propre camp.

Dénouement (1989-1990)


La fin de la guerre froide, qui n'est pas comparable à une fin de guerre traditionnelle, doit être considérée dans une double perspective : d'une part, ses manifestations et, d'autre part, l'enchaînements des causes.
Les manifestations sont discernables entre novembre 1989 (démantèlement du mur de Berlin) et le 12 septembre 1990 (signature du traité d'unification allemande).
Le communisme s'effondre en Europe orientale et entre en crise grave en URSS même. Concrètement, la situation géostratégique issue de la Seconde Guerre mondiale, qui faisait du centre de l'Europe une base de départ pour les armées soviétiques, disparaît. En avril 1991, la dissolution de la composante militaire du pacte de Varsovie entérine un état de fait.
Pourquoi la fin de la guerre froide ?
Le bouleversement qui se manifeste ainsi en Europe est plus délicat à expliquer. Il est lié à la fois à la politique gorbatchévienne de perestroïka (restructuration) et à son échec, qui l'engage plus loin que ce qui, au départ, était envisagé. Il est également lié au comportement des forces politiques dans les pays de l'Est, qui se sont précipitées vers l'émancipation totale sans laisser le temps aux partis communistes d'opérer une reconversion.
Il s'explique enfin par la pression exercée sans relâche sur le long terme et au coup par coup par les États-Unis et leurs alliés afin de contenir puis de réduire les capacités d'extension du système communiste.
La stratégie de « containment », définie en 1947, aura donc mis plus de quarante années pour atteindre ses objectifs, laissant une Union soviétique, toujours surarmée, s'enfoncer dans la crise économique tandis que son unité politique et nationale paraît gravement compromise.
L'apparition brutale, au début du xxie siècle, du terrorisme sur la scène politique internationale rend difficile d'envisager avec certitude ce que sera durablement le monde de l'après-guerre froide ; on peut cependant affirmer que l'affrontement idéologique qui a opposé les deux blocs pendant près d'une cinquantaine d'années a contribué à la désagrégation des empires coloniaux et à l'émancipation de l'Asie et de l'Afrique – ce qui suffit à en faire, au regard de l'histoire, l'un des phénomènes majeurs de la seconde moitié du xxe siècle.

 

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ROME ANTIQUE

 

 

 

 

 

 

 

Rome antique (entre 264 et 27 avant J.-C.)


Histoire de Rome, de la conquête du bassin méditerranéen à la fin de la République.

Pour en savoir plus, voir également les articles Rome antique (jusqu'en 264 avant J.-C.), Rome : l'Empire romain (27 avant J.-C.-476 après J.-C.).
Après avoir conquis l’Italie, Rome est amené à intervenir de plus en plus loin à travers le bassin méditerranéen, jusqu’à en assurer le contrôle intégral, à la fin du ier siècle avant J.-C. Mais cette expansion bouleverse tout l’équilibre de la cité-État primitive, qui peine à s’adapter à cette nouvelle échelle. Il en résulte, à la fin du iie siècle, une crise grave qui va déboucher sur la chute de la République, en 27 avant J.-C.

1. La conquête du bassin méditerranéen

1.1. L’essor de l’impérialisme

Le passage de Rome du niveau italique à l'échelon méditerranéen amène d'autres conséquences : un esprit impérialiste naît progressivement. Il n'acquiert toute son ampleur que vers 200 avant J.-C. Jusque-là, Rome n'a pas été libre de refuser le combat. Il lui fallait vaincre ou périr. Ensuite, l'ambition et l'avidité l'emportent. L'aristocratie politique est la première intéressée. C'est un petit cercle de sénateurs qui décide de la guerre. Ce petit groupe social organise sa structure oligarchique, freinant les ascensions trop rapides et partageant au mieux les honneurs (lex Villia annalis, de 180 avant J.-C., organisant le cursus honorum, carrière réglementaire des magistratures). En dessous des sénateurs, les chevaliers, qui s'organisent en une classe équestre, ont aussi des intérêts convergents en politique extérieure. Parmi eux se recrutent les hommes d'affaires, qui, surtout après la deuxième guerre punique, opèrent au loin et précèdent même l'invasion militaire. L'historien grec Polybe (vers 200-121 avant J.-C.) n'hésite pas à dire que la politique romaine est commandée par la finance.

1.2. Les guerres puniques (264-146 avant J.-C.)
La première guerre punique (264-241 avant J.-C.)
Rome n'est cependant pas ce qu'on pourrait appeler une « oligarchie marchande ». Mais ses intérêts sont tels que la présence, face à elle, d'un puissant État répondant à cette définition représente un danger. Il s'agit de Carthage, dont l'empire maritime s'étend sur la Méditerranée occidentale. Le conflit est inévitable. Il éclate à propos de la Sicile, où les Carthaginois (ou Puniques) sont solidement implantés et où Rome souhaite s'établir. C'est la première guerre punique qui contraint les Romains à construire une flotte de guerre et les rend maîtres de la Sicile, de la Corse et de la Sardaigne.
L'extension de l'influence romaine (241-218 avant J.-C.)
Ce conflit provoque aussi l'extension de l'influence romaine. Un enchaînement de circonstances fait naître l'inquiétude chez les Celtes d'Italie du Nord : leur offensive échoue, et la colonisation de la plaine du Pô (Gaule cisalpine, dans le nord de l'actuelle Italie) s'amorce alors (218 avant J.-C.). Des difficultés avec les pirates illyriens ont entraîné la création d'un État vassal en Dalmatie, sur la côte est de l'Adriatique (225 avant J.-C.). Rome commence aussi à entrer en négociations avec l'Asie séleucide et l'Égypte lagide.
Deuxième et troisième guerres puniques (218-146 avant J.-C.)


Hannibal
La deuxième guerre punique (218-201 avant J.-C.), ou guerre d'Hannibal, paraît résulter de l'esprit revanchard de quelques Carthaginois. Hannibal est bientôt en Italie, où plus d'une cité abandonne la cause romaine, dont Capoue après l’écrasante victoire d’Hannibal à Cannes (216). Rome tremble et doit faire appel à toutes ses ressources : hommes (y compris esclaves et prisonniers), vivres, faveurs divines. Les mines d'argent d'Espagne sont un autre enjeu de la guerre.
image: http://www.larousse.fr/encyclopedie/data/images/1008862-Scipion_lAfricain.jpg

Rome, victorieuse après la bataille de Zama (202) grâce à Scipion l'Africain, domine une partie de l'Espagne et bientôt la plaine du Pô et toute la Sicile. L'Italie est plus soumise que jamais.
Mais Carthage, vaincue, survit. C'est la troisième guerre punique qui aboutit, grâce à la victoire de Scipion Émilien, à son anéantissement (146 avant J.-C.) et à la création d'une province romaine d'Afrique.
Pour en savoir plus, voir l'article guerres puniques.
1.3. La conquête de l'Orient
Les origines de la conquête


Dès avant ces derniers événements, Rome a commencé à intervenir dans les pays grecs. On a prétendu, les Anciens les premiers, que ces guerres étaient défensives. On a pu, de même, alléguer un sentiment philhellène qui aurait poussé à l'intervention pour défendre la « liberté des Grecs ». Mais le prétexte est commode. La vérité semble résider dans l'impérialisme sénatorial (formulé par Manlius Vulso en 188 avant J.-C.), dans l'habitude prise des guerres victorieuses et du pillage, et dans l'engrenage d'une diplomatie tantôt susceptible, tantôt perfide. Le programme de conquêtes est élaboré a posteriori par des théoriciens. Les succès viennent non par hasard, mais grâce au déséquilibre des forces, qui défavorise les adversaires, et au sentiment de puissance et de supériorité qui inspire le sénat.

Déroulement (197-63 avant J.-C.)
La Macédoine est battue à Cynoscéphales en 197 avant J.-C. et à Pydna en 168 avant J.-C., la monarchie séleucide à Magnésie du Sipyle en 189 avant J.-C. Rome n'annexe pas toujours, mais crée des États vassaux. L'annexion suit quelques dizaines d'années plus tard. La Macédoine devient ainsi une province en 148 avant J.-C. La Grèce est occupée, et Corinthe est rasée en 146 avant J.-C., l'année où Carthage subit le même sort. Le dernier roi de Pergame, Attalos III, lègue en 133 avant J.-C. son royaume à Rome, qui l'annexe après y avoir réprimé des troubles sociaux. Au ier siècle avant J.-C., les progrès de Rome se poursuivent après les succès très éphémères du turbulent roi du Pont (nord de l'actuelle Turquie), Mithridate VI : Rome doit reconquérir la Grèce et l'Asie, puis occupe la Syrie et la Judée (64-63 avant J.-C.) grâce à Sylla et à Pompée.

1.4. Les progrès en Occident
La prise de possession de l'Espagne s'achève par de durs combats contre les autochtones, qui culminent au siège de Numance, prise par Scipion Émilien en 133 avant J.-C. L'Italie du Nord, ou Gaule cisalpine, est lentement pacifiée, et la conquête d'une partie des vallées alpines est entreprise. Le sud de la Gaule transalpine est occupé à partir de 125 avant J.-C., ce qui permet l'établissement de la via Domitia vers l'Espagne. Première colonie lointaine, Narbo Martius (Narbonne) donnera son nom à la province de Narbonnaise. L'établissement en Gaule donne à Rome l'occasion de prendre contact avec les premiers flots d'envahisseurs barbares venus du nord, Cimbres et Teutons, qui infligent d'abord de sérieuses défaites aux armées romaines (Orange, 105 avant J.-C.), jusqu'à ce que Marius rétablisse la situation et les fasse repartir (Aix-en-Provence, 102 ; Verceil, 101 avant J.-C.). Le même Marius, en battant le turbulent roi numide Jugurtha (105 avant J.-C.), étend la zone l'influence romaine en Afrique.
2. Les conséquences des conquêtes

2.1. Conséquence économique : un enrichissement spectaculaire
Les guerres ont pu être qualifiées de guerres coloniales. Sur certains peuples, ce sont des « victoires de la civilisation », c'est-à-dire de la culture matérielle la plus évoluée. Elles ont été menées avec la sauvagerie primitive, qui subsiste et à laquelle s'ajoute désormais le mépris à l'égard du Barbare. Lors de la reddition d'une ville, le massacre des combattants et la réduction en esclavage des populations restent la normale. On emporte ce qui a de la valeur et on anéantit le reste. Les indemnités de guerre et le butin permettent à l'État romain de prospérer, surtout entre 200 et 150 avant J.-C. Les objets d'art raflés en Grèce s'entassent : en 158 avant J.-C., il faut même débarrasser le Forum des statues qui l'encombrent.

2.2. Conséquences militaires
De l'armée de citoyens à l'armée de métier
Les profits de la conquête sont donc immenses. Le Romain n'éprouve plus le besoin de porter les armes : il préfère jouir des succès acquis. Dès 150 avant J.-C., on observe une nette désaffection à l'égard du service militaire. Marius entreprend une réforme de l'armée en récupérant les prolétaires, jusque-là dispensés, puisqu'ils n'avaient rien à défendre, à présent concernés, puisqu'ils sont intéressés au butin. Peu à peu, l'armée de métier va se constituer, à la place de l'armée de citoyens. Elle sera de règle sous l'Empire. Dans le même temps, l'armement tire parti de l'expérience des adversaires ; l'armée adopte le glaive espagnol, le bouclier ligure, l'artillerie des Grecs, comme elle reçoit l'appui de troupes auxiliaires étrangères : archers crétois, frondeurs baléares et cavaliers numides.

L'ascension des généraux victorieux
Les dieux ont, occasionnellement, leur part du butin, les soldats aussi et les chefs plus sûrement encore, et de plus en plus. Quinctius Flamininus, venu en Grèce en « libérateur », ne se gêne pas pour dépouiller les villes ; Caecilius Metellus orne ses constructions des statues prises au royaume de Macédoine : au triomphe de Paul Émile, on voit défiler 250 chariots remplis de statues et de tableaux. Le triomphe, ce vieux cérémonial romain au cours duquel le général victorieux (imperator) monte en cortège du champ de Mars au Capitole, pourvu des attributs royaux, la toge brodée d'or, le visage barbouillé de rouge, est l'occasion de déployer les résultats de la campagne : chars regorgeant de butin, prisonniers, chefs vaincus chargés de chaînes (et exécutés après la cérémonie). N'a droit au triomphe que celui qui a tué au moins 5 000 ennemis.
2.3. Conséquences sociales : la montée des inégalités
L'extension de l'esclavage
Les prisonniers deviennent ordinairement esclaves, et l'esclavage est à la fois la conséquence normale de la guerre et une institution indiscutée de l'Antiquité. Les victoires romaines peuplent Rome d'esclaves. Beaucoup sont grecs ou asiatiques. Ils introduisent leur culture avec eux. Certains sont des lettrés ou des artistes, dont la compétence est utilisée. Mais le « bon esclave », qui a rendu des services, qui a accumulé un pécule pour se racheter, peut être affranchi. Les affranchis se multiplient aux dépens des effectifs serviles, par eux-mêmes peu prolifiques. Or, une société esclavagiste a besoin de ces bras, qui sont sa source d'énergie essentielle. La guerre devient nécessaire au réapprovisionnement.
La question agraire
Une seule chose n'est pas ramenée dans les fourgons du vainqueur : la terre. Il faut aller l'occuper là où elle est. Et c'est l'un des éléments d'une émigration de l'Italie vers les autres contrées de l'Occident romain. La création de colonies se poursuit – inégalement selon les époques – et n'arrive pas à résoudre un problème agraire spécifiquement romain. Seuls les gros propriétaires ont surmonté les difficultés de la période des guerres ; ils étendent leurs domaines aux dépens des petits propriétaires, qui, évincés, grossissent les rangs des citadins, tout en plaçant leurs espérances dans la générosité de l'État.

L'essor des milieux d'affaires
Ce n'est pas le seul secteur où les conséquences des conquêtes favorisent les classes supérieures. L'exploitation des pays conquis se partage entre une classe dirigeante et une classe affairiste. La première envoie ses promagistrats dans ces pays : ceux-ci gouvernent les provinces, mais ils les exploitent pour leur propre compte. Ils constituent très vite de grosses fortunes par leurs concussions, pratiquement impunies. Les hommes d'affaires se rencontrent partout, mais surtout à Délos, grand marché des esclaves en même temps que foyer d'orientalisme, où Juifs et Égyptiens côtoient les Grecs et les Thraces. La perception des taxes imposées aux provinces est affermée à des sociétés financières dont les actions se négocient à la Bourse de Rome. Le transfert incessant d'argent de la province vers Rome va favoriser l'activité économique des pays soumis, aux dépens de la capitale.

2.4. Conséquences culturelles
L'influence de l'hellénisme
L'influence de l'hellénisme – sensible de longue date – prend alors des proportions énormes : « La Grèce vaincue a conquis son farouche vainqueur. » Elle a fait découvrir à Rome un art plus évolué, y a fait naître la littérature, lui a révélé la philosophie, et lui a amené d'autres dieux. Les sentiments des conquérants ont été divers : Lucius Mummius, le spoliateur de Corinthe, avertit les transporteurs d'œuvres d'art qu'en cas de perte ils devront les remplacer, alors que ses soldats jouent aux dés sur un tableau célèbre. Plus tard, Cicéron qualifie de puérile l'admiration des Grecs pour les chefs-d'œuvre de leur art. Mais l'esprit béotien, compatible avec l'esprit de rapine, n'empêche pas le goût de l'art de progresser insidieusement.

L'hellénisation de la culture romaine
De même, la prise de conscience de la place de l'hellénisme à Rome est progressive. Jusqu'au iiie siècle avant J.-C., la langue latine ne s'écrit pratiquement pas, que ce soit sur inscriptions ou sur papyrus. Vers 240 avant J.-C., un Grec de Tarente, Livius Andronicus, traduit des tragédies grecques en latin et adapte l'Odyssée. Puis, vers 200 avant J.-C., la fierté romaine des auteurs de la génération suivante se retourne contre l'hellénisme qui les a fait naître. Enfin, les conquêtes et le pillage font déferler l'hellénisme qui, après avoir été le propre de cercles cultivés (comme celui des Scipions), après avoir converti Caton l'Ancien, vieux Romain réactionnaire, se manifeste dans la vie de tous les jours par l'essor de la culture écrite dont pierres et murs deviennent les supports éloquents : sur les murs de Pompéi, le passant écrit des médisances aussi bien que les vers d'un grand poète.
Un révélateur : l'affaire des bacchanales (186 avant J.-C.)
L'affaire des bacchanales est assez significative de la manière dont les Romains ont su parfois s'intéresser à ce qui était le moins louable dans la vie grecque. Les bacchanales étaient des fêtes de Bacchus qui avaient vite pris la forme de réunions populaires clandestines et nocturnes autour desquelles gravitaient la débauche et le crime. Une enquête découvrit l'étendue de l'affaire et entraîna 6 000 condamnations. Il ne manqua pas d'autres sociétés de ce genre, mystiques ou frénétiques, qui, peut-être inoffensives, inquiétaient pourtant les tenants de la religion traditionnelle.

2.5. Une civilisation matérielle transformée
L'adoption du luxe
L'apparition du luxe est progressive, bien que Tite-Live l'indique comme une conséquence du retour de l'armée d'Asie en 129 avant J.-C. Les intérieurs se garnissent de tapis, d'étoffes luxueuses, de meubles de bronze et d'argenterie. C'en est fini de la vieille rusticité romaine, des maisons de brique, des plats de légumes. C'est maintenant le luxe des parvenus, des enrichis. Les vertus ancestrales s'évanouissent du même coup. L'aristocratie s'entoure de musiciens, de danseurs, de courtisans. On invente une gastronomie romaine, dans laquelle s'illustrera Lucullus. Nous voici déjà loin de l'ancienne Grèce. Les Romains n'ont pas pris le meilleur. Ils sont surtout devenus d'autres Romains.
La nouvelle maison romaine
Les maisons ont beaucoup évolué depuis les cabanes primitives. Elles ont adopté l'atrium, puis, sous l'influence de la Grèce, se sont dédoublées, une partie des pièces s'ordonnant autour de l'atrium, l'autre autour d'un péristyle. Une des pièces de séjour prend le nom grec d'oecus (oikos, maison). On mange couché, dans le triclinium, ce qui ne se faisait pas dans la Rome primitive.
Une nouvelle parure monumentale
Les monuments publics caractérisent mieux encore la civilisation de la Rome classique, par leurs fonctions mêmes : la basilique, vaste salle à colonnes, prolongement sous abri de ce lieu de réunion qu'est le Forum, salle des pas perdus, lieu où siègent les tribunaux, monument presque symbolique de ce droit dont on répète à satiété qu'il est une des grandes créations romaines ; le cirque, où se livrent les courses de chars, autour d'une spina chargée d'un abondant décor ; le théâtre, qui, longtemps, n'est qu'une structure de bois et qui diffère légèrement dans son plan de celui des Grecs ; l'amphithéâtre, typiquement occidental, probable invention campanienne, adopté tardivement pour déployer des combats de gladiateurs, dont la tradition est bien plus ancienne et qui, auparavant, avaient lieu au Forum.
Les loisirs publics
Gladiateurs, courses de chars et spectacles de mimes correspondent à de vieux usages italiques. Ces réjouissances s'insèrent dans un cadre à la fois religieux et politique. Elles sont prévues dans le calendrier des fêtes religieuses, mais organisées par les édiles, qui savent que leur popularité auprès des électeurs dépend des efforts qu'ils déploient. La course de chars, exercice militaire, perd peu à peu sa place au profit des luttes, puis des carnages de fauves, autorisés à partir de 170 avant J.-C., émanation directe des conquêtes lointaines.

3. Crise et fin de la République
3.1. La crise de la république oligarchique
Problèmes politiques et sociaux

Ces divertissements consolident indirectement les positions de la nobilitas, cette classe dirigeante tirée des vieilles familles, mais qui accueille aussi les « hommes nouveaux » pourvu qu'ils soient riches. La conquête a favorisé la classe des chevaliers, qui pratiquent le commerce ; celui-ci est théoriquement interdit depuis 218 avant J.-C. aux sénateurs, qui se contentent d'accaparer les terres. À peine les grandes conquêtes terminées, les rivalités oligarchiques se donnent libre cours.
Des problèmes sociaux viennent s'y greffer : tandis que certains étendent leurs domaines en Italie, d'autres cherchent désespérément un lopin à cultiver. Les pays tributaires fournissent un blé concurrentiel, et la main-d'œuvre servile met en chômage les hommes libres. Il y a de l'agitation sociale : dans le Latium (143 et 141 avant J.-C.), en Sicile (guerres serviles de 135 et de 104 avant J.-C.).
L'émergence du parti « populaire »
On voit alors se former à Rome un parti dit « populaire », théoriquement destiné à soulager ces insatisfactions. En réalité, les partis sont des factions constituées par des familles tenues par des rapports de clientèle, des groupes au sein desquels les intérêts sont enchevêtrés. Les mariages sont ainsi lourds de conséquences politiques. Et puis le parti populaire, en prétendant défendre les intérêts du peuple, se trouve en présence d'une contradiction, le peuple de la ville et celui des champs ayant des revendications différentes. Il manque aussi d'homogénéité du fait que ses membres les plus actifs sont aussi bien des entrepreneurs ambitieux que des révolutionnaires prêts aux grands moyens.
L'échec de la réforme des Gracques (133-121 avant J.-C.)
Après un gouvernement sénatorial sans trop de problèmes (200-140 avant J.-C.) vient la crise, dont l'aspect financier est essentiel. Les Gracques, Tiberius et Caius Gracchus, deux frères tribuns de la plèbe inspirés par des théories révolutionnaires d'origine grecque et ayant renvontré un écho favorable en Asie, essaient d'entraîner le peuple et lui promettent des terres. Aristocrates romains, ils ont su inspirer des attitudes désintéressées à quelques-uns, mais ils sèment surtout la discorde, et tombent l'un puis l'autre, accusés d'aspirer à une sorte de despotisme démocratique.
3.2. Les guerres civiles (108-27 avant J.-C.)
Les problèmes de Rome ne sont pas près de se résoudre, quand commence le temps des grands généraux ambitieux. Dès les guerres puniques, la société romaine a senti le danger des prétentions d'un général victorieux et populaire, et le gouvernement sénatorial a pris des précautions. Mais les Gracques ont montré le chemin de l'illégalité. Les imperatores vont l'emprunter à leur tour.

Le temps des démagogues
La société dirigeante de l'époque des guerres civiles souffre d'une absence d'idéal. Seuls semblent compter l'argent et le pouvoir politique, qui, lui-même, procure l'argent. Cicéron écrit philosophie, mais pense affaires. Les partis n'ont plus de programme, si tant est qu'ils en aient jamais eu de bien définis. L'abolition des dettes finit par être la seule perspective qui passionne encore les masses. Tous tiennent cependant à la libertas, la liberté, que l'on réclame en toute circonstance, mais qui semble vide de signification réelle. Chacun compte sur ses soldats, ses clients, son influence pour s'imposer. À ce jeu, il y a beaucoup d'appelés, mais aussi de proscrits.

Marius et Sylla (108-79 avant J.-C.)


Après une période de gouvernement autoritaire des sénateurs (121-109 avant J.-C.) Marius (108-101, puis 88-86 avant J.-C.), puis son rival Sylla (88-87, puis 83-79 avant J.-C.) s'imposent tour à tour par leur charisme grâce à l'appui de soldats fidèles, en dépit de la légalité, et par les proscriptions aussi, dont Sylla est l'initiateur.
Ce dernier s'illustre en mettant fin à la guerre sociale – c'est ainsi qu'on appelle la révolte des alliés (socii) de l'Italie, qui réclament la citoyenneté romaine. Les montagnards insurgés réclamaient, en fait, que cessât leur condition subalterne, qui leur valait de voir rétrécir leurs espaces de transhumance. Leur revendication contribue au désordre politique de Rome, où ils trouvent un puissant appui (→  Marcus Livius Drusus), puis leur révolte ouverte ensanglante l'Italie (91-89 avant J.-C.) ; il en subsistera des maquis dispersés. L'avenir économique n'y a rien gagné, même si le droit de cité a été accordé à tous les Italiens.

La république minée de l'intérieur (79-63 avant J.-C.)
Sylla, c'est peut-être la « monarchie manquée ». La période qui suit son abdication en 79 avant J.-C. est marquée à la fois par les guerres lointaines (lutte contre les pirates des côtes d'Asie), la révolte sociale (guerre servile de Spartacus, 73-71 avant J.-C.), l'inquiétude générale et la haine entre factions. Rome est divisée entre un sénat oligarchique, des chevaliers, qui sont des financiers, et les populaires. L'instabilité politique qui en résulte n'est pas sans rapport avec des soucis économiques. Les capitaux fuient l'Italie. En Sicile, un procès contre le gouverneur concussionnaire Verrès révèle les abus de l'administration provinciale, principale voie d'enrichissement des élites politiques, assurées le plus souvent de l'impunité. Enfin sous le consulat de Cicéron (63 avant J.-C.), éclate l'affaire de la conjuration de Catilina, peut-être destinée à renverser la république.
Pompée et César (63-48 avant J.-C.)

    Le sénat, manquant de fermeté, donne de grands pouvoirs à Pompée, revenu triomphant de son expédition contre les pirates, après avoir constitué la province de Syrie et occupé la Judée (62 avant J.-C.). En 61, son fastueux triomphe marque pratiquement la fin d'une vie politique libre dans une République où le pouvoir était parfois disputé par la force, mais toujours publiquement et sans recours à l'armée.
Pompée, César, neveu de Marius, et Crassus, réputé l'homme le plus riche de la république, s'entendent alors en secret pour s'associer dans le premier triumvirat (60 avant J.-C.). Il va tenir une dizaine d'années, confirmer d'abord la prééminence de Pompée, et assurer, en outre, de grands commandements provinciaux, d'abord à César, ensuite à Crassus.
Crassus mort à la guerre (53 avant J.-C.), Pompée a d'abord la faveur du sénat, puis il inquiète celui-ci par son ambition. En 49 avant J.-C., César, qui a conquis les Gaules, franchit le Rubicon qui le sépare de l'Italie, pourchasse Pompée, qui est assassin en Égypte en 48, et prend le titre de dictateur.
La dictature de César (48-44 avant J.-C.)


César préside les comices, se fait élire consul (48), abdique alors la dictature, puis reçoit plus tard une seconde dictature : le droit de présider à l'attribution des magistratures, de nommer les gouverneurs des provinces prétoriennes et à nouveau le consulat (pour cinq ans).
Son appui principal est la plèbe de Rome, d'où la nécessité pour lui de s'unir à ses tribuns et de faire voter de nombreux plébiscites. Pour disposer d'un sénat à sa dévotion, il nomme de nombreux partisans, en particulier des Gaulois de la plaine du Pô (ses clients), et y réintègre certains de ses adversaires ou leurs fils.


Les campagnes de César
Après sa victoire sur les derniers pompéiens en 45, César est presque parvenu à la monarchie. Mais la crainte qu'il ne la restaure va le perdre. Un complot, réunissant autour de Brutus et de Cassius quelques-uns de ses partisans déçus et des pompéiens, est organisé pour supprimer César, qui est assassiné le 15 mars 44 en plein sénat.

Marc Antoine et Octave (44-30 avant J.-C.)

Après la mort de César, son lieutenant Marc Antoine et son fils adoptif Octave forment avec Lépide le second triumvirat (43 avant J.-C.), qui organise l'élimination des autres factions. Cicéron est au nombre des victimes. À Marc Antoine est dévolu l'Orient, où il va mener de grandes opérations jusqu'en Arménie, tandis que Octave prend le contrôle des provinces occidentales, où il doit mettre fin à une guerre difficile en Illyrie. Lépide est relégué en Afrique.
La rupture qui couve depuis longtemps survient en 32, lorsque Marc Antoine, que ses adversaires disent ensorcelé par la reine d'Égypte, Cléopâtre, tente de reprendre le contrôle de l'Italie à Octave, qui, par un coup de force, chasse de Rome les partisans de son rival. Ce dernier, dont les forces sont équivalentes, sinon supérieures à celles d'Octave, se révèle un général hésitant et un politique maladroit en refusant de se séparer de Cléopâtre. En plein engagement naval, à Actium, sur les côtes d'Épire, tous deux prennent la fuite. Les légions de Marc Antoine, abandonnées, se soumettent à Octave (septembre 31), qui, un an plus tard, annexe l'Égypte après le suicide de son compétiteur et de Cléopâtre.

3.3. Conséquence des guerres civiles
Auguste et le retour de l'ordre
Octave, devenu l'empereur Auguste en 27 avant J.-C., peut gouverner un empire et une société qui sont las du désordre. Les provinces ne se sont pas révoltées. L'aristocratie est fort mal en point, et c'est peut-être là ce qui fait la solidité du pouvoir d'Auguste. Elle a été décimée physiquement. Ceux qui vivaient d'affaires financières en Asie sont ruinés. Le sénat accueille des chevaliers, des vétérans, mais il s'éclipse de la vie politique. Les sénateurs s'absorbent dans l'otium (le loisir studieux) ou la vie de cour. Les chevaliers deviennent de hauts fonctionnaires impériaux. Auguste est aidé par deux militaires et administrateurs, Agrippa et Tibère, et, jusqu'en 23 avant J.-C., par un chevalier bon diplomate : Mécène, qui rallie à sa propagande Horace et Virgile.
Un épanouissement intellectuel
Si la génération de l'orateur et philosophe Cicéron, du poète Lucrèce, des historiens Salluste et César, de l'érudit Varron a donné ses lettres de noblesse à la langue latine, l'époque augustéenne, avec les poètes Horace, Virgile, Ovide, l'architecte Vitruve et l'historien Tite-Live, enrichit encore cet héritage.

Une société appauvrie en quête de paix
Le prix de la terre est en baisse : on n'est plus aussi sûr de son droit de propriété. Les vainqueurs distribuent à leurs vétérans des terres expropriées sans façon. Virgile se fait l'écho des plaintes des victimes, qui sont innombrables. L'agriculture italique est appauvrie. La ville a accueilli des fuyards de toute la péninsule et la disette s'y est fait sentir. Ceux qui n'ont pas rallié la ville ont émigré hors d'Italie. Tous aspirent à la paix. C'est ce que leur donne Auguste, qui bénéficie de la nouvelle conception admise du pouvoir, détenu de fait par le plus fort, qui se dit le meilleur (princeps, optimus), résultat d'une évolution amorcée sous Sylla.
En se dilatant aux dimensions du bassin méditerranéen, la cité-État des origines s'est retrouvée face à la nécessité d'adapter ses structures traditionnelles à ce changement d'échelle. Après être devenue un empire territorial, Rome se laisse tranformer par Auguste en empire politique, sous couvert de restauration de la république.


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JEUX DU CIRQUE

 

jeux du cirque


Consulter aussi dans le dictionnaire : jeu
Cet article fait partie du dossier consacré à la Rome antique.
Dans l'Antiquité, compétitions sportives ou dramatiques, de caractère liturgique à l'origine, et qui se déroulaient en présence de la foule.

ANTIQUITÉ
Les origines
Très populaires en Grèce, les jeux publics, auxquels prenaient part des représentants des cités, étaient à l'origine des concours athlétiques (lutte, course, pugilat, disque, courses de chars, etc.), auxquels s'ajoutèrent plus tard des concours musicaux et poétiques. Les plus célèbres étaient les grands jeux d'Olympie, de Delphes, de Némée, de l'Isthme. Ils avaient toujours lieu en l'honneur d'un dieu.

Les spectacles préfigurant ceux du cirque ont lieu en Grèce et en Crète dans des amphithéâtres et des stades. Chez les Romains, ils n'ont pas d'abord de cadre fixe, et ils se déroulent sur les grandes places ou sur de vastes terrains, jusqu'à ce que Tarquin l'Ancien fasse construire des enceintes. Le public s'y tient d'abord debout, puis sont élevés des gradins.
Les jeux étaient l'accompagnement ordinaire des fêtes, des célébrations d'anniversaires, des funérailles, etc. Ils étaient offerts par des particluiers ou au nom de l'État, mais en grande partie à leur frais par les édiles, puis par les prêteurs. C'est au ive siècle av. J.-C. qu'ils furent introduits d'Étrurie à Rome
Le terme générique de jeux du cirque désignait divers spectacles et compétitions dont les plus anciens furent notamment la course de chars et le pugilat. L'origine de ces jeux remonte à l'un des premiers épisodes de l'histoire de Rome : selon la tradition, Romulus les institua pour attirer les peuples voisins – et leurs femmes, les Sabines – et procurer ainsi des épouses à ses compagnons...
Par la suite, le cirque fut affecté à de grands spectacles guerriers, occasions pour les généraux triomphants et les princes démagogues de s'attirer la faveur des foules : véritables institutions, les jeux contribuaient à intégrer la plèbe à la cité romaine. On ne manquait pas, avant de commencer, de satisfaire au culte public par une procession (la pompa). Le point culminant de ce défilé-procession était la course de chars attelés de deux, quatre chevaux ou plus. On reconstituait également des scènes de bataille, avec cavalerie et infanterie, sortes de grandes manœuvres à l'intérieur du cirque.
Les jeux comportaient aussi des scènes de chasse (combats d'animaux) et des luttes entre gladiateurs.


Les jeux du cirque à Rome


Le cirque antique
Destiné à la célébration de jeux et spectacles publics, le cirque est un vaste édifice allongé dont la conception fut empruntée à l'hippodromegrec ; il ne doit pas être confondu avec l'amphithéâtre rond où se déroulaient les combats de gladiateurs

Chez les Romains, les plus anciennes enceintes remontent à Tarquin l'Ancien. Les villes importantes avaient leur circus  : piste sablée, allongée, propre aux courses, divisée par une épine architecturale (un mur bas) ornée de statues et de colonnes. C'est en 329 avant J.-C. que furent aménagés les carceres, boxes où les chars attendaient le départ. Le cirque de Maxence, construit près de la voie Appienne, est le seul dont il subsiste des ruines importantes.
Rome ne compta pas moins de douze cirques, dont le plus ancien, le Circus Maximus, ou Grand Cirque, remonte à l'époque des rois. Un grand portique à trois étages, que rythmaient quatre tours, supportait les gradins où, après les travaux que firent effectuer Jules César et Auguste, plus de 150 000 spectateurs pouvaient trouver place. Deux loges spéciales furent aménagées dans ces gradins : une pour l'empereur (le pulvinar, ou loge impériale, édifiée par Auguste), et une autre réservée au mécène qui finançait les jeux. L'intérieur de l'enceinte était occupé par une arène de 634 m de long : un mur peu élevé, l'épine (la spina), orné d'obélisques, de statues et d'un portique, la coupait en deux dans sa longueur, déterminant ainsi une piste allongée où s'élançaient les chars. À son extrémité arrondie l'enceinte du cirque abritait les écuries et les remises, tandis que l'autre s'ornait de la porte triomphale, réservée à la sortie des vainqueurs. Après le grand incendie de 64 apr. J.-C., qui exigea une nouvelle reconstruction, Néron porta la capacité des gradins à 250 000 places.
D'autres villes de l'Empire romain eurent aussi leur cirque : en Gaule, surtout, Arles et Vienne en gardent des vestiges.

Les jeux du cirque

Les courses de chars


Le cirque eut toujours pour destination première les courses de chars, qui déchaînaient les passions et suscitaient des paris importants. Les chars, attelés à deux ou quatre chevaux, couraient généralement par quatre, avec une fureur telle que la compétition n'était pas sans danger. Les cochers étaient organisés en quatre factions, ou écuries : la blanche, la rouge, la bleue et la verte, ces deux dernières étant les plus importantes. Dans une Rome muselée par la dictature impériale, la popularité de ces factions enflamma des rivalités, provoquant de violentes émeutes. Plus d'un prince, saisissant l'importance de ce dérivatif, encouragea cette passion : Caligula fréquentait les cochers, Vitellius punissait ceux qui calomniaient son écurie favorite.

Les combats de gladiateurs


Les jeux de gladiateurs étaient au début des substituts aux sacrifices humains pratiqués sur les tombes des grands personnages. C'est en 264 av. J.-C., aux funérailles de Junius Brutus, que sont donnés à Rome les premiers combats de gladiateurs (trois couples). Ce n'est qu'un siècle et demi plus tard qu'ils sont admis à figurer dans le programme des jeux publics, et, en 29 av. J.-C., Statilius Taurus fait élever le premier édifice en pierre à cet usage, l'amphithéâtre.
Les grandes familles et des entrepreneurs de spectacles entretiennent des troupes dans des écoles (ludi) et les louent. À ces gladiateurs professionnels et volontaires s'ajoutent des prisonniers de guerre et des condamnés à mort. Sous l'Empire, les gladiateurs sont des athlètes admirés; leur armement et leur costume distinguent les catégories de combattants. Certains sont armés légèrement, d'un petit bouclier et d'une épée (les « poursuivants », ou secutores), ou d'un simple filet plombé (les retiarii). D'autres, lourdement armés, les mirmillons, les Samnites, les Gaulois, les Thraces, empruntent leur armement aux plus farouches ennemis de Rome dans son histoire. Certains combattent en char (essedarii). Ils s'opposent par couples ou par groupes toujours équilibrés.
Les gladiateurs apparaissaient néanmoins dans le cirque à l'occasion des chasses (venatio) : là, des hommes appelés « bestiaires » affrontaient à pied ou à cheval des bêtes féroces, fauves, éléphants, taureaux, pour la grande joie du public. Plus tard, des empereurs qui voulaient se montrer généreux associèrent le public aux parties de chasse : chacun était invité à descendre dans l'arène, transformée en forêt pour l'occasion, et à s'emparer du gibier abondant et inoffensif qu'on y avait lâché.

Les naumachies


À Rome, les naumachies, combats navals, avaient lieu d'abord dans le cirque ou dans l'amphithéâtre dont on transformait l'intérieur en lac en y amenant l'eau du Tibre ou des aqueducs. César fut le premier à faire creuser un bassin spécial pour ce genre de spectacles. Auguste fit établir un nouveau bassin le long du Tibre et l'entoura de plantations. De nouvelles naumachies furent établies par ses successeurs, mais la plus célèbre fut celle qu'érigea Domitien. Elle était entourée d'une construction disposée en gradins pour servir de sièges aux spectateurs. Le lac Fucino servit aussi plusieurs fois, notamment sous Claude, à ce genre de spectacles.
Les combattants qui figuraient dans les naumachies étaient des prisonniers de guerre ou des criminels condamnés à mort, ou encore des gladiateurs. Les navires formaient deux escadres, et l'on désignait chacune d'elles par le nom de quelque nation maritime. Les Romains déployaient dans les naumachies la même pompe et le même luxe que dans les autres jeux du cirque. On y voyait nager soit des « monstres marins », soit des jeunes femmes qui figuraient des Néréides. Dans une naumachie donnée par Claude sur le lac Fucino, on aurait compté pas moins de 100 navires et 19 000 combattants !

La fin des jeux


Tandis qu'à Rome le public se désintéresse peu à peu des courses de chars, à Byzance, dans la partie orientale de l'Empire, l'hippodrome reste un centre de vie. Le même phénomène des rivalités suscitées par les courses y apparut à un autre niveau : les factions devinrent de véritables partis, et le cirque un lieu d'expression politique. Mais les jeux du cirque, en ce qu'ils avaient de spécifiquement romain, furent mis en cause par les progrès du christianisme dans l'Empire, notamment à partir de Constantin (début du ive siècle). Un édit de l'empereur d'Occident Honorius interdit, au début du ve siècle, les affrontements entre gladiateurs, qui furent remplacés par la présentation de « numéros sensationnels » : éléphants funambules, taureaux équilibristes, etc. Ce n'est cependant qu'avec la conquête de Constantinople (l'ancienne Byzance) par les croisés, en 1204, que les courses de chars disparurent.

 

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