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LE MOYEN ÂGE

 

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Moyen Âge
Baptême de Clovis
Consulter aussi dans le dictionnaire : Moyen Âge
Cet article fait partie du dossier consacré au Moyen Âge.
Période de l'histoire de l’Occident, située entre l'Antiquité et les Temps modernes (ve-xve siècles).
Le Moyen Âge occidental est traditionnellement situé entre la chute du dernier empereur romain d'Occident (476) et la découverte de l'Amérique (1492), même si ces deux dates sont arbitraires et restent discutables.
La civilisation médiévale se définit par quatre caractéristiques majeures : le morcellement de l'autorité politique et le recul de la notion d'État ; une économie à dominante agricole ; une société cloisonnée entre une noblesse militaire, qui possède la terre, et une classe paysanne asservie ; enfin, un système de pensée fondé sur la foi religieuse et défini par l'Église chrétienne.
1. Le cadre chronologique

L'expression « moyen âge » date du xviie siècle : ce serait Christophe Kellner (Cellarius), professeur d'histoire à l'université de Halle, qui l'aurait employée pour la première fois, en 1688 (Historia medii aevi). La définition, commode chronologiquement, suggère ainsi que la période de mille ans, archaïque et barbare, qui a rompu avec les modèles classiques de l'Antiquité, n'est que l'attente obscure des prestiges de la Renaissance et des Temps modernes. Cette longue période est pour la première fois réhabilitée au xixe siècle, mais dans une vision simpliste (l’ère « gothique ») campée de caricatures romantiques, du chevalier toujours preux au serf irrémédiablement « attaché à la glèbe ». Le langage commun n'est d’ailleurs toujours pas exempt des images conventionnelles d'un Moyen Âge plus mythique que réel, encore synonyme de retour aux limbes, de médiocre et d'inaccompli.
Depuis les années 1930, les historiens s'attachent à rendre son identité à cette longue période de lentes mutations, au cours de laquelle une société complexe s'est épanouie en Occident. En particulier, les études minutieuses faites en France par l'école historique des Annales – et notamment par Marc Bloch, Georges Duby et Jacques Le Goff – ont permis de mettre fin à cette tradition d’idées fausses.
Pour délimiter un cadre chronologique à ce long « Moyen Âge », on ne peut se référer à des dates politiques. Si 395 marque la fin de l'unité de l'Empire romain, avec la séparation entre Empire d'Orient et Empire d'Occident, 476 voit la disparition du dernier empereur romain d'Occident. À l'autre extrémité de la période, la prise de Constantinople par les Turcs ottomans en 1453 est surtout significative pour l'Orient ; en Occident, on pourrait se référer à la mort du dernier roi « médiéval », Louis XI de France, en 1483. Il n’en demeure pas moins que le voyage de Christophe Colomb en 1492, lourd de conséquences, est la date communément admise pour définir la fin du Moyen Âge et le début de l’époque moderne.
La rupture avec les périodes qui encadrent le Moyen Âge n'est donc pas aussi nette qu'on le laisse souvent entendre, et, bien que les repères chronologiques soient indispensables, les évolutions se dessinent plus sûrement dans les mutations économiques et sociales qui, en aucun domaine, n’ont été brutales.
2. Le haut Moyen Âge (fin du ve-ixe siècle)

2.1. L’héritage antique

Introduction
Le Moyen Âge perce déjà dans le monde antique du iiie siècle. La volonté d'échapper à l'État – à sa pression fiscale et aux charges militaires ou municipales – caractérise alors le comportement social. Contraction démographique et étiolement urbain amorcent la ruralisation de l’économie, tandis que se dégrade la condition des colons endettés et que s'améliore celle de l'esclave, qui, de plus en plus, a la jouissance d'une terre. Le développement du christianisme, religion officielle de l’Empire romain depuis la fin du ive siècle, assoit les bases de la puissance ecclésiastique.
L'assimilation des Barbares
Déclenchées par les Huns, qui, à la fin du ive siècle, entreprennent une migration vers l'ouest et poussent devant eux Ostrogoths et autres peuples germains, les grandes invasions n’ont jamais pris l'aspect d'une ruée massive, même si le mouvement s'accentue à partir de 406. Elles n'ont pas non plus détruit brusquement l'Empire romain, qui, dans un premier temps, s'est efforcé d'intégrer ces populations. Un Occident nouveau est né de la lente fusion des peuples et des coutumes.
Les Barbares savent tirer profit de la romanité, acceptent le code d'hospitalité qui préside à leur implantation, s'intègrent (tel Théodoric) au fonctionnariat impérial, ou rédigent (à l'instar d'Alaric) un code de lois, dit bréviaire, inspiré du droit romain.
Le maintien de la langue latine, la continuité entre nombre de grandes villes antiques et médiévales, la permanence des anciens circuits commerciaux sont autant de survivances de l'Antiquité dans le haut Moyen Âge. Par ailleurs, l'apport barbare imprègne ce monde nouveau : la notion de droit public s'estompe, civil et militaire ne se distinguent plus guère dans des communautés où prévaut la valeur guerrière du chef, élu et mythifié. L'économie sylvo-pastorale des Barbares renforce la ruralisation en cours depuis le Bas-Empire. La fuite devant les responsabilités imposées par l'État se conjugue avec le repli des aristocraties sur leurs terres, refuge et fondement de leur pouvoir.
Le rôle de la foi chrétienne
Baptême de ClovisBaptême de Clovis
Le véritable ciment des communautés antiques et barbares est le christianisme. Le prosélytisme des moines (→ Colomban, Benoît de Nursie), soutenu par le pape Grégoire le Grand, est renforcé par l'écrasement de l'arianisme en 653.
Les premiers royaumes barbares sont balayés par les Vandales et les Francs. Alors que, de la Provence à l'Italie et à l'Espagne, le pouvoir éclate en principautés territoriales, Vandales et Francs constituent des royaumes centralisés. Celui des Francs doit en partie son succès au baptême de Clovis (498 ou 499), qui acquiert, outre la reconnaissance de l'empereur byzantin, le soutien du clergé et du pape, dont il devient le principal appui : au moment où, dans l'empire d'Orient, se multiplient les controverses et les hérésies, le christianisme devient ainsi en Occident le passage obligé vers le pouvoir.
2.2. Vers un grand empire chrétien

Le sacre du roi Pépin le Bref à Saint-Denis, par le pape Étienne II en 754, confirme le prestige franc et marque un nouveau pas vers la sacralisation d'une famille : celle des Carolingiens. Le principe dynastique complète désormais l'élection coutumière.
Le couronnement impérial de Charlemagne
Couronnement de CharlemagneCouronnement de Charlemagne
Le secours apporté par Charlemagne au pape, menacé par la noblesse romaine, fait du Carolingien le candidat à la restauration de l'empire d’Occident : son couronnement sanctionne cette évolution. Lors de la cérémonie romaine à la Noël 800, le pape Léon III, en couronnant l'empereur avant qu'il ne soit acclamé, manifeste la suprématie du spirituel sur le temporel, Charlemagne se considérant « empereur couronné par Dieu ». En revanche, Charlemagne, couronnant lui-même son fils Louis le Pieux en 813, se propose de rappeler que le pape n'est que le premier des évêques, dépendant de la protection militaire, donc du pouvoir temporel.
L'Empire carolingienL'Empire carolingien
De fait, l’Empire franc des Carolingiens s'appuie principalement sur l'armée. Mais celle-ci n'en est pas le seul fondement. Charlemagne entreprend une rénovation de l'État à partir d'Aix , où siège la chapelle (→ Aix-la Chapelle). La reprise en main de l'administration régionale par l'intermédiaire des comtes, représentants assermentés de l'empereur, surveillés par les missi dominici, le retour à une législation publique, votée par les hommes libres des plaids et consignée dans les capitulaires (ordonnances), un réseau de fidélités entrecroisées remontant à la personne même de l'empereur : tout concourt au redressement et à la consolidation de l'autorité impériale.
L'Empire devient un Empire germanique
Otton Ier le GrandOtton Ier le Grand
Alors même que s'édifie une civilisation nouvelle, l'Empire carolingien révèle ses faiblesses. Toujours unifié sous Louis le Pieux, il profite encore un temps des conquêtes de Charlemagne. Toutefois, la politique du nouveau souverain, trop favorable à l'Église, met en danger la suprématie du pouvoir laïque. La réforme clunisienne (909) placera d'ailleurs les monastères sous l'autorité directe de Rome (→ histoire de Cluny).
Divisé par les fils de Louis le Pieux en trois royaumes rivaux (Francie occidentale, Lotharingie, ropyaume de Germanie) malgré la proclamation du droit d'aînesse en 817, l'Empire carolingien n'a plus qu'une unité théorique.
Mais en Germanie, où le roi a conservé le contrôle des duchés régionaux, l'idée d'empire et les structures carolingiennes sont assez vigoureuses pour que le roi Otton Ier de Germanie prenne à son tour la couronne impériale, en 962. Chrétien sincère, il n'en impose pas moins sa tutelle au pape et au clergé germanique. Les leçons de l'échec politique des Carolingiens ont été retenues. Toutefois, l'Empire ressuscité n'est plus que strictement germanique, et bientôt appelé Saint Empire romain germanique.
Pour en savoir plus, voir l'article Carolingiens.
3. L'âge féodal (xe-xiiie siècle)

3.1. La société féodale

Dès le viie siècle émerge une aristocratie guerrière composée de nobles de fonction et de nobles de lignage, qu'aucune solidarité de groupe social ne cimente. Charlemagne incite ces hommes à la recommandation mutuelle afin de remplacer les conflits de clans par des relations de fidélité.
L'engagement vassalique
Adoubement d'un chevalierAdoubement d'un chevalier
La richesse foncière constitue le fondement de la puissance de ces aristocrates. Les mieux nantis (vassaux royaux) disposent de terres en toute propriété (les alleux, issus d'héritages familiaux), mais aussi d'honneurs, concédés pour la durée d'exercice d'une charge (comtale par exemple), et de bénéfices accordés en échange de services (surtout militaires). Devenu héréditaire, par transmission familiale des fidélités, le bénéfice ne tarde pas à être la cause même de l'engagement vassalique.
La puissance se mesure donc au nombre d'hommes à qui l'on est en mesure de procurer une terre en échange de leur engagement. Inversement, il devient tentant pour les vassaux de multiplier leurs fidélités afin d'accroître le nombre de leurs bénéfices. Et beaucoup d'hommes libres cherchent à se recommander : en ces temps incertains, servir un protecteur vaut mieux qu'une totale indépendance.

L'arbre de la société médiévaleL'arbre de la société médiévale
Évêques et abbés, à la recherche d'une protection, entrent aussi en vassalité et n'échappent pas à l'intégration dans l'univers féodal. Ne pouvant, du fait de leur vocation religieuse, remplir les obligations militaires, ils ont, depuis les temps carolingiens, confié la gestion des églises et des abbayes à des avoués laïques. Ceux-ci se sont peu à peu approprié les domaines ecclésiastiques, ainsi menacés de dissolution par les partages successoraux.
En France, le transfert de l'autorité publique entre les mains des châtelains se poursuit, sans qu'il soit possible d'affirmer que cette anarchie féodale ait été le tombeau du pouvoir ou, au contraire, son plus efficace refuge.
La multiplication des fidélités vassaliques, devenues concurrentes, jette les nobles dans d'interminables conflits qui accroissent l'insécurité de populations, déjà terrorisées par les catastrophes annoncées à l'approche de l'an 1000. Contrainte subie ou protection illusoire, la dépendance des hommes se généralise à tous les échelons d'une société que l’évêque Adalbéron de Laon, en 1015, divise entre ceux qui prient (oratores), ceux qui combattent (bellatores) et ceux qui travaillent (laboratores) – c'est-à-dire entre le clergé, la noblesse et le tiers état.
Pour en savoir plus, voir l'article féodalité.
L’émergence des États
Le monde occidental en l'an mille
Le monde occidental en l'an mille
Le monde occidental en l'an milleLe monde occidental, XIIe-XIIIe siècles
Entre le xie et le xiiie siècle, la notion d'État n'est encore qu'en gestation, mais l'idée que le roi doit gouverner pour le bien commun s'affirme de plus en plus. La notion de pouvoir public progresse au cours du xiiie siècle ; ainsi s'explique le rôle croissant des assemblées de contrôle (états, parlements, Cortes), qui, selon les pays, équilibrent un pouvoir monarchique consolidé par le principe dynastique, légitimé par le sacre et appuyé sur l'Église.
Guillaume le Conquérant naviguant vers l'AngleterreGuillaume le Conquérant naviguant vers l'Angleterre
En Angleterre, l'équilibre des pouvoirs s'instaure au milieu de violents conflits. La victoire de Guillaume le Conquérant à Hastings en 1066 ouvre l'île saxonne à la colonisation et à la féodalité normandes.
Hugues CapetHugues Capet
En France, les succès de la monarchie capétienne se confirment tardivement. Hugues Capet, encore aux prises avec les féodaux, n'a pour lui que l'aura de son sacre. Ses successeurs, de Robert le Pieux à Philippe Ier, ont pour seul souci d'assurer la dynastie des Capétiens.
Il faut attendre Philippe II Auguste et ses victoires sur l'Angleterre et le Saint Empire (→ bataille de Bouvines en 1214) pour voir s'affirmer l'indépendance du royaume de France.
Saint Louis chevauchant avec ses chapelainsSaint Louis chevauchant avec ses chapelains
Le rayonnement et la piété personnels de Louis IX (Saint Louis, après sa canonisation au xiiie siècle) portent le prestige royal à son comble. Le roi s'attache à moraliser les mœurs féodales.
La Hongrie, christianisée au xie s.siècle, parvient à maintenir son indépendance. Malgré la Bulle d'or, concédée par le roi André II en 1222, qui renforce le pouvoir des magnats, la tradition monarchique conserve toute sa vigueur.
La Reconquête, XIIIe siècleLa Reconquête, XIIIe siècle
En Espagne, les petits royaumes chrétiens du Nord – Asturies, Castille, Aragon et Navarre – poursuivent depuis le viiie siècle la lutte contre les musulmans, maîtres du califat de Cordoue et du royaume de Grenade. La Reconquista, croisade des chrétiens de la péninsule Ibérique, marque des progrès décisifs au début du xiiie siècle, malgré la résistance de Grenade. L'Espagne chrétienne, divisée en royaumes, ne parvient pas à réaliser son unité. Cependant, des rois comme Ferdinand III en Castille (1217-1252) et Jacques Ier en Aragon (1213-1276) structurent fermement les institutions monarchiques et publiques, que contrebalancent les Cortes.
En Italie, l'explosion urbaine et les forces économiques modèlent réellement les frontières politiques, surtout dans le nord du pays. Quelques villes dominent : Gênes, enrichie par son monopole commercial en mer Noire depuis 1261 ; Milan ; Florence ; et surtout Venise, grande bénéficiaire de la quatrième croisade (1202-1204), véritable « thalassocratie » dans laquelle le doge contrôle l'aristocratie marchande, dont seules quelques familles constituent le Grand Conseil. Dans de nombreuses communes italiennes, les podestats, d'abord nommés par les empereurs germaniques puis élus au xiiie siècle, jouent le rôle d'arbitres et détiennent la réalité de l'autorité publique. L'exemple des villes italiennes montre, plus que tout autre, l'influence des forces économiques sur la structuration politique des États.
Pour en savoir plus, voir l'article histoire des communes.
3.2. Les mutations sociales

Introduction
Alors que les variations de fortune au sein de chaque groupe introduisent une stratification nouvelle entre riches et pauvres, l’ancienne division tripartite de la société perdure, et nul ne peut y échapper : on reste orator (membre du clergé), bellator (membre de la noblesse) ou laborator (membre du tiers état), et tous ne profitent pas de manière égale des périodes d'expansion économique.
Le monde paysan
Les progrès de l'agriculture contribuent à l'amélioration du sort des populations, sur les plans juridique et économique. Au xiiie siècle, le servage, encore symbolisé par le paiement en argent du chevage, du formariage et de la mainmorte, est devenu résiduel. La liberté s'obtient soit par rachat individuel, soit au moyen de formalités collectives, soit encore à l'occasion des concessions de chartes de défrichement.
La préférence des tenanciers (détenteurs de tenures) va aux terres à cens, dont le loyer (payé en argent et fixé une fois pour toutes) se dévalue régulièrement, alors qu'augmentent le prix de la terre et celui des céréales. Pour leur part, les détenteurs des tenures à champart (ou terrage, ou agrière), astreints à verser un pourcentage de la récolte (du huitième au quart), s'enrichissent nettement moins vite.
De nombreux paysans, engagés dans la modernisation de leur exploitation, s'endettent. Le phénomène est notable à la fin du xiie siècle, les terres étant grevées de rentes. Les prêteurs sont juifs, lombards, paysans riches ou bourgeois ; les seigneurs eux-mêmes n'hésitent pas à jouer le rôle de banquiers. Aussi ne bénéficient de l'expansion que l'alleutier et le fermier à cens, libres de corvée et de rente : ces paysans aisés ne représentent guère que 2 % environ de la masse rurale. Beaucoup n'ont que de petites tenures (moins de 2 ha) ; d'autres, brassiers ou manœuvriers, n'en possèdent aucune et sont employés comme journaliers.
Le temps des seigneurs
Château fort de CoucyChâteau fort de Coucy
L'univers féodal se transforme également. Si les biens ecclésiastiques profitent des dons pour s'accroître, de nombreux domaines laïques souffrent des partages successoraux et se parcellisent, notamment en Île-de-France, où des « seigneuries croupions » résultent de l'absence du droit d'aînesse.
Accaparés par leurs activités, les seigneurs préfèrent confier la gestion de leur domaine à des régisseurs professionnels, choisis parmi les ministériaux. Pour beaucoup, les revenus ont diminué : les terres accensées (c'est-à-dire prises à cens) ne rapportent plus guère, et le seigneur s'attache désormais à développer les revenus céréaliers de son propre domaine (appelé la réserve), à renforcer les droits de mutation et à multiplier les amendes. Mais cela ne suffit pas toujours à préserver l'équilibre des fortunes.
Pour en savoir plus, voir l'article seigneurie
En outre, la chevalerie, en fusionnant avec la noblesse de lignage à la fin du xiie siècle, a apporté à celle-ci son prestige militaire. Les mouvements de paix, le développement de l'armée de métier, l'affermissement du pouvoir public ternissent, dès le xiiie siècle, la réputation de l'aristocratie combattante.

Adoubement d'un chevalierAdoubement d'un chevalier
Vivre noblement coûte cher. Aussi, bien des manifestations symboliques de la condition chevaleresque sont-elles réduites ou transformées : seul le fils aîné est adoubé, et seule la fille aînée est mariée. Les seigneurs n'en continuent pas moins à s'adonner aux tournois, et ils écoutent encore les récits des jongleurs et des troubadours chantant l'amour courtois dans la grande salle du vieux château fort, dont le rôle militaire s'efface progressivement devant la puissance économique et judiciaire du seigneur.
Ainsi, à l'appauvrissement économique s'ajoute la détérioration de l'image sociale d'une noblesse. Démunies, nombre de familles seigneuriales, incapables de continuer à vivre noblement, tombent dans la déchéance. Afin de régénérer une noblesse qu'en outre il veut plus soumise, le roi (en France notamment) n'hésite pas, dès la fin du xiiie siècle, à anoblir de riches bourgeois pour lesquels la réussite sociale tient lieu d'honneur.
Pour en savoir plus, voir les articles littérature et amour courtois, noblesse.
La place de l'Église
Chevaliers en croisadeChevaliers en croisade
D'un monde en mutation surgissent des forces nouvelles, dont la foi est l'une des plus dynamiques. La tâche de l'Église est donc d'envergure.
Aux plus belliqueux, elle prêche la paix de Dieu et la trêve de Dieu, tandis qu'elle détourne les énergies vers les croisades contre les infidèles d'Orient et d'Espagne, et contre les Slaves païens (xiie-xiiie siècle).
Fontenay, l'abbayeFontenay, l'abbaye
Aux plus pacifiques, une floraison de nouveaux ordres monastiques offre des havres de méditation ou de travail : ainsi en va-t-il des chartreux de Grandmont , de l'abbaye de Fontevraud et des 650 filiales de l'ordre de Cîteaux, fondé entre 1098 et 1112 par saint Robert de Molesme et saint Bernard de Clairvaux, le rénovateur de la règle bénédictine.
Aux plus politiques incombe la tâche de désengager l'Église du monde laïque. Le pape Grégoire VII (1073-1085) s'y emploie tout particulièrement. Il rappelle la suprématie du spirituel sur le temporel, condamne la simonie et l'investiture laïque des évêques, dans les vingt-sept propositions de son Dictatus papae, en 1075.
Le renouveau culturel que l'Église a stimulé dans les scriptoria des monastères et dans l'édification des premières églises romanes à partir de 1070 sont les manifestations tangibles d'une vive piété.
Pour en savoir plus, voir l'article monachisme.
Les exclus
Les mutations sociales n'ont guère facilité l'intégration des non-chrétiens, ni amélioré la condition des exclus. Victimes du regain de piété chrétienne lié aux croisades, les Juifs sont stigmatisés par le concile du Latran de 1215. Ils sont repoussés dans des ghettos lorsqu'ils ne sont pas expulsés, à plusieurs reprises, de France et d'Angleterre notamment. Leurs biens sont saisis et leurs créances annulées. Fous et lépreux ne vivent que de la générosité, tout comme les mendiants qui, depuis la fin du xiie siècle, se rassemblent dans les maisons-Dieu. Les multiples errants, tels les pastoureaux au xiiie siècle, sont suspectés d'hérésie. Rejetés de tout groupe social, brigands et charbonniers écument les campagnes et enflamment les « effrois » (révoltes paysannes).
3.3. La civilisation rurale

Introduction
Très Riches Heures du duc de BerryTrès Riches Heures du duc de Berry
La production agricole semble suffire aux ixe et xe siècles, sans qu'il soit nécessaire d'accroître la surface exploitée. L'équilibre entre les terres cultivées (ager) et les zones de pacage et de forêt (saltus), dont les ressources sont indispensables à la vie quotidienne, est préservé. Ce système procure même un surplus en céréales, en vin ou en produits artisanaux, qui contribue à sortir le domaine de son apparente autarcie. L'économie monétaire pénètre les campagnes.
Soumise à de violents chocs démographiques (pestes et famines récurrentes) aux ve et viie siècle, la population occidentale s'accroît de façon notable durant les deux siècles suivants. Ce phénomène est caractérisé par un rééquilibrage de l'occupation des territoires de l'Europe du Nord. Mais l'espérance de vie moyenne ne dépasse guère 30 ans, et près de 45 % des enfants n'atteignent pas l'âge de 5 ans. La quasi-totalité de la population, groupée en hameaux isolés les uns des autres par de vastes étendues incultes, vit essentiellement des richesses issues de la terre.
Au xie siècle, on peut dénombrer en France 6,2 millions d’habitants ; un état des feux (foyers fiscaux) dressé en 1328 permet d'estimer la population du début du xive s.siècle entre 12 et 16 millions. Dans le même temps, l'Italie gagne près de 5 millions d'âmes (passant de 5 à 10 millions). En Angleterre, le Domesday Book de 1085 fait état d’une population de 1,3 million de personnes, qui passe à 3,7 millions à la fin du xiiie siècle. En outre, l'âge moyen serait passé de 22 à 35 ans entre 1100 et 1275, le nombre moyen d'enfants par couple augmentant de 4 à 5.
Certes, la surmortalité – enfants en bas âge et femmes en couches notamment –, la croissance plus dynamique en Europe du Nord qu'en Europe du Sud prouvent que bien des déséquilibres démographiques demeurent. Mais, dans l'ensemble, la croissance est indubitable, à la fois cause et conséquence de l'expansion économique.
Les grands défrichements
En Germanie, la poussée vers l'est (Drang nach Osten) est un triple mouvement de christianisation, de colonisation et d'urbanisation. Il est largement impulsé par l'Église chrétienne, les féodaux et l’ordre Teutonique. Du Brandebourg à la Poméranie, la progression est remarquable entre 1130 et 1180. Quittant des domaines que trop de partages ont rendus exigus, attirés par la promesse de terres gratuites, Allemands, mais également Flamands et Hollandais s'en vont fonder, entre autres, Lübeck, Berlin, Francfort-sur-l'Oder, villes qu'ils dotent des droits urbains germaniques.
L'expansion est également œuvre de proximité, dans le cadre de la seigneurie rurale. Depuis l'an 1000, en effet, l'Occident défriche fébrilement. Forêts et marais reculent partout entre le xie et le xiiie siècle, tandis que les polders gagnent sur la mer du Nord. Commencés discrètement par l'élargissement des terroirs anciens, les défrichements favorisent dans un premier temps la multiplication des alleux paysans. Mais les seigneurs, ne pouvant accepter que des hommes et de nouvelles terres échappent à leur contrôle et à leurs impositions, reprennent l'initiative du mouvement ; leur aide matérielle et technique est, en outre, indispensable lorsque la conquête du milieu se révèle difficile.
Par ailleurs, les seigneurs cherchent à attirer les paysans en leur promettant des terres, la liberté et autres franchises. À cette fin, ils accordent des chartes de fondation d'agglomérations nouvelles qui établissent les droits et les obligations de chacun. Ainsi naissent de nombreuses villes dont le nom a gardé la trace de cette époque : Villeneuve, Villefranche et autres bastides.
Après avoir atteint sa phase culminante au xiie siècle, en Île-de-France par exemple, le mouvement de défrichements s'essouffle progressivement. Seules le prolongent quelques initiatives individuelles. Le besoin de terres nouvelles n'est cependant pas totalement assouvi.
Pour en savoir plus, voir l'article grands défrîchements.
Les nouvelles techniques agricoles
Sans la vulgarisation des techniques nouvelles qui les accompagnent, les défrichements n'auraient pu suffire à dynamiser l'économie rurale.
Les outils en fer, servant à l'essartage (haches, faux, etc.), se perfectionnent grâce aux progrès de la métallurgie. Si, dans les sols secs des régions méditerranéennes, le paysan reste fidèle à l'araire, la charrue se répand dès le xie siècle sur les terres lourdes de l'Île-de-France et de l'Ouest. La traction de la charrue est améliorée par les progrès de l'attelage. Le joug frontal remplace progressivement le joug de garrot, qui étranglait l'animal et diminuait d'autant ses capacités.
L’amendement des sols s'ajoute à l'amélioration des techniques. À partir de 1200, les paysans multiplient les labours (jusqu'à quatre en Île-de-France) pour ameublir la terre. Mais les engrais manquent : on n'utilise la plupart du temps que du chaume ou des feuilles pourries. De fait, c'est la généralisation de la jachère qui assure à la terre le repos propice à une meilleure régénération. Sur la zone à cultiver, divisée en trois soles, alternent récoltes de printemps (orge, avoine), récoltes d'hiver (seigle, froment) et terre en jachère. Ainsi les paysans font-ils deux récoltes dans l'année.
Les conditions climatiques autorisent la viticulture jusqu'en France septentrionale, et même en Angleterre. Clercs, princes et bourgeois s'enorgueillissent de leurs vignes. La technique de culture, sinon de conservation, est déjà parfaitement maîtrisée.
3.4. La civilisation urbaine

La vitalité urbaine
Passé l'an 1000, on ne peut plus douter de la vitalité urbaine, encore stimulée par l'immigration rurale. Les villes neuves, nées des défrichements, complètent le réseau urbain hérité de l'Antiquité. Centre de production, la ville est aussi lieu de pouvoir, d'échanges et de culture.
Le peuplement, toutefois, reste inégal. À part quelques grands centres (comme Paris, Milan, Bruges et Londres), la majorité des villes reste de dimensions modestes : seules soixante villes européennes auraient, à la fin du xiiie siècle, dépassé les 10 000 habitants.
L'émancipation des villes
Dès la fin du xie siècle, les bourgeois tolèrent de plus en plus difficilement les pressions judiciaires et fiscales qu'exercent sur eux les seigneurs, tant laïques qu'ecclésiastiques. S'associant en communes, souvent encouragées par le pouvoir royal, n'hésitant pas à recourir à la violence, les notables bourgeois obtiennent des chartes de franchises qui reconnaissent l'autonomie du pouvoir municipal, celui des échevins dans le Nord ou celui des consuls dans le Sud. En France comme en Italie, toutefois, leur pouvoir demeure plus largement contrôlé par les comtes ou même les podestats, parfois librement choisis comme à Gênes, à Milan ou à Pise au xiiie siècle. De même, dans le Saint Empire romain germanique, les villes, à l'exception de celles de la Baltique, restent liées par serment à l'empereur, auquel elles doivent le service de guerre et l'impôt de gîte.
Foires et marchés
L'impulsion agricole se communique à l'activité artisanale. Au sein des domaines ruraux, les paysans se sont très tôt livrés à un artisanat de nécessité. Pour répondre aux besoins quotidiens, ils achètent parfois la matière première aux marchands de passage. Mais, à partir du xiie siècle, en France et en Flandre notamment, la ville devient le foyer privilégié de l'artisanat, car c'est là qu'arrivent les produits du grand commerce, indispensables à l'activité des métiers (laine, cuir, peaux, métaux) ; c’est là aussi que se regroupe la main-d'œuvre et que se perfectionnent les techniques. Ainsi le monde des artisans, lié à celui des marchands, s'impose-t-il peu à peu comme un élément constitutif du tissu urbain.

Teinturiers dans un atelierTeinturiers dans un atelier
Pendant une ou plusieurs semaines, sous la protection d'un représentant du pouvoir seigneurial, les marchands traitent leurs affaires, commerciales aussi bien que financières. Certaines foires sont spécialisées, comme celles de la laine en Angleterre ou celles des draps en Flandre. Toutes sont surveillées par les gardes des foires, dont la juridiction s'étend à tout l'Occident au xiiie siècle. Les plus célèbres sont les foires de Champagne (Troyes, Provins, Lagny, Bar-sur-Aube), qui ont la particularité d'offrir un marché quasi permanent, de draps et d'épices en particulier, entre la Flandre et l'Italie. Mises en place vers 1150, ces foires sont protégées successivement par le comte de Champagne, puis par le roi de France lui-même, à partir de 1209. Italiens et Flamands ne les fréquentent assidûment que dans le dernier quart du xiie siècle. Leur déclin, vers 1250, semble lié à plusieurs facteurs, parmi lesquels le développement du marché parisien et celui de l'industrie textile italienne.
Les métiers
Rue marchande au Moyen ÂgeRue marchande au Moyen Âge
L'organisation des métiers, souvent regroupés par quartiers, derrière leur bannière, n'est d'abord au xiie siècle que conviviale et charitable, à l'image de confréries. Les réglementations protectrices et le refus de la concurrence incitent à une organisation minutieuse de la production qui, en principe, prohibe toute innovation spontanée. Ainsi, la qualité est fixée et dûment contrôlée. L'organisation du travail exclut la surproduction d'un atelier aux dépens des autres, et les prix n'échappent pas à la surveillance des maîtres.
Dans chaque ville se retrouvent tous les métiers. Qu'ils soient liés à la consommation (telles la boucherie et la boulangerie) ou qu'ils dépendent du grand commerce (tels le tissage, le foulage et la teinturerie), tous sont strictement contrôlés par le pouvoir communal, car la « loyauté » de la production et la régularité de l'approvisionnement garantissent la paix sociale.
L'enseignement
Saint Louis et Robert de SorbonSaint Louis et Robert de Sorbon
Sans être, comme la légende l'a laissé croire, le créateur de l'école, Charlemagne a établi un véritable programme élémentaire d'alphabétisation chrétienne. Puis, sous l'autorité des évêques, à partir de 1079 s'ouvrent les écoles-cathédrales. L'enseignement s'y donne en latin, et les élèves ont le statut de clercs.
Les universités sont issues des centres scolaires les plus importants, dès la fin du xiie siècle. Soutenues par le pape, elles n'obtiennent souvent leurs privilèges (droit de grève, sceau, liberté de recrutement) qu'à l'issue de conflits avec les autorités communales ou royales. Placée sous l'autorité du recteur et de ses doyens, l'université est souvent divisée en facultés qui lui donnent une identité particulière. Ainsi, Montpellier est plus orientée vers le droit et la médecine, Paris vers la théologie.
Les étudiants, regroupés en nations, sont souvent pauvres. C'est à leur intention que sont ouverts les collèges, comme celui de Robert de Sorbon, fondé à Paris en 1257. À la fin du xiiie siècle, à Paris, vivent 5 000 étudiants pour une population estimée à 200 000 habitants.
Le modèle antique de la culture littéraire a fortement imprégné l'enseignement, fondé sur les sept arts libéraux. Le trivium (grammaire, rhétorique et dialectique) l'emporte généralement sur le quadrivium, qui regroupe les disciplines scientifiques (arithmétique, géométrie, astronomie et musique).
Les écoles laïques, où l'enseignement est dispensé en langue vulgaire (le français dans le royaume de France), forment notaires et marchands.
3.5. Développement du commerce

Introduction
L'urbanisation est très liée à la dynamique des échanges commerciaux. En fait, ceux-ci n'ont jamais été réellement interrompus. Mais il est certain qu’aux xiie et xiiie siècles, tout concourt à la relance de l'activité commerciale : sécurité accrue, protections accordées par les seigneurs, amélioration des transports, augmentation des surplus et demande plus diversifiée.
La monnaie et la circulation de l'argent
FrancFranc
Indice de vitalité économique, la monnaie pénètre toutes les activités économiques, qu'elles soient urbaines ou rurales. La quasi-disparition de la monnaie d'or, de trop forte valeur, et la frappe du denier d'argent, dès 670, avaient déjà stimulé l'augmentation du volume des échanges et ouvert l'économie monétaire à un plus grand nombre.
L'augmentation du stock métallique, due essentiellement aux mines du Harz, de la Saxe et de la Bohême, permet d'alimenter les ateliers monétaires. Nombre de seigneurs et de villes disposent du droit de battre monnaie. Si les ateliers monétaires sont encore environ 300 en France au xiie siècle, ils ne sont plus que 100 en 1270, puis 30 en 1315. Cette centralisation progressive s'accompagne d'une unification sous l'égide royale. Louis IX (Saint Louis) impose en 1262, dans tous ses États, le cours légal de la monnaie royale : le tournaisis, hérité du vieux système carolingien du denier. Le sou et la livre restent des monnaies de compte (1 livre vaut 20 sous, soit 240 deniers). Sur le même modèle, Henri II Plantagenêt crée, en Angleterre, la livre sterling, équivalant à 20 shillings ou à 240 pences. Dans l'ensemble, l'Occident reste fidèle à la monnaie d'argent. L'abondance de la monnaie favorise l'accélération de sa circulation et la vitalité du commerce.
Les techniques commerciales
Souvent venues d'Italie, les techniques commerciales se répandent et se complexifient. Dans le domaine du prêt, surtout privé, les Juifs (jusqu'à leur expulsion de France en 1306), les Lombards et les cahorsins prêtent sur gages.
La banque naît des pratiques de change. En effet, la multiplicité des monnaies a nécessité la mise en place de changeurs, qui fixent le cours des espèces en fonction du poids de métal pur qu'elles contiennent. Au cours du xiie s.siècle à Gênes, ces changeurs étendent leurs activités à la gestion des dépôts et des virements ; ceux-ci sont effectués par des contrats de change à partir de 1300. Si la simple lettre de change ne se répand qu'au xive siècle, le rechange est déjà pratiqué dès la fin du xiie siècle. Par ces procédés, banquiers et marchands pratiquent une triple opération : un paiement, un change et un crédit (puisque le règlement se fait à terme).
Longtemps itinérants, les marchands se sédentarisent, expédiant leurs commis sur les routes et les mers pour rester en ville gérer leurs affaires. Ils se regroupent de plus en plus souvent en associations, notamment en Italie. Dans la commende, née à Venise au xie siècle, un ou plusieurs négociants fournissent l'argent ou la marchandise, voire les deux, à un ou à plusieurs marchands voyageurs. Ces derniers, à leur retour, touchent une part des bénéfices convenue par avance.
Les échanges internationaux
DucatDucat
Si les Italiens innovent en matière commerciale, les marchands de l'Europe du Nord, de la Flandre à la Baltique, s'adaptent plus lentement aux nouvelles méthodes : les changeurs brugeois ne deviennent banquiers qu'au xive siècle.
Le grand commerce international s'organise d'abord à partir de deux pôles : d'une part, les Pays-Bas, avec leur draperie, en provenance de Flandre, du Hainaut puis du Brabant, que Flamands et Italiens exportent en Europe méridionale – Bruges, grand fournisseur de laine importée d'Angleterre est la place marchande la plus importante de l'univers nordique ; d'autre part, les villes italiennes, qui ont puisé leur fortune dans le commerce avec l'Orient en assurant, entre autres, le trafic des épices.
Au xiiie siècle, deux pôles nouveaux exercent leur attraction : la Hanse teutonique et la région rhénane. Cette dernière reprend, à partir de la Flandre et des villes de la Hanse, la dynamique nord-sud vers l'Allemagne méridionale et l'Italie.
4. Le bas Moyen Âge (xive-xve siècle)

4.1. Le temps des calamités

Introduction
Aux deux siècles d'expansion que sont les xiie et xiiie siècles succèdent deux siècles de crise profonde. Au milieu du xve siècle, les mutations, dans tous les domaines, sont d'une telle ampleur que, pour les historiens, c'en est fini du Moyen Âge. Les causes de la dépression sont multiples, et aucune d'elles ne peut seule l'expliquer. Famines, pestes et guerres se sont conjuguées pour faire de ce qu'on appelle le « bas Moyen Âge », le « Moyen Âge tardif », le « temps de l'homme rare » : l'Occident est alors moins peuplé qu'au début du xiiie siècle.
Les famines
La crise des xive-xve siècles est d'abord frumentaire : dès 1309 en Allemagne, les récoltes ne suffisent plus à alimenter les hommes, et en 1315-1316 toute l'Europe occidentale est affamée. Les années de mauvaises récoltes provoquent une hausse du prix des produits céréaliers. Les années d’excellentes récoltes ne règlent pas la crise car, si le prix des céréales chute, celui des autres produits (agricoles et artisanaux) continue d'augmenter durablement.
Attesté par le recul des feuillus en Allemagne, par celui de la vigne en Angleterre, et par la disparition des céréales en Islande, le refroidissement climatique explique en partie les mauvaises récoltes. Les fortes pluies de 1315 aggravent ce phénomène. Mais la catastrophe est amplifiée par la surpopulation qui touche les terroirs et les villes manufacturières, où affluent les immigrés ruraux.
L’épidémie de la Grande Peste
La peste à TournaiLa peste à Tournai
Dans les villes, insalubres, les populations sous-alimentées résistent mal aux épidémies de peste, qu'une médecine balbutiante se révèle incapable d'enrayer. De 1346 à 1353, suivant les grands axes commerciaux, la maladie se propage jusqu'en Île-de-France, où elle ravage Paris de juin 1348 à juin 1349. Présente en Europe centrale, elle gagne les Pays-Bas et l'Angleterre, puis l'Écosse et les pays scandinaves en 1350. Paris doit encore subir ses attaques récurrentes en 1361-1362, alors que la peste des enfants s'abat, particulièrement sévère, sur le Languedoc en 1363.
Pour en savoir plus, voir l'article Grande peste.
Certains préfèrent fuir ; d'autres se murent chez eux. Prince ou serf, riche ou pauvre, nul n'est épargné par le fléau. Arras, Florence, l'Angleterre tout entière perdent 50 % de leurs habitants, Zurich 60 %. On estime à 25 millions – soit le tiers de la population – les victimes de la Grande Peste en Europe occidentale.
Avec l’épidémie de peste, l'homme devient une ressource économique rare et cher. Les salaires augmentent, tant à la campagne, où les seigneurs cherchent la main-d'œuvre qui relancerait l'exploitation de leurs réserves, que dans les ateliers urbains.
Les guerres
La permanence des conflits aggrave le déficit humain. Enlisée dans la guerre de Cent Ans (1337-1453), à laquelle s'ajoute de 1407 à 1413 le conflit entre Armagnacs et Bourguignons, la France, théâtre des opérations, est sans doute le pays le plus touché en Occident.

Bataille de FormignyBataille de Formigny
Il n’en demeure pas moins que dans toute l'Europe, ou presque, on s'affronte. L'Italie frémit sous le choc des impérialismes commerciaux nés avec les empires coloniaux. Ainsi, Pise lutte vainement contre Florence (1399-1406), et Milan contre Venise (1426-1429) ; Angevins et Aragonais se disputent la Sicile et le sud de la péninsule italienne (1435-1443). Dans la péninsule Ibérique, la fratricide querelle entre Pierre II et Henri de Trastamare ensanglante la Castille (1350-1369). L'Angleterre, ébranlée par la résistance écossaise (1295-1328) et déjà mobilisée contre la France, doit également faire face à la guerre des Deux-Roses (1455-1485), qui oppose les maisons d'York et de Lancastre. L'Europe du Nord n'est pas épargnée : en 1360, la Hanse sort victorieuse d'un premier conflit avec le Danemark, mais Teutoniques et Polonais s'affrontent durant un demi-siècle, de 1411 à 1466.
Les conflits mobilisent davantage d'hommes qu'auparavant. Sur terre, où des volontaires contractuels viennent grossir les rangs des armées, mais aussi sur mer, où sévissent pirates et gardes-côtes mercenaires. De la puissante artillerie française aux long bows anglais, les armes se perfectionnent et se multiplient.
Les périodes de trêve n'apportent aucun soulagement aux campagnes, qui sont pillées et dévastées en permanence par des troupes privées de tout autre ravitaillement. La tactique de la terre brûlée, adoptée par Bertrand Du Guesclin pour repousser ces bandes désœuvrées vers l'Espagne en 1367, est tout aussi redoutable pour les populations locales que les grandes chevauchées anglaises du Prince Noir en Languedoc (1355). « Écorcheurs » et « routiers » sévissent jusqu'à l'application de l'ordonnance sur les abus des gens de guerre, en 1439. Les paysans quittent des campagnes exsangues, abandonnant leurs tenures, et cherchent refuge à la ville, où le poids de la guerre se fait également sentir.
L’augmentation des taxes
Pour financer les guerres et payer les mercenaires, les états (assemblées représentant les trois ordres de la société : clergé, noblesse et tiers état) en France, de même que le Parlement en Angleterre autorisent, non sans difficultés, l'alourdissement de la fiscalité royale.
La pénurie de numéraire est un phénomène classique en période de troubles. Aussi les souverains français procèdent-ils à de fréquents réajustements monétaires, dont les conséquences sont avantageuses pour les débiteurs, mais catastrophiques pour ceux qui perçoivent des revenus fixes. Les incertitudes monétaires pèsent sur le grand négoce, que ralentissent en outre l'insécurité grandissante des mers et le mauvais état des routes livrées aux pillards. La production et la consommation sont en recul dans une société perturbée, où les pouvoirs (publics comme seigneuriaux) sont plus que jamais contestés.
4.2. Les crises politiques et sociales

La remise en cause des pouvoirs
La guerre de Cent Ans a dévalorisé le pouvoir royal au profit des aristocraties française et anglaise. Le triomphe monarchique n'est pas encore confirmé, et bien des insuffisances et des contestations fragilisent l'institution. En France, les états généraux entendent jouer leur rôle. Ils sont réunis dix-sept fois au cours du xive siècle, pour le vote de subsides, le règlement des successions ou l'approbation des traités. Mais, malgré le contrôle qu'ils prétendent exercer sur les finances publiques, ils ne menacent guère le pouvoir du roi, pas plus que ne le font les assemblées locales, que le souverain sait finalement utiliser à son avantage.
La petite noblesse s'agite périodiquement, voire constitue de véritables ligues. Elle contraint Louis X à concéder quelques chartes, dans lesquelles est définie la part d'autonomie des provinces. Les princes organisent leur domaine à l'image du royaume, créent des principautés toujours prêtes à défier l'autorité souveraine, en Bourgogne notamment. Les grands du royaume cherchent plus, au moins en France, à contrôler l'autorité du souverain qu'à la détruire.
Lorsque de jeunes souverains accèdent au trône avant d'être majeurs, le pouvoir est livré aux coteries princières. Ainsi, la minorité de Charles VI (1380-1388) laisse le champ libre aux intérêts divergents de ses oncles, en particulier de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne. En Angleterre, ces questions se règlent par de sanglantes révolutions de palais : Édouard III fait arrêter et exécuter Mortimer, jadis régent de son royaume, et Thomas de Gloucester paie de sa vie, en 1397, sa révolte contre son ancien pupille Richard II.
Dans certaines circonstances, la transmission du pouvoir donne lieu à d'inextinguibles conflits. En France, la succession de Louis X (1314-1316) et celle de Philippe V (1316-1322) inaugurent un nouveau principe dynastique qui écarte délibérément les femmes et leurs fils du pouvoir (décision des états généraux de 1317 et 1328). Au mépris de toute tradition, la succession en ligne collatérale est autorisée, afin de rendre impossible l'installation d'un Anglais sur le trône de France.
L'enchevêtrement des liens familiaux et des obédiences vassaliques a depuis longtemps brouillé les points de repère politiques et sociaux. Il nourrit des conflits d'autorité dont l'arbitrage incombe à la force plus qu'au droit. Ainsi, par le jeu des alliances, les rois d'Angleterre Édouard II et Édouard III, petits-fils par leur mère des rois de France, peuvent se croire quelque droit à la couronne de France, tout comme Henri VI, petit-fils de Charles VI. Le roi d'Angleterre, égal en puissance au roi de France, mais néanmoins son vassal pour les terres qu’il possède dans le royaume de France, pouvait-il accepter de s'abaisser à lui prêter hommage ? Pouvait-il tolérer la « saisie du fief » de Guyenne opérée par son suzerain en 1337 ? Instrument du pouvoir, la vassalité devient alors inévitablement source de guerre féodale, prémisse à un affrontement national.
Les mouvements de révolte
Partout en Europe, campagnes et villes sont gagnées par des flambées de violence. Expression d'une rageuse lassitude, ces mouvements sont dépourvus de programme social et politique, bien qu'ils soient, de fait, antifiscaux et antiseigneuriaux.

JacquerieJacquerie
Dans les campagnes, les défaites militaires, l'incurie des seigneurs absents, les pillages et les destructions, l'accroissement de la fiscalité royale et seigneuriale provoquent de brusques protestations. Les meilleurs terroirs agricoles sont touchés (Beauvaisis, Île-de-France, bassin de Londres). Ces révoltes paysannes prennent généralement l'aspect d'« effrois » spontanés, violents, et cruellement réprimés. À ce type de révolte correspond, sans doute, celle de la Flandre maritime menée par Zannequin (1323-1327) ; partiellement aidée par les tisserands, elle est écrasée par Philippe VI de Valois. En 1358, en France, la Jacquerie paysanne comme la révolte parisienne, menée par Étienne Marcel, sont essentiellement antinobiliaires. La « révolte des travailleurs » en Angleterre (1381) est l'expression des masses rurales criant leur misère autant que leur refus de la poll tax imposée par le gouvernement en 1380. Les révoltés, dirigés par Wat Tyler, parviennent à entrer dans Londres à l'été 1381, jusqu’à ce que l'assassinat de Tyler donne le signal de la répression. Les aristocraties scandinaves font face à de semblables révoltes, tant en Suède (1434) qu'en Norvège (1438) et qu'au Danemark (1441). Les fureurs paysannes agitent aussi l'Aragon à partir de 1409 et la Catalogne en 1462.
La dégradation des rapports maîtres-ouvriers est à l'origine de révoltes appelées « émotions ». Elles ne sont pas nouvelles : les xiie et xiiie siècles en ont déjà connu de nombreuses, de la révolte des tisserands de Troyes (1175) aux émeutes de Pontoise (1267) et de Provins (1279), avant celles de Douai et d'Ypres (1294-1305). Les maîtres veulent assurer leur monopole et leur suprématie sur les apprentis comme sur les valets et les compagnons plus spécialisés. Ils soumettent l'accès à la maîtrise à des conditions plus astreignantes, qui bloquent les métiers.
Le paroxysme du mouvement de protestation se situe à la fin du xive siècle ; il prend l'aspect de grèves, parfois accompagnées de bris de machines comme à Rouen en 1381-1382. Le tumulte des Ciompi (→  révolte des Ciompi) à Florence en 1378 est l'expression d'un malaise autant politique que social, tout comme le mouvement parisien des maillotins, qui met ouvertement en cause le parti du roi et de ses régents (1382). Il faut l'armée royale pour écraser à Rozebeke (→  bataille de Rozebeke), en 1382, les tisserands flamands pro-anglais révoltés contre la France. Dans l'ensemble, les ouvriers n'ont guère tiré profit de ces révoltes. Mais bien plus encore que chez les paysans, elles ont favorisé une solidarité dont les conséquences vont s'inscrire dans un lointain avenir, face aux négociants et aux maîtres de métiers qui conservent le pouvoir économique et politique des villes.
Le malaise moral
La Grande peste a tant tué, que la population ayant survécu cherche à profiter de ce sursis. Au milieu d'un foisonnement de couleurs, la mode se pare de toutes les audaces. Pour les plus riches, l'habillement, avec ses soieries et ses fourrures, devient de plus en plus luxueux. Tentant d'agir contre ces extravagances, les nombreuses lois somptuaires n'ont guère d'effets. Tableaux vivants et bals masqués animent, parfois tragiquement, les cours princières (en 1393, sous Charles VI, le bal des Ardents coûte la vie à cinq jeunes seigneurs, brûlés vifs par des torches). La courtoisie renaît néanmoins dans les poèmes de Charles d'Orléans en France, ou dans les écrits de Geoffrey Chaucer en Angleterre. On hésite entre la fureur des plaisirs et la chasse aux boucs émissaires. Deux mille Juifs sont ainsi massacrés à Strasbourg en 1349.
Pour sa part déchirée par le grand schisme d’Occident (1378-1417), la papauté n'offre plus de modèle, ni moral ni religieux. La chrétienté tout entière est divisée entre le pape de Rome, celui d'Avignon, et un troisième issu du concile de Pise en 1409. L'unité ne doit être retrouvée qu'avec l'élection de Martin V en 1417.
Les désordres créés par le grand schisme ne sont pas étrangers à la propagation des hérésies. Les prêtres sont rares, des églises sont détruites, des couvents désertés. Voyant dans ces catastrophes un châtiment divin, les flagellants allemands et flamands appellent au repentir, ainsi qu'à la révision des dogmes et des pratiques. Les nouveaux prédicateurs populaires savent exploiter le sens profond des mécontentements. Ils en structurent les idées, établissent un lien entre la contestation sociale et la remise en cause de l'Église et du clergé. Ainsi, John Ball appuie ouvertement les travailleurs anglais, déjà influencés par les discours de John Wycliffe.
Plus à l'est, les hussites de Bohême et les taborites de Bavière critiquent tout autant le servage et la fiscalité qu'une papauté oublieuse de sa vocation. C'est le mouvement des lollards en Angleterre, intellectuel avant de devenir populaire, qui réalise le mieux cette synthèse contestataire. Mais l'hérésie, dont toutes ces révoltes sont empreintes, facilite leur marginalisation et justifie leur écrasement.
5. Vers l'Europe moderne

5.1. Le triomphe des hommes d'argent

Julien de MédicisJulien de Médicis
Un renouveau, perceptible à travers les premiers signes d'une relance démographique et économique, est sensible dans toute l'Europe à partir de 1450. L'Europe de la fin du Moyen Âge devient surtout celle des « hommes d'affaires ». Les Médicis à Florence, les Fugger et les Welser à Augsbourg sont à la tête d'un réseau d'affaires international et discutent à égalité avec les grands princes, dont ils sont les banquiers et les prêteurs.
5.2. Le nouveau paysage politique

5. Vers l'Europe moderne<

 
 
 
 

HISTOIRE DE LA PRODUCTION DU FEU

 

La longue histoire de la production du feu


Un document réalisé à l'occasion de l'exposition
"A la conquête du feu" au Musée de Terra Amata


Production de feu à la préhistoire


La longue histoire de la production du feu
Par Bertrand ROUSSEL
Docteur en Préhistoire - Musée de Paléontologie Humaine de Terra Amata


Sur Hominides.com
Feu- Maitrise et domestication

Exposition
A la conquète du feu

Préhistoire
vision globale

Outils de la Préhistoire


Homo erectus, le premier hominidé à avoir maitrisé le feu

La longue histoire de la production du feu


Introduction
La friction du bois
La percussion de la pierre
Le briquet à silex et la percussion de l'acier
Le bambou l'air et la lumière
Les techniques modernes de production du feu


Quand l’homme a-t-il maîtrisé le feu ? Pour l’heure, la seule preuve acceptable de la domestication du feu est la découverte de véritables foyers aménagés. Alors que les premiers outils en pierre remontent à 2,5 millions d’années, les plus anciennes structures de combustion datent d’environ 450 000 ans. La grotte de Menez-Dregan, dans le Finistère, a livré plusieurs foyers dont le plus ancien remonterait à cette époque. Dans le gisement de Terra Amata (Alpes-Maritimes), plusieurs foyers (datés de 380 000 ans) étaient aménagés dans de petites fosses ou sur des dallages de galets.
A partir de 350 000 ans, les traces de domestication du feu sont de plus en plus probantes et nombreuses. Par la suite, la fréquence des foyers augmente encore nettement, à tel point que, dans les habitats bien conservés, c’est leur absence qui paraît étonnante…    H. de Lumley / Musée de Terra Amata / Ville de Nice
    
Foyer de Terra Amata . H. de Lumley / Musée de Terra Amata / Ville de Nice
La friction du bois

Production du feu par frictionLe principe général de toutes les techniques de production du feu par friction du bois est très simple. Le frottement de deux pièces de bois entraîne la formation de sciure et un dégagement de chaleur. Si la friction est suffisamment intense, l'augmentation de la température permet l'embrasement de la sciure et une petite braise apparaît. Celle-ci est alors
placée dans des herbes bien sèches puis, grâce à l'air apporté en soufflant, une flamme surgit.
A partir de ce principe très simple, l'homme a développé de nombreuses modalités de friction. Parmi celles-ci, la friction par rotation est certainement la technique traditionnelle de production du feu la plus présente dans notre imaginaire collectif. Elle consiste à faire tourner un foret (ou drille) sur une planchette de bois. Le mode d'entraînement et la forme du foret peuvent varier. Dans tous les cas, il est nécessaire d'aménager une gouttière permettant l'évacuation de la sciure produite par le frottement. Grâce à elle, la zone de contact est alimentée par l'oxygène. Sinon, sans air pas de feu ! C'est dans cette gouttière que la sciure rencontrera la chaleur produite par la friction et pourra ainsi se transformer en braise.
Le foret tourne rapidement entre les mains de l'opérateur. Avec le foret à main, une braise peut être produite en une cinquantaine de secondes (cliché : B. Roussel).

La percussion de la pierre

La production du feu par percussion de deux pierres s'incarne dans un geste extrêmement simple : "taper" une pierre contre une autre. Il est donc très facile d’allumer le feu en percutant deux pierres à condition de bien les choisir. Pour Production du feu par percussionsusciter des étincelles efficaces, il est nécessaire d'employer un sulfure naturel de fer dont il existe deux formes : la pyrite et la marcassite. Ces deux minéraux percutés par une roche dure, comme le silex ou le quartzite, produisent de belles étincelles. Pour obtenir une braise, il suffit de les diriger sur une matière sèche et très combustible que l'on désigne par le terme "initiateur". Dès qu’il reçoit une étincelle, ce matériau s'embrase. Quelques herbes bien sèches et un peu d'air permettent alors de passer de cette petite braise à une véritable flamme.
Ce moyen d'allumer le feu était connu au moins dès le Paléolithique supérieur. On trouve des restes de sulfures de fer portant des traces de percussion dans différents gisements (couche aurignacienne de la grotte de Vogelheard en Allemagne, grotte magdalénienne du Trou du Chaleux en Belgique). Au Néolithique, les restes de sulfures de fer, plus nombreux, sont parfois associés à des pièces de silex présentant des traces de percussion qui ont pu être utilisées pour produire les étincelles.
La production du feu par percussion de la pierre semble encore connue durant l'Antiquité, comme le suggèrent des textes d'Aristote, Pline ou Nonnos de Panopolis ainsi que quelques découvertes archéologiques.
Production du feu par percussion d'un éclat de silex sur un morceau de marcassite. Les étincelles produites embrasent facilement un morceau d'amadou (cliché : B. Roussel).

Le briquet à silex et la percussion de l’acier

Briquet à silex

A partir du deuxième Age du Fer, un nouveau mode de production du feu apparaît en Europe : le briquet à silex. Cet objet, quasiment oublié aujourd'hui, a pourtant été le principal moyen d'allumage du feu durant la plus grande partie de notre histoire. En effet, la percussion d'un morceau d'acier contre le tranchant d’une roche dure, par exemple du silex, génère des étincelles susceptibles d'embraser une matière bien sèche, comme l'amadou.

Par souci d’esthétique mais aussi d’ergonomie (l’objet doit bien tenir en main lors de la percussion), la forme du briquet a beaucoup varié selon les régions et les périodes. Les plus sommaires ressemblent à une lame dont une seule extrémité est repliée. D'autres présentent l'aspect d'un D ou d'un B. Les plus beaux exemplaires s'ornent d'une poignée en bronze ou en argent décorée de motifs finement ouvragés. Dans certains cas, le briquet était associé à d'autres outils (pince à braise, lame de couteau, etc.) sur le principe de nos couteaux suisses.

Rapidement, une étincelle produite par la percussion du briquet d'acier sur l’éclat de silex tombe sur l'amadou et celui-ci s'embrase (cliché : B. Roussel).    Dès le XVIe siècle, des systèmes mécaniques sont également mis au point pour automatiser le geste de percussion, comme le briquet à rouet et le briquet-pistolet.
Outre l'éclat de silex, deux éléments sont nécessaires au fonctionnement du briquet : l'amadou et l'allumette.
L'amadou est une matière ouatinée qui se trouve à l'intérieur d'un champignon nommé l'amadouvier. Il s'embrase facilement au contact des étincelles du briquet. Toutefois, pour être utilisable, il doit être conservé à l'abri de l'humidité. Des cornes ou des boîtes à amadou étaient spécialement dédiées à sa conservation. L'amadou ne fournit qu'une braise. Pour obtenir une véritable flamme, on utilisait, au moins depuis l'époque romaine, des "allumettes" ou "chènevottes". Il s'agissait de petits bâtonnets de bois aux extrémités enduites de soufre qui ne s'enflammaient qu'au contact d'un
morceau d'amadou incandescent. Le mot "allumette" sera repris au XIXe siècle pour désigner les allumettes chimiques que nous utilisons encore aujourd'hui.

Le bambou, l’air et la lumière

Parmi les techniques traditionnelles de production du feu, l'une des plus originales reste la percussion d'un bambou contre une roche dure ou un morceau de céramique. Ce mode d'allumage du feu est pourtant bien attesté dans certaines régions d'Asie du Sud-Est. C'est le célèbre naturaliste Alfred Russel Wallace qui a le premier signalé cet étonnant briquet en 1869. Par la suite, plusieurs ethnographes et voyageurs de la fin du XIXe et du XXe siècle ont observé ce mode d'allumage du feu. L'aire de répartition de cette technique semble circonscrite à certaines zones restreintes du sud-est asiatique. On la rencontre aux Philippines, dans la partie malaise de Bornéo et en plusieurs points de l'Indonésie.

Une autre surprenante méthode d’allumage du feu, le briquet pneumatique ou adiabatique, est fondée sur l'augmentation de température induite par la compression de l'air. Le fonctionnement du briquet pneumatique relève d’une loi physique bien connue de toute personne ayant gonflé une roue de vélo : la compression d'un gaz entraîne son échauffement. A l’image d’une petite pompe à vélo, le briquet est composé d'un cylindre étanche, clos à une extrémité, et d'un piston parfaitement ajusté afin d'éviter que l'air ne s’échappe. Il suffit de placer au bout du piston (ou au fond du tube), une matière s'embrasant facilement, comme l'amadou, et de comprimer brutalement l’air contenu dans le cylindre.
Briquet asiatique pneumatique
Briquet pneumatique asiatique en bois (cliché : B. Roussel).
Le briquet pneumatique semble avoir eu deux foyers d'apparition : l'un en Asie du Sud-Est, l'autre en Europe.
La concentration de la lumière du soleil permet d'obtenir une chaleur très intense au niveau du foyer de convergence des rayons. Cette technique nécessite l'utilisation d'un miroir concave ou d'un objet jouant le rôle de lentille.
Durant l’Antiquité classique, la concentration des rayons lumineux du soleil a servi notamment pour l’allumage des feux rituels. De même, cette technique était connue en Amérique du Sud et en Amérique centrale ainsi qu’en Chine et en Europe. Dans les années 1970 et 1980, des briquets solaires en plastique connurent une certaine mode et différents
modèles furent commercialisés.

Les techniques modernes de production du feu

Les savants de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle vont rivaliser d'ingéniosité pour créer de nouveaux modes d'allumage du feu. Ainsi, à la fin des années 1770, le célèbre physicien italien Volta proposa un briquet fondé sur la mise à feu de l'hydrogène grâce à des étincelles électriques. En 1823, Döbereiner perfectionna ce procédé pour créer un briquet de table à usage domestique. Ce dispositif produisait son hydrogène à partir de l'attaque du zinc par de l'acide sulfurique. L'hydrogène restait alors sous pression dans le corps du briquet. Une éponge de platine servant de catalyseur, une flamme était produite instantanément en ouvrant le robinet qui retenait le gaz.

De nombreux autres principes physico-chimiques furent mis à contribution pour créer des briquets. On peut ainsi évoquer des briquets fondés sur une réaction chimique, comme le briquet oxygéné ou le briquet au sodium. D'autres systèmes mettent à profit une étincelle généralement produite grâce à l'électricité statique (briquet à hydrogène, briquet à alcool de Mayr, briquet à alcool et éther de Hess). Une autre famille de briquets électriques tire partie
de l'incandescence d'un fil de platine traversé par du courant (briquet de Klinkerfues, briquet de Satune, briquet de Voisin et Dronier, briquet Luminus).

Briquet à émeri    Vers 1889, apparaissent les briquets à amorce. Ils reposent tous sur le même principe. Il s'agit de percuter une amorce à base de fulminate de mercure qui enflamme une mèche parfois imbibée d’essence. Les capsules chimiques sont réparties sur un ruban ou sur des rondelles de papier.

En 1878, Joseph Vaudaine met au point et commercialise un système d'allumage fondé sur la friction d'une roulette d'émeri (minéral dur contenant du corindon) sur des plaques métalliques. Les gerbes d'étincelles produites mettaient le feu à une mèche de coton.
Le briquet à émeri annonce les briquets actuels, collection privée (cliché : B. Roussel).     
Depuis l'époque romaine, les allumettes soufrées complètent le briquet à silex pour passer de la combustion lente de l'amadou à une véritable flamme. Grâce aux travaux sur le phosphore de Robert Boyle (1627-1691), un nouveau système bien pratique va voir le jour, près de cent cinquante ans plus tard.
Au début du XIXe siècle, plusieurs procédés chimiques d'allumage du feu annoncent les allumettes modernes. Ainsi, le briquet oxygéné (découvert par Chancel en 1805) mettait en oeuvre du chlorate de potassium, du soufre et de l'acide sulfurique, alors que le briquet phosphorique (inventé par Derosne avant 1816) mettait déjà à profit la grande inflammabilité du phosphore.
En 1827, un procédé simple apparaît enfin. Le britannique John Walker (1781-1859) met au point les premières allumettes à friction. Elles consistaient en un bâtonnet de bois dont l'extrémité était enduite d'un mélange de chlorate de potassium, de sulfure d'antimoine, de gomme arabique et d'amidon. S'allumant par frottement sur du papier de verre, elles restaient difficiles d'emploi.

L'invention des premières allumettes au phosphore en 1831 est le fait d'un jurassien originaire de Poligny : Charles Sauria (1812-1895). Leur bouton était composé de phosphore blanc, de chlorate de potassium et de soufre. Ces premières allumettes phosphoriques étaient redoutablement efficaces… mais très dangereuses ! Elles s’enflammaient au moindre frottement, ce qui donna lieu à de nombreux accidents.
La fabrication de ces allumettes n’était pas sans danger : la manipulation du phosphore blanc entraînait des cas de nécrose de la mâchoire chez les ouvriers. Au milieu du XIXe siècle, on trouva une solution à ce problème en remplaçant le phosphore blanc par le phosphore rouge. Le suédois Johan Edvard Lundström (1815-1888) mit le premier au point les "allumettes de sûreté". Il eut l’idée de séparer la pâte inflammable, constituant le bouton de l'allumette, du phosphore blanc qu'il plaça sur la boîte. Dès lors, les allumettes de sûreté ne pouvaient s'allumer que si on les grattait contre la bande dédiée à cet usage. Les procédés de fabrication et les mélanges ont bien sûr été améliorés, mais les allumettes que nous utilisons aujourd'hui fonctionnent toujours sur le même principe.    Allumettes Roche et Eydoux
Avant 1872, plusieurs sociétés dont Roche et Eydoux produisaient des allumettes
(cliché : Frédéric Sinclair, http://fredfilu.free.fr).
 
Le XXe siècle donne le jour à deux grandes innovations dans le monde du briquet : le ferrocérium et le gaz liquide.
En 1902-1903, le célèbre chimiste autrichien Carl Auer von Welsbach réalise une découverte importante pour l'histoire du briquet. Il observe qu'un alliage de fer et de cérium produit de puissantes étincelles lorsqu'il est frotté sur de l'acier. Ce nouvel alliage, nommé "ferrocérium", fut rapidement utilisé dans la production de briquets à molette métallique dentée permettant un allumage aisé d'une mèche de coton. Ce type de briquet est souvent improprement nommé "briquet à amadou". En effet, les mèches ne sont pas en amadou mais en coton. Grâce au ferrocérium et à la vulgarisation des distillats légers du pétrole, le briquet à essence se développe au début du XXe siècle. Ce type de briquet est commercialisé sous des formes variées. Il sera d'ailleurs particulièrement en vogue durant le premier conflit mondial avec les célèbres "briquets de tranchées". Après la guerre, des briquets semi-automatiques, puis automatiques, voient le jour. Il n'est alors plus nécessaire de faire tourner la molette : l'ouverture du capot déclenche le mouvement de celle-ci et la flamme apparaît.

Briquet à Methanol    Une innovation importante voit le jour peu de temps après la fin de la seconde guerre mondiale. Marcel Quercia et Georges Ferdinand mettent au point en 1948 un nouveau combustible en mesure de remplacer l'essence : le gaz liquide. Par la suite, l'amélioration des systèmes de valve favorisera le succès du briquet à gaz qui ne s'est d'ailleurs pas démenti
depuis.

De nombreux autres systèmes d'allumage du feu seront inventés durant le XXe siècle, comme le briquet à méthanol et catalyseur de platine, les différents briquets électriques, les briquets piézo-électriques ou à quartz, etc.

 

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LES ROULEAUX CARBONISÉS D'HERCULANUM

 

Paris, 20 janvier 2015


Voir à l'intérieur des rouleaux carbonisés d'Herculanum


Une équipe internationale1 comprenant des chercheurs du CNRS (Institut de recherche et d'histoire des textes), du CNR italien et de l'ESRF (synchrotron de Grenoble) vient de réussir une percée technologique majeure pour étudier des rouleaux de papyrus ensevelis par l'éruption du Vésuve en 79 et découverts à Herculanum il y a 260 ans. Grâce à une nouvelle technique d'imagerie non invasive par rayons-X, les chercheurs ont pu faire apparaître des lettres grecques cachées au cœur même d'un rouleau carbonisé. Les résultats obtenus ont également permis d'émettre une hypothèse quant à l'identité de l'auteur du texte. Ces travaux interdisciplinaires, publiés le 20 janvier dans Nature Communications, laissent espérer que, dans le futur, l'ensemble des papyrus de la bibliothèque antique d'Herculanum pourront être déchiffrés.
Lors de l'éruption du Vésuve qui a détruit Pompéi, des centaines de rouleaux de papyrus ont été ensevelis sous plusieurs couches de matériaux volcaniques. Une bibliothèque entière a été redécouverte il y a 260 ans à Herculanum. Certains des papyrus qui la composaient ont été comme fossilisés et sont parvenus jusqu'à nous. Ils constituent un trésor culturel unique puisqu'il n'existe sans doute pas d'autre copie des textes qu'ils contiennent.
Ces rouleaux carbonisés sont extrêmement fragiles. Les tentatives pour les ouvrir et en lire le contenu risquent de les fragmenter voire de les détruire. Au cours des dernières décennies, différentes techniques d'imagerie avaient été mises en œuvre pour tenter de lire les papyrus sans les dérouler, en vain jusque-là. Dans cette publication, les chercheurs présentent une nouvelle méthode qui leur a permis de déchiffrer plusieurs lettres et mots à l'intérieur d'un rouleau sans l'endommager.
L'encre utilisée dans l'Antiquité était fabriquée à partir de carbone issu des résidus de fumée. Celle-ci a donc une densité quasi identique à celle de la feuille de papyrus brûlée, ce qui la rend difficile à distinguer via l'utilisation classique des rayons X. La tomographie X en contraste de phase (XPCT) utilisée dans ces travaux permet de mieux percevoir la différence entre l'encre et le papier en utilisant la différence d'indice de réfraction. Cette technique exploite également le fait que l'encre ne pénètre pas dans les fibres végétales et les lettres forment donc un très léger relief à la surface du papier. Cette différence de quelques centaines de microns permet d'amplifier le contraste entre les deux composantes du rouleau et de faire apparaître les lettres.
En étudiant par XPCT deux papyrus d'Herculanum issus de la collection de l'Institut de France les chercheurs ont pu lire des mots se situant sous plusieurs couches de papier ou sur des spires du rouleau déformées et collées entre elles. Ils ont également réussi à reconstituer un alphabet grec presque complet pour un papyrus encore enroulé. L'analyse du style d'écriture et la comparaison avec un texte étudié précédemment ont permis d'avancer des hypothèses sur l'âge du rouleau carbonisé et sur son auteur : il pourrait contenir un texte du philosophe épicurien Philodème rédigé au premier siècle avant J-C au sein de son école.
Cette avancée technique permettant de détecter les traces d'encre au sein d'un rouleau de papyrus carbonisé sans compromettre son intégrité était attendue depuis longtemps. En la développant davantage, il sera possible d'obtenir l'image d'un papyrus dans son ensemble en quelques heures d'analyse sous la ligne de lumière d'un synchrotron. À terme, l'ensemble des textes philosophiques contenus dans les rouleaux de la « Villa des papyrus » d'Herculanum pourraient ainsi être déchiffrés.

 

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NICOLAS II

 

Nicolas II

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Nicolas II (en russe : Николай Александрович Романов, Nikolaï Aleksandrovitch Romanov), de la dynastie des Romanov, né le 18 mai 1868 (6 mai 1868 C. J.) au palais de Tsarskoïe Selo et assassiné avec toute sa famille le 17 juillet 1918 à Ekaterinbourg, est le dernier empereur de Russien 4, roi de Pologne et grand-prince de Finlande.
Nicolas II est « tsar de toutes les Russies », de 1894 à 1917. Il connaît de nombreux surnoms suivant les époques : « Nicolas le Pacifique », du temps de son règne, puis les Soviétiques le baptisent « Nicolas le Sanguinaire », mais de nos jours la tradition populaire orthodoxe le décrit comme « un saint digne de la passion du Christ ».
Sous son règne et sous celui de son père, la Russie connaît un essor économique, social, politique et culturel sans précédent. Les serfs ont été libérés pendant le règne de son grand-père Alexandre II et les impôts sont allégés. Le Premier ministre Piotr Stolypine réussit à développer une classe de paysans riches, les 175 millions d'habitants devient la troisième ou quatrième puissance économique mondiale et possède le premier réseau ferroviaire après les États-Unis et le Canada. Le rouble devient une monnaie convertible et, outre un nombre important de marchands et d'industriels, l'Empire possède désormais ses propres financiers qui sont souvent des mécènes. Sur le plan culturel, la Russie connaît alors un « Âge d'argent », et prend la deuxième place dans le domaine de l'édition de livres. De nouvelles universités, des écrivains, sculpteurs, peintres, danseurs… sont à l'époque connus dans le monde entier1. Selon Alexander Gerschenkron, « nul doute qu'au train où croissait l'équipement industriel pendant les années du règne de Nicolas II, sans le régime communiste, la Russie eût déjà dépassé les États-Unis »L2 1.
Nicolas II gouverne de 1894 jusqu'à son abdication en 1917. Il ne réussit pas à mettre fin à l'agitation politique de son pays ni à mener les armées impériales à la victoire pendant la Première Guerre mondiale. Son règne se termine avec la révolution russe de 1917, pendant laquelle lui et sa famille sont emprisonnés d'abord dans le palais Alexandre à Tsarskoïe Selo, puis plus tard dans la maison du gouverneur à Tobolsk, et finalement dans la villa Ipatiev, à Ekaterinbourg. Nicolas II, son épouse, son fils, ses quatre filles, le médecin de la famille, son domestique personnel, la femme de chambre et le cuisinier seront ensuite mis à mort par les bolcheviks dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918.



Jeunesse

Le 6 mai 1868 naît Nicolas Alexandrovitch Romanov (en transcription universitaire, Nikolaj Aleksandrovič Romanov), fils d'Alexandre III et de Marie Feodorovna (1847-1928), fille de Christian IX roi du Danemark. Il est le premier des cinq enfants du couple impérial : Alexandre (1869-1870), Georges (1871-1899), Michel (1878-1918), Xénia Alexandrovna (1875-1960) et Olga (1882-1960).
Nicolas et ses plus jeunes frères sont élevés à la dure : des lits de camp, un ameublement simple, des icônes de la Vierge et de l'enfant Jésus. Leur grand-mère Marie Alexandrovna introduit les coutumes britanniques en matière d'éducation chez les Romanov : gruau pour le déjeuner, bains froids, abondance d'air frais2… Leur mère est brillante, enjouée, aimant la vie en société, les bals et les fêtes et elle leur donne le goût du divertissement et de la vie mondaineL1 1, mais elle ne s’occupe guère d’eux et c’est leur père, rude et bourru, qui monte dans leurs chambres pour les câliner3.
Le 1er/13 mars 1881, Nicolas assiste à la brève agonie de son grand-père, l'empereur Alexandre II de Russie, dont un attentat a arraché les jambes et défiguré le visage4. Or cet attentat survient alors même qu'Alexandre II, poursuivant sa politique réformatrice, s'apprêtait à faire de grandes réformes. Nicolas devient tsarévitch. Pour des raisons de sécurité, le nouvel empereur Alexandre III et sa famille s'installent au palais de Gatchina en dehors de la ville5.
À l'adolescence, le tsarévitch, d'un caractère déjà sérieux et réservé, respecte les conseils de ses précepteurs et obéit aux ordres de son père6. Alexandre III confie l'éducation de son fils à des hommes issus de son gouvernement, parmi lesquels le procureur du Saint Synode, Constantin Pobiedonostsev, le général Danilovitch, le ministre des finances Bunge, totalement pénétrés de la nécessité d'un pouvoir impérial fort7.
En 1884, à l'âge de seize ans, il rencontre pour la première fois la princesse Alix de Hesse-Darmstadt, l'une de ses cousines allemandes, élevée à la cour d'Angleterre, âgée de douze ans, dont il tombe amoureux. Toutefois la perspective d'un possible mariage avec une princesse allemande contrarie aussi bien le tsar que la tsarine, et Alexandre III ordonne à Nicolas Alexandrovitch d'abandonner tout espoir de se marier avec une Allemande8.
Le futur empereur mesure 1,73 m, mince, avec des cheveux châtains et des yeux bleus, il est, selon ses contemporains, bien de sa personne. Excellent danseur, patineur et cavalier, il a le goût de la chasse, parle plusieurs langues, dont le français, mais la politique est pour lui une corvéeL1 2.

De 1885 à 1890, il fréquente la faculté de sciences politiques et économiques de l'université de Saint-Pétersbourg, devient colonel de la Garde impériale et suit aussi les cours de l'Académie d'État. Les journaux intimes du jeune Nicolas montrent son enthousiasme pour la vie de caserne, pour les parades, les revues, et la vie des jeunes soldats de la capitale. L'empereur, cependant, ne fait rien pour lui enseigner l'art de gouverner. Il veut en faire un juriste, un officier et le meilleur représentant de la grande Russie et de l'illustre famille des Romanov auprès des cours européennes9. Le futur Premier ministre Serge Witte propose à Alexandre III de nommer le tsarévitch Nicolas président des travaux du Transsibérien. L'empereur refuse : « Connaissez-vous bien le tsarévitch ? A-t-il jamais réussi à parler sérieusement avec vous ? Il est encore un enfant dans tout et pour tout, il juge les choses en mode enfantine. Comment serait-il capable de présider un comité ? » L'homme d'État lui réplique qu'il ne sera là que pour présider, pas pour comprendre ».
Le 23 octobre 1890, Nicolas appareille sur un croiseur russe et fait une tournée officielle en Grèce, en Égypte, aux Indes, dans le sud-est asiatique, en Chine et au Japon, accompagné de son frère Georges et de son oncle, futur Georges Ier de Grèce. Pendant son séjour au Japon, le tsarévitch reçoit un coup de sabre d'un mari outragé par les avances que Nicolas aurait faites à sa jeune épouseL2 2 (cf. l'article « incident d'Ōtsu »). Le tsarévitch doit revenir dans son palais en traversant la Sibérie. Il revient d'Asie avec un grand mépris pour les Japonais, qu’il appelle « les singes » et il est plus que jamais assuré de son amour profond et sincère pour le paysan russe : « le meilleur des êtres humainsL1 3 ».
À son retour, son père lui conseille de s'amuser et va jusqu'à favoriser une relation du tsarévitch avec la première danseuse du Théâtre Marie, Mathilde Kschessinska. Il rompt toutefois rapidement sa relation avec la Kchessinskaïa10.
Au début des années 1890, la santé de l'empereur Alexandre III se dégrade. Comme Nicolas est tombé amoureux de sa cousineL2 3, il obtient le consentement à son mariage avec Alix, malgré l'insistance de ses parents à le marier à la princesse Hélène d'Orléans, fille de Philippe d'Orléans et ainsi renforcer l'alliance franco-russe. Le 8 avril 1894, Nicolas Alexandrovitch et Alix de Hesse-Darmstadt se fiancent officiellement au château de Cobourg, en présence de leurs familles, parmi lesquelles on pouvait compter l'empereur Guillaume II et la reine Victoria, grand-mère commune à la fois de la fiancée, du Kaiser et de Nicolas.
Avant de mourir, Alexandre son père l'exhorte : « Manifeste ta propre volonté, ne laisse pas les autres oublier qui tu esL1 4 ». Nicolas II succède à Alexandre III, le 1er novembre 1894.

Premières années de règne

Mariage

Le nouvel empereur s'interroge : « Que va-t-il nous arriver à moi et à toutes les Russies11? ». Il avoue : « Non, je ne suis pas prêt à être un tsar. Je n'ai jamais voulu l'être. Je ne sais rien sur ce qu'il doit faire pour gouverner. Je n'ai pas la moindre idée de comme on parle aux ministres12,13 ». Pendant un certain temps, il se contente d'imiter son père, mais il consacre beaucoup plus d'attention aux détails de l'administration que ce dernier.
Protestante, sa fiancée se convertit avec réticence à l'orthodoxie. Le Kaiser, leur cousin, s’entremet avec succès. Il veut renouer l’entente des trois empereursL2 4. Le 26 novembre 1894, Nicolas II épouse la princesse Alix de Hesse-Darmstadt (1872-1918), fille du grand-duc Louis IV de Hesse et de la grande-duchesse, née princesse Alice d'Angleterre (1843-1878). Elle est connue en Russie sous le nom d'Alexandra Féodorovna14. Les cérémonies de mariage obéissent à un rite multiséculaireL2 5.
Nicolas II et Alexandra auront cinq enfants : quatre filles, Olga (1895-1918), Tatiana (1897-1918), Maria (1899-1918), Anastasia (1901-1918) et enfin un fils, le tsarévitch Alexis Nikolaïevitch (1904-1918). Il existe de nombreuses photos du mariage, du couple et de ses enfants, qui forment une famille très unie15. Les cinq enfants auront pour précepteur le Suisse Pierre Gilliard.

Couronnement

Le 26 mai 1896 est le jour de son sacre comme empereur et autocrate de toutes les Russies par la Grâce de Dieu (Божию Милостию, Император и Самодержец Всероссийский) et Basileus de l'Église Orthodoxe russe. Le rituel est inspiré de ByzanceL1 5 et a lieu à Moscou, la troisième RomeL2 5. À Moscou, se trouvent les corps de ses ancêtres et cette grande ville outre qu’elle est le centre de l’Empire (Rossia) incarne la tradition Rous, l’ancienne Russie. Se conformant aux précédents couronnements, Nicolas II fait une entrée triomphale dans la ville de Moscou, sur un cheval blanc, suivi des deux impératrices16.
Le jour de cette cérémonie très importante, une bousculade se produit dans la foule au champ de Khodinka, provoquant la mort de plusieurs centaines de personnes qui sont piétinées17. Le tsar pense annuler les cérémonies officielles, mais il n’ose se décommander au bal du comte de Montebello, l’ambassadeur français. Il y paraît donc, blême et anxieux. Et à peine sorti de cette fête gâchée, il se rend au chevet des blessésL1 6. En raison de cette catastrophe et de la participation du tsar au bal, le peuple va se mettre à haïr la tsarine qu’il surnomme « l’Allemande ». Or, tous ceux qui vont la rencontrer vont rapidement se rendre compte qu’elle déteste l'Empire allemand et parle en anglais, sa langue maternelleL1 7.

Mal préparé à assumer ses fonctions, Nicolas II est généralement considéré par les historiens comme un homme n'ayant ni l'imagination créatrice, ni l'énergie de concevoir un autre ordre18. Il subit constamment l'influence de son épouse. Il rêve d'une existence bourgeoise avec elle et leurs enfants et de parties de tennis ou de bains dans les eaux glacées de la Baltique. D'ailleurs trois jours après son mariage, il écrit dans son journal : « Avec Alix je suis immensément heureux. Dommage que les affaires d'État me prennent tant de temps. Je préfèrerais passer avec elle toutes ces heures »19. Le tsar semble parfaitement inconscient des intrigues de la cour, de sa dépravation et de l'affairisme de certains de ses conseillers. Peu capable de refus, il est trop délicat et bien élevé pour se déterminer grossièrement et, plutôt que refuser, préfère se taire. Son épouse écrit à la fin de sa vie en 1917 à une amie : « Si vous saviez au prix de quel effort il a pu vaincre en lui cette propension à la colère, propre à tous les Romanov !... Le plus magnifique des vainqueurs est celui qui se vainc lui-même »20.
En dépit d'une visite au Royaume-Uni avant son accession, où il s'intéresse au fonctionnement de la Chambre des communes, Nicolas II est opposé au parlementarisme, et même à une extension des pouvoirs des assemblées locales, les zemstvos. Il défend le principe de l'autocratie absolue21. Au mois de janvier 1895, il expose clairement son programme : il est le dépositaire d’une tradition, celle des Romanov, et l’autocratie est un principe sacré, légitimé par des lois qui ne sont pas temporellesL1 8. Il répète aux Russes : « Vous avez formulé des rêves insensés »L2 6.

Affirmation de l'autocratie

Nicolas II veut conserver l'organisation centralisée du pouvoir, qui avait permis de conserver la stabilité gouvernementale. Parmi ses principaux collaborateurs, figurent des hommes jadis proches conseillers d'Alexandre III, comme le procureur du Saint Synode, Constantin Pobiedonostsev, ancien précepteur de ce dernier, les ministres de l'Intérieur, Ivan Goremykine (de 1895 aux 1899) et le comte Plehve (de 1902 à 1904), le chef de la police de Saint-Pétersbourg, Dimitri Feodorovitch Trepov (de 1896 à 1905). Le choix de son cabinet annonce quelles vont être les orientations politiques des premières années du règne du jeune Nicolas II.

Totalement novice dans l'art de gouverner un État, il arrive au trône en appliquant les doctrines conservatrices apprises de Pobiedonostsev22. Il a des idées toutes-faites et idéalise la réalité russe. Il est influencé par la lecture des biographies des saints orthodoxes et du tsar Alexis Ier, connu dans l'histoire russe comme « le bon tsar » et se veut être un vrai « père du peuple », le surnom du tsar dans les campagnes russes23,24.
En même temps, il accède aux demandes de sa femme, timide et puritaine, qui veut s'éloigner, ainsi que sa famille, de la vie mondaine de l'aristocratie russe, en choisissant comme résidence le palais Alexandre, situé à Tsarskoïe Selo, en français le « village des Tsars ». Cela le rendra - et surtout l'impératrice Alexandra - antipathique à une partie importante de la grande noblesse de Moscou et de Saint-Pétersbourg, qui ne se reconnaît pas dans cet empereur privilégiant un style de vie austère loin de la cour25.
Sous l'impulsion du comte Plehve, ministre de l'Intérieur, il soumet les zemstvos, assemblées provinciales ouvertes au peuple, à des fonctionnaires d'État, et organise une russification des « provinces », en particulier de la Pologne, de la Finlande et du Caucase26. Il accroît également la politique antisémite amorcée par son père Alexandre III : numérus clausus, ghettos, et surtout sanglants pogroms exécutés par les Cent-Noirs[réf. nécessaire].
Serge Witte et l'industrialisation de la Russie[modifier | modifier le code]
Nicolas II conserve aussi le ministre de son père, Serge Witte. Malgré leur divergence de caractère, Nicolas II approuve la politique de développement économique intensif menée par son ministre des Finances (de 1892 à 1903). Le comte de Witte veut faire de la Russie une grande puissance européenne.

Le 3 janvier 1897, Serge Witte continue les réformes financières amorcées sous Alexandre III : le rouble-or est instauré dont l'impérial (15 roubles) et le demi-impérial (7 roubles et 50 kopecks). Cette réforme donne un élan sans précédent en Russie, à l'économie et aux développements de l'industrie27,28. La dette de la Russie passe de 258 à 158 millions de roubles entre 1897 et 1900L2 7.
Le comte de Witte a aussi comme priorité le développement du commerce à l'étranger. Après une négociation serrée avec Berlin, le gouvernement allemand accepte d'appliquer à la Russie un tarif douanier très favorable. En 1914, la moitié des importations russes viendront d’Allemagne et un tiers des exportations y partiront29.
Pour développer l'industrie, Serge Witte a recours à l'emprunt à l'étranger, les fameux emprunts russesL2 8. De 1895 à 1899, ils atteignent 275 millions de roubles, venant avant tout de France et un peu de Belgique. Grâce à eux, le développement industriel est considérablement facilité. La production augmente en effet de 8 % dans les années 1890.

Witte encourage les compagnies privées étrangères à venir investir en Russie. En 1900, près de 300 sociétés, en grande partie françaises et belges, y sont installées. Elles contrôlent 60 % de la production de houille et 80 % de celle du coke.
Les progrès réalisés dans le domaine du développement économique, sans réel souci du sort des ouvriers, entraînent logiquement des mouvements sociaux. Serge Witte se rend compte de la nécessité de faire des réformes sociales, culturelles et politiques. Mais il doit faire face à l’essor de la culture russe traditionnelle qu'inspire au peuple et aux intellectuels la peur du changement. C’est le cas de Constantin Aksakov et d'Alexeï Khomiakov, slavophiles ennemis de l’Occident et du progrès, partisans du retour au mir et à l’orthodoxie des anciens. Et aussi à l’opposition des grands propriétaires fonciers30 et d'industriels voulant de la main-d'œuvre bon marché. En juillet 1897, le gouvernement limite la journée de travail à onze heures trente et le travail de nuit à dix heuresL1 9.
Malgré tout, Nicolas II est conscient de la valeur de Witte qu'il déteste, car il est soupçonné d'être franc-maçonL2 9, mais qu'il laisse réformer et industrialiser l’Empire30. Avant la fin du siècle, la balance commerciale russe n’est plus déficitaire et le rouble devient convertible et fiable. Des chemins de fer sont construits dans tout le pays, dont le Transsibérien terminé en 190131. Witte transforme la Russie en « serre du capitalisme »32. On le compare souvent à Colbert et à Turgot33.
La politique agricole, au contraire, se montre ruineuse et inadéquate. Les jachères sont nombreuses et les paysans libres endettés32. Witte comprend qu'il faut baisser leurs impôts et, comme il constate que la vodka est consommée en quantité excessive, il décrète l'alcool monopole d'État. Le Trésor se gonfle des sommes importantes générées par la consommation de vodkaL1 10. Entre 1893 et 1899, 24 pour cent des ressources du gouvernement proviennent de la vodkaL2 8.
La population passe de 98 à 175 millions d’habitants de 1880 à 1914. Witte repeuple la Sibérie et des territoires en Extrême-Orient. L'exploitation des ressources orientales toutefois engendre un conflit administratif de compétences entre les ministères des Finances et des Étrangers.
En 1900, la crise mondiale de la monnaie cause la fermeture d'industries et de banques. Les propriétaires fonciers, opposés à Witte profitent de la situation pour relancer des attaques contre lui, en l’accusant d’être le père de la social-démocratie. La Russie reprendra seulement en 1903 son ascension économique34.

Défense de la paix

L'allié principal de la Russie, à cette époque, est toujours la France, depuis la signature de l'alliance franco-russe, ratifiée par Alexandre III de Russie en 1893. En effet, la Russie voit d'un œil inquiet la montée en puissance de l'Empire allemand à sa frontière occidentale. La Triplice redoutée lie toujours l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie - dont la diplomatie expansionniste dans les Balkans l'oppose à la Russie - et le royaume d'Italie. Aussi la France, outre son programme de coopération financière et économique, aide-t-elle l'armée à se moderniser à la suite de l'alliance franco-russe signée en 1891. Des visites officielles bilatérales s'effectuent à un rythme régulier : d'abord la visite du jeune couple impérial en France, en octobre 1896, qui est un triomphe et au cours de laquelle Nicolas II inaugure le Pont Alexandre-III à Paris35, ensuite la visite en 1897 du président Félix Faure, puis la seconde visite de Nicolas II en France en 1901, auquel répond celle du président Émile Loubet à Saint-Pétersbourg en 1902.
L'Angleterre, quant à elle, reste fidèle à sa politique de « splendide isolement », et, concurrente de la France dans sa politique coloniale, n'a de cesse de contenir la Russie et de critiquer cette alliance. En 1902, elle va même jusqu'à signer avec le Japon un traité, où elle attaquerait la France si le Japon est attaqué par la Russie. Ce qui explique la neutralité de cette dernière, lors de la désastreuse guerre russo-japonaise.
Par la suite, constatant la faiblesse de l'armée russe après sa défaite et inquiète de la rencontre à l'été 1905 du Kaiser et de son cousin le tsar, l'Angleterre change de point de vue par nécessité. Elle se décide à régler ses différends de frontières dans le Pamir, en Afghanistan et en Perse avec la Russie et amorce une politique de rapprochement qui donnera corps à la Triple-Entente. Le président Fallières rencontre Nicolas II à Cherbourg, le 31 juillet 1909. Cette alliance à trois qui est présentée alors comme une défense de la paix face à la montée des périls est en pleine vigueur, jusqu'à la Première Guerre mondiale.
En août 1912, après les affaires de la canonnière d'Agadir et des différends de la France avec l'Empire allemand, Raymond Poincaré, alors président du conseil et chargé des Affaires étrangères, se rend en visite officielle en Russie, pour surtout assister à des manœuvres conjointes et se rendre compte de l'état de l'armée russe. Il réitère sa visite, cette fois en tant que président de la république, juste après l'attentat de Sarajévo, en juillet 1914.
Sur le plan intérieur, en 1897, le tsar envoie le général Galitzine russifier les provinces du Caucase et en 1898, il nomme gouverneur général du grand-duché de Finlande Bobrikov qui entreprend une certaine russification de la population.
Malgré cette répression, un appel au désarmement est lancé en 1898 par Nicolas II, conseillé par Witte qui est totalement opposé à une guerre soit avec l’Allemagne, soit avec le Japon. Nicolas II lance à tous les pays un appel au désarmement et à la paix mondiale, en se référant aux conséquences commerciales, financières et morales de la course aux armements36 En 1899, le tsar choisit la ville de La Haye pour la première conférence internationale devant discuter de ce problème.

Les autres puissances comme le Royaume-Uni et l'Allemagne accueillent froidement son invitation. Vingt nations européennes, toutefois, participent à ces rencontres, ainsi que les États-Unis, le Mexique, le Japon, la Chine, le Siam et la Perse qui réunissent aussi des experts de droit international public de divers pays. La proposition de désarmement est repoussée, mais on obtient une convention sur les règles de guerre (qui prévoit la tutelle de personnes et les structures civiles et la prohibition des gaz toxiques), et le droit international humanitaire. Le résultat le plus important obtenu du tsar et de ses collaborateurs est cependant la création de la Cour d'arbitrage international de La Haye37,38.
Situation intérieure au début du xxe siècle[
Les révoltes paysannes se multiplient au début du siècle dans l'Empire, les émeutes et les grèves aussi et s'ajoutent à ces violences des pogroms. La crise internationale et l'effort de guerre ont comme conséquences la fermeture de 4 000 usines.
En 1902, Nicolas II confie le ministère de l'Intérieur au comte Plehve. Bien qu'il éprouvât de la sympathie pour les idées constitutionnelles, Plehve développe une politique très conservatrice.
En 1903, l'empereur fait de Séraphin de Sarov un saint et se sent placé sous la protection d'une sainte figure authentiquement russe, paysanne, à l'image du peuple idéal auquel il se réfère sans cesseL1 11.

Guerre et révolution de 1905
La guerre contre le Japon (1904-1905)


En 1896, la Russie obtient la construction du chemin de fer de l'est chinois qui doit relier la ville russe de Tchita au port de Vladivostok, en traversant le saillant que forme la Mandchourie, entre les deux points (ce qui permet d'éviter un long détour le long de l'Amour).
Dans son expansion vers l'est pour participer au dépeçage de la Chine par les grandes puissances européennes, la Russie pendant la révolte des Boxers occupe la Mandchourie, en 1900.
Des généraux et des hommes d'affaires envisagent d'étendre le protectorat russe sur la Corée que le Japon considère comme sa chasse gardée. Jusqu'en 1902, la Russie et le Japon tentent de régler pacifiquement leurs différends. D'intenses contacts diplomatiques ont lieu entre les deux pays, diverses options sont envisagées : le partage de la péninsule coréenne, la neutralité coréenne sous garantie internationale, l'échange de la Corée contre la Mandchourie.

Le 8 février 1904, le Japon attaque par surprise la flotte russe ancrée à Port-Arthur et assiège la ville qui se rend après un siège de huit mois. En mars 1905, l'infanterie russe est battue à la bataille de Moukden. En mai, la flotte de la Baltique, parvenue sur les lieux après un périple de plusieurs milliers de kilomètres est anéantie dans le détroit de Tsushima.
En septembre 1905, un traité de paix russo-japonais est signé à Postsmouth (États-Unis). La Russie reconnaît l'existence des intérêts japonais en Corée, concède au Japon les privilèges qu'elle avait acquis en Mandchourie et lui cède la partie méridionale de l'île de Sakhaline mais, malgré l'insistance de la délégation nippone, ne verse pas d'indemnité de guerre.
Sur le plan militaire, ce conflit préfigure les guerres du xxe siècle par sa durée (un an et demi), par les forces engagées (sans doute plus de deux millions d'hommes au total) et les pertes (156 000 morts, 280 000 blessés, 77 000 prisonniers) ainsi que par l'emploi des techniques les plus modernes de l'art de la guerre (logistique, lignes de communications et renseignements ; opérations combinées terrestres et maritimes; durée de préparation des engagements, tranchées)39.
Cette catastrophe est « la première défaite de l’homme blanc » face à des gens de couleur et pour les peuples colonisés de l’Empire russe c’est « la défaite du tsar blanc ». Les musulmans de Russie se mettent à rêver d’émancipation40. L’admiration fait place au mépris.
Chez les Russes, le mécontentement grandit. Le cuirassé Potemkine bombarde le port d'Odessa. Les partis d'opposition sortent renforcés de la défaite des armées russes.

La révolution de 1905


La Russie est depuis le début du xxe siècle dans un état de révolte permanente. Trois partis exploitent le mécontentement chez les ouvriers, les paysans et les bourgeois :
Le parti ouvrier social-démocrate de Russie est une organisation politique marxiste révolutionnaire fondée en mars 1898. Les grèves ouvrières commencent relativement tard, en 1903. Elles obéissent au début à des motivations économiques puis deviennent politiques. En 1897 est né le Bund, mouvement ouvrier juif marxiste qui revendique pour les juifs l'égalité nationale qui va se heurter à Lénine qui est partisan de l'unité du parti41.
Le Parti socialiste révolutionnaire est une organisation politique russe, d'inspiration socialiste et à base essentiellement paysanne. Il se réclame du groupe terroriste Narodnaïa Volia (Volonté du peuple) disparu en 1881. En 1904, la brigade terroriste du parti, sous la direction de Boris Savinkov, organise l'attentat contre le ministre de l'intérieur Plehve. Les SR assassinent aussi Dmitri Sipiaguine et le grand-duc Serge, oncle du tsar. L'agitation paysanne est endémique à partir de 1902, mais les émeutes ne virent jamais à l'insurrection : elles ont pour but de faire peur aux nobles afin qu'ils cèdent la terre à bas prix. On compte 670 soulèvements de ce type de 1902 à 1904.
Le parti constitutionnel démocratique un parti politique libéral. Les membres du parti sont appelés Cadets, de l'abréviation KD du nom du parti en russe (Конституционная Демократическая партия). Le Parti constitutionnel démocratique est formé à Moscou du 12 au 18 octobre 1905, à l'apogée de la révolution russe de 1905. Ce n'est qu’en 1906, avec le repli de la révolution, que les Cadets abandonnèrent leurs aspirations révolutionnaires et républicaines et se déclarèrent en faveur d'une monarchie constitutionnelle.

L'évolution économique et sociale du pays avait fait monter les oppositions libérales, démocrates, socialistes et révolutionnaires au régime tsariste. Il suffit d'une étincelle pour déclencher une révolution. Le 22 janvier 1905, la police ouvre le feu sur une immense manifestation ouvrière, faisant entre huit cents et mille morts. L'ironie du sort veut que le meneur de la manifestation, le pope Gapone, soit en réalité membre d'un syndicat policier destiné à noyauter le mouvement ouvrier et l'orienter dans la direction voulue par les autorités. Les ouvriers qui convergent vers le palais d'Hiver - ils ignorent que Nicolas II est absent de la capitale - portent des icônes et des portraits du tsar et viennent en sujets fidèles ou plutôt comme des enfants devant leur père pour le supplier de soulager leur misère.
Le Dimanche Rouge marque le début d'un engrenage révolutionnaire : la première révolution russe.
Des jacqueries éclatent dans la plupart des provinces de l'Empire, indépendamment des troubles survenus à Saint-Pétersbourg, car les moujiks ignorent le Dimanche Rouge, dont les journaux censurés ne disent pas un mot.
Dans le même temps, la grève ouvrière s'étend à tout le pays. En l'absence de syndicats, l'idée d'une organisation représentative des ouvriers fait son chemin sous la forme de soviets : ils apparaissent d'abord en province dans le rôle de comités de grèves éphémères (ce mot russe signifiant conseil est adopté en mai 1905 par les ouvriers d'Ivanovo pour désigner leur comité de grève). Ils prennent une coloration plus politique avec la fondation du soviet de Saint-Pétersbourg, en octobre 1905, et de Moscou, en décembre. Tout en se méfiant des intellectuels suspects de vouloir imposer leur hégémonie, les ouvriers ressentent le besoin d'être conseillés par des révolutionnaires expérimentés, qui n'ont qu'un rôle consultatif à côté des délégués ouvriers : d'abord réservés parce qu'ils n'approuvent pas le mouvement des masses, les bolcheviks envoient des représentants mais les postes dirigeants reviennent aux mencheviks, plus nombreux jusqu'en 1917.
La population réclame une constitution, une Douma et les libertés. À Saint-Pétersbourg, les Socialistes Révolutionnaires, les bolcheviks et les mencheviks s'unissent au sein du soviet ouvrier qui publie les Izvestia.

L'échec de l'Empire constitutionnel
Le Manifeste d'octobre 1905

« J’ai signé cette déclaration à cinq heures. Après une semblable journée je ressens le poids de mes responsabilités et mes pensées sont confuses. Oh Seigneur ! aide nous et sauve la Russie et la paix42 ! ».
La première révolution russe contraint Nicolas II à des concessions arrachées par son ministre Witte. Nicolas II promulgue le manifeste du 17 octobre, le nom officiel est Le Manifeste sur le perfectionnement de l'ordre de l'État (russe : Манифест об усовершенствовании государственного порядка). Il s'engage à accorder des libertés civiques au peuple, dont :
    •    la liberté de culte
    •    la liberté de parole,
    •    la liberté de réunion,
    •    la liberté d'association,
    •    l'institution d'une Douma d'Empire, élue au suffrage semi-universel qui va avoir le pouvoir d'approuver les lois. La Douma est le nom emprunté à l'ancien conseil des tsars moscovites, afin de signifier que l'organe créé en 1905 ne repose que sur la volonté du tsar.
    •    une amnistie pour tous les délits et crimes commis avant la proclamation du Manifeste.
    •    une promesse aux populations non russes du respect des libertés et le droit, pour chaque nationalité, d'utiliser sa propre langue.
    •    un Premier ministre avec des pouvoirs étendus.
Il comporte un décret selon lequel aucune loi n'entrera en vigueur sans le consentement de la Douma. Le manifeste a été précurseur de la première constitution russe de 1906. En réalité, le manifeste n'entraîne pas un accroissement significatif des libertés ou de la représentation politique pour le Russe moyen. L'empereur continue d'exercer son droit de veto sur la Douma, et il va la dissoudre plusieurs fois. Nicolas II ne pense pas que les rapports avec les peuples dominés doivent être modifiés43.

Les libéraux estiment qu'ils ont obtenu satisfaction sur l'essentiel, mais sont divisés sur la stratégie à adopter : l'aile droite forme le mouvement octobriste, mené par Alexandre Goutchkov et s'affirme prête à collaborer loyalement avec le gouvernement tandis que l'aile gauche, menée par l'historien Milioukov et le Parti constitutionnel démocratique (K. D.) fait du parlementarisme à l'occidentale, un idéal que la Russie doit prochainement atteindre. Les radicaux considèrent ces concessions comme insuffisantes : les Socialistes révolutionnaires et les bolcheviks refusent de participer à une Douma sans pouvoir réel et appellent à la poursuite du mouvement révolutionnaire, relayés par le soviet de Saint-Pétersbourg. Les ouvriers de la capitale, épuisés par une année de luttes, répondent mal à l'appel lancé par le Soviet, dont le gouvernement fait arrêter les membres, mais les ouvriers prennent les armes à Moscou et le pouvoir doit utiliser l'artillerie pour écraser le soulèvement.
Le 27 avril 1906, le tsar est à l’origine de la Loi fondamentale de l'État, sorte de constitution, qui transforme la Russie en une monarchie constitutionnelle, mais non parlementaire, les ministres ne dépendant que de l'empereur. En outre, la Douma se trouve rapidement en complet désaccord avec l'empereur. Celui-ci change alors la loi électorale, en diminuant considérablement le poids électoral de la majorité du peuple par rapport à celui des classes aisées et fausse ainsi largement le suffrage universel.
Le 3 mai 1906, Nicolas II accepte la démission du Premier ministre Serge Witte aux tendances relativement progressistes ainsi que de son gouvernement et le remplace par le très conservateur Ivan Goremykine, assisté de Piotr Stolypine comme ministre de l’Intérieur qui conserve ses fonctions de gouverneur de Saratov.
L'année suivante, la répression met fin à la vague de grèves. Le nouveau Premier ministre Stolypine ne cherche pas à gagner la confiance du prolétariat et se contente d'une loi sur les assurances et les maladies, mesure peu populaire, car elle exige une participation ouvrière aux cotisations.

Les lois fondamentales (avril 1906)[
Nicolas II ne cède qu'à contre-cœur en octobre 1905. Il limite au maximum les concessions octroyées dans les Lois fondamentales (ce qui évite d'utiliser le terme honni de constitution) promulguées en avril 1906, la veille du jour où doit se réunir la première Douma.
L'empereur conserve le titre d'autocrate (article 4) et garde le contrôle de l'exécutif. Les ministres ne sont pas responsables devant la Douma et relèvent uniquement du souverain. L'empereur est le chef des forces armées, dirige la politique étrangère (et notamment détient le droit de déclarer la guerre et de faire la paix) et convoque les sessions annuelles de la Douma (article 9).
Le pouvoir législatif de la Douma est officiellement restreint : elle n'a pas l'initiative des lois et les lois qu'elle a acceptées passent ensuite devant l'ancien Conseil d'État transformé en Conseil d'Empire et qui tient lieu de chambre haute (article 44). Le gouvernement a la possibilité de légiférer par oukases dans l'intervalle des sessions, à charge de les faire ratifier ensuite par la Douma.


La période semi-constitutionnelle (1905-1907)

La première Douma ou Douma cadette (mai-juillet 1906)
Les élections réellement libres sont un succès pour le parti Kadet et le centre gauche. Beaucoup parmi les nouveaux élus prennent leurs fonctions à cœur et s'aliènent immédiatement la couronne en cherchant à établir un régime parlementaire et à imposer une réforme agraire jugée inacceptable par la noblesse tandis que Goremykine, éphémère Premier ministre d'avril à juillet 1906, refuse tout contact avec la Douma. Elle veut aussi la libération de tous les prisonniers politiques et du veto des ministres. Les Russes sont à peine majoritaires (deux cent soixante-dix députés russes pour deux cents non-russes)43.
Stolypine, nommé nouveau Premier ministre par Nicolas II, obtient la dissolution de la Douma. Les députés libéraux et socialistes modérés répliquent en lançant l'appel de Vyborg, appelant à la résistance passive par le refus de l'impôt et de la conscription. Les signataires de l'appel sont condamnés à la prison et déclarés inéligibles non seulement à la future Douma mais aussi aux zemstvos.


La deuxième Douma ou Douma rouge (février-juin 1907)
Le gouvernement s'est assuré tous les moyens de pression pour obtenir des résultats favorables, mais la deuxième Douma s'avère encore plus ingouvernable que la première. Les partis de gauche qui ont renoncé au boycott progressent aux dépens des cadets, dont les leaders sont inéligibles. Les socialistes-révolutionnaires obtiennent trente-six députés et les sociaux-démocrates soixante-six. Les députés non-russes sont toutefois moins nombreux43. Ils s'opposent à Stolypine par tous les moyens : ce dernier obtient de nouveau de l'empereur la dissolution de la Douma, à cause d'un prétendu complot fomenté par les sociaux-démocrates.

Le gouvernement Stolypine (1906-1911)
En juillet 1906, Nicolas II nomme Stolypine président du Conseil des ministres. Celui-ci se donne deux objectifs : rétablir l'ordre et mettre en œuvre un programme de réformes. Il est le grand artisan de la nouvelle politique russe, qui se veut conservatrice et moderniste. Issu d’une famille de vieille noblesse, il pense que le seul remède à la poussée révolutionnaire est le développement économique du pays.
La modification de la loi électorale et l'élection de la Troisième Douma[modifier | modifier le code]
La modification de la loi électorale a pour but de faire élire une Douma prête à coopérer avec le gouvernement : la représentation paysanne est diminuée de près de moitié, celle des ouvriers réduite de façon draconienne. Le nombre de députés de la noblesse augmente de façon tout à fait disproportionnée étant donné le faible nombre de ses électeurs. Le gouvernement trouve enfin une Douma coopérative, où l'Union du peuple russe (droite nationale) et les Octobristes sont majoritaires, mais où des bolcheviks sont députés.
Contrairement à ce qui s'est passé pour les deux premières Doumas qui n'ont duré que quelques mois, la troisième reste en fonction jusqu'au terme légal de la législature, c'est-à-dire jusqu'en 1912.
La quatrième Douma dure également cinq ans, de 1912 à la révolution de février 1917.


La lutte contre le terrorisme
L'arrivée au pouvoir de Stolypine correspond à une reprise du terrorisme. Les socialistes-révolutionnaires décident en 1906 de frapper un grand coup : la résidence où vit le Premier ministre est l'objet d'un attentat particulièrement sanglant (plus de trente victimes, dont deux enfants de Stolypine, sont grièvement blessés). Stolypine est indemne, mais il est convaincu de la nécessité de sévir sur-le-champ. Il décide la constitution de cours martiales ambulantes composées d'officiers sans formation juridique qui procèdent à l'instruction immédiate des dossiers : les jugements sont rendus et exécutés par des militaires, les accusés sont privés d'avocat et du droit d'interjeter appel. Cette justice expéditive et arbitraire, qui fonctionne jusqu'au printemps 1907, prononce des milliers de condamnations à mort (la cravate de Stolypine) ou aux travaux forcés (le wagon de Stolypine). Au temps de Stolypine, la Sibérie gagne trois millions d’habitants, dont des condamnés politiques.
Une réelle tentative de réforme agraire

Stolypine estime qu'il faut changer radicalement de politique agraire. Il est convaincu que le mir est devenu un ferment de socialisme qui va à l'encontre du droit de propriété et ne permet plus de maintenir l'ordre dans les campagnes. Il entend par conséquent constituer une classe de petits propriétaires privés qui élargirait la base sociale du régime et briserait l'unité corporative de la paysannerie, en calquant l'Occident où les paysans soutiennent politiquement les partis conservateurs.
Les oukases de 1906, 1910 et 1911 facilitent la dissolution des mirs, afin de permettre le passage de la propriété collective à la propriété individuelle. La législation agraire de Stolypine, quoique critiquée, est la seule à tenter une modification en profondeur des campagnes et de la condition du peuple russe.
Leur résultat est très controversé. Les statistiques divergent et vont de 16 à 54 % de koulaks sortis du mir selon les auteurs. Les libéraux estiment que cette politique résolue est en train de sauver l'Empire et, avec les années, la réforme aurait atteint son but avec la transformation et la stabilisation des campagnes. Les marxistes pensent que cette réforme a eu une portée très limitée, car elle pèche par l'étroitesse de son champ d'application. Stolypine est décidé à ne pas confisquer de terres à la noblesse et invite les paysans à repartager les terres qu'ils possèdent déjà. Son aspect est coercitif et provoque l'accentuation des différenciations sociales au sein de la masse paysanne.
Stolypine s’emploie à russifier le monde des affaires en favorisant la formation de capitaux russes, le développement des exportations et la mise en œuvre d’une production de plus en plus compétitive. Mais, le 14 septembre 1911, il essuie un coup de feu, tiré par Bogrov, alors qu'il assiste à une représentation à l'opéra de Kiev en présence du tsar et de sa famille. Il meurt quatre jours plus tard. Bogrov est présenté comme un juif agissant pour l’extrême-gauche, mais en réalité il appartient à l’Okhrana et a l’ordre de supprimer Stolypine, responsable de la réforme agraire et donc haï par les grands propriétaires terriens. Cette thèse sera développée par Alexandre Soljenitsyne dans août 14, premier nœud.
En 1913, deux ans après sa mort, l’Empire russe est considéré comme la troisième puissance mondiale, mais la dernière tentative de réforme conservatrice de l'Empire n'a pu être menée à son terme.

L'avant-guerre

Une impression de fin de règne (1911-1914)

La mort de Stolypine marque la reprise des troubles révolutionnaires et des grandes grèves, telle celle sur la Léna à partir de février 1912. Kokovtsov est nommé, par l'empereur, président du Conseil. Pendant ce mandat, il garde le portefeuille de ministre de l'Intérieur. Dans son autobiographie, le comte Witte mentionne Kokovtsov, comme l'un de ses assistants les plus brillants. Witte laissait son assistant gérer lui-même certaines affaires, notamment certaines réformes dans les finances de la Russie impériale. Kokovtsov, homme prudent, très capable et défenseur du tsar, ne peut toutefois pas lutter contre les factions puissantes de cour, qui détiennent un véritable pouvoir44. Kokovtsov est une sorte de mandarin russe, haut fonctionnaire froid, hautain, consciencieux et compétent45. Quand le ministre de la guerre Vladimir Alexandrovitch Soukhomlinov réclame pour son budget des crédits démesurés, il les réduit considérablement, ce qui lui attire la haine de ce personnage qui voulait remplacer Stolypine.
En 1912, la Russie instaure un système d'assurance sociale pour les ouvriers et adopte un certain nombre d'autres lois pour améliorer leurs conditions de vie. Le président américain William Taft commente ainsi ces lois sociales : « La législation du travail que votre Empereur a promulgué est tellement parfaite que notre pays démocratique ne peut se vanter de pareille protection sociale »46. Kokovtsov, Premier ministre libéral, qui a négocié avec Cambon et Poincaré les emprunts ferroviaires de 1906, en redemande en 1913. Émigré en France, il sera l'ami de Poincaré47.

Vladimir Kokovtsov est remplacé par Ivan Goremykine, car il s’est permis de critiquer ouvertement Raspoutine. Le 12 février 1914, Goremykine est de nouveau rappelé par Nicolas II au poste de président du Conseil. Le choix du tsar est dicté par les bons sentiments qu'éprouve l'impératrice Alexandra pour le président du Conseil. Il reste dans ces fonctions jusqu'en juillet 1916. L'hostilité des membres de la Douma et des ministres nuit à l'efficacité de son gouvernement. En 1915, Nicolas II prend la décision d'assurer lui-même le commandement de l'armée impériale, Goremykine invite le Conseil d'État a approuver la décision de l'empereur. Les conseillers d'État refusent sa proposition, il déclare alors : « Je ne suis pas apte à assurer ma position et demande à être remplacé par un homme possédant des vues plus modernes ». Le 2 février 1916 son désir est exaucé, il est remplacé par Boris Stürmer qui n'est en rien un homme moderne.

Raspoutine[

Par l'intercession de la grande-duchesse Militza et de sa sœur, la grande-duchesse Anastasia, Raspoutine, qui se dit starets, est présenté à la famille impériale au grand complet, le 1er novembre 1905. Il offre à chacun de ses hôtes des icônes. Le jeune tsarévitch Alexis souffrant d'hémophilie, Raspoutine demande à être conduit au chevet du jeune malade, lui impose les mains, et parvient à enrayer la crise et à le soulager. Selon certains, il ne donne plus d’aspirine au jeune malade, ce médicament anticoagulant qui aggrave l'hémophilie.
Le moujik acquiert la reconnaissance de la famille impériale et ses proches. La tsarine Alexandra Feodorovna croit même que Raspoutine est un messager de Dieu. Invité à leurs fêtes ou réunions, il fait la connaissance de nombreuses femmes riches qui le prennent pour amant et guérisseur. L'une d'entre elles, Olga Lokhtina, épouse d'un général influent mais crédule, le loge chez elle et le présente à d'autres femmes d'influence, comme Anna Vyroubova, amie et confidente de la tsarine, et Mounia Golovina, nièce du tsar. Grâce à d'habiles mises en scène, il se produit à Saint-Pétersbourg ou au palais impérial de Tsarskoie Selo, résidence impériale, dans des séances d'exorcisme et de prières. Des récits de débauches, prétendues ou avérées, commencent alors à se multiplier et à faire scandale.
En 1912, le tsarévitch Alexis souffre d'hémorragie interne que les médecins n'arrivent pas à guérir. Raspoutine est appelé en désespoir de cause, et après avoir béni la famille impériale, entre en prière. Au bout de dix minutes, épuisé, il se relève en disant : « Ouvre les yeux, mon fils ». Le tsarévitch se réveille en souriant et, dès cet instant, son état s'améliore rapidement.
Dès lors, Raspoutine devient un familier de Tsarskoie Selo et est chargé de veiller sur la santé des membres de la famille impériale. Le tsar se figure être proche du peuple car il accueille dans son palais Raspoutine. Cependant, malgré la pleine confiance du tsar, il se rend vite très impopulaire auprès de la cour et du peuple et est vite considéré comme le « mauvais ange » de la famille impériale.
Il ne se préoccupe pas d'amasser une fortune personnelle, le seul luxe qu'il s'accorde consiste en une chemise de soie et une magnifique croix offertes par l'impératrice Alexandra . Il conserve ses cheveux gras et sa barbe emmêlée.
Raspoutine se heurte en 1905 au président du Conseil Stolypine, homme moderne et efficace, qui n’accepte pas l'influence de ce moujik mystique. Lors de l'affaire des Balkans, en 1909, Raspoutine se range dans le parti de la paix aux côtés de la tsarine et d'Anna Vyroubova contre le reste de la famille Romanov. Le président du Conseil le fait surveiller par l'Okhrana et Raspoutine est écarté de la cour et exilé à Kiev. Le 14 septembre 1911, l’assassinat de Stolypine met fin aux réformes et permet aussi au « starets » de revenir à la cour. Lors de l'été 1912, le tsarévitch Alexis, en déplacement en Pologne, est victime d'une nouvelle hémorragie interne très importante, après un accident. Raspoutine envoie un télégramme assurant la famille impériale de ses prières et, après la réception de son télégramme, l'état de santé du tsarévitch se stabilise et commence à s'améliorer le lendemain. Cette coïncidence est à l’origine du renvoi de ministres ou de généraux. Raspoutine est toutefois contre l’entrée en guerre de la Russie49. Les défaites qu’ils avaient prédites font que l’opinion va jusqu’à lui prêter une relation avec l’impératrice50.
L'empereur se montre alors de moins en moins réceptif aux prophéties et aux conseils du faux moine51. Mais, en 1915, il est discrédité et le pouvoir se retrouve aux mains de l'impératrice Alexandra Feodorovna et de Raspoutine. Ce dernier est finalement assassiné en décembre 1916 par un agent des services secrets britanniques lors d'un complot organisé par des ultra-monarchistes et menés par le prince Youssoupoff, parent par alliance de l'empereur.

La rivalité avec l'Autriche-Hongrie dans les Balkans (1908-1914)


En 1613, le boyard Michel III de Russie avait été élu tsar de toutes les Russies. En 1913, Nicolas II célèbre en grande pompe le 300e anniversaire de règne de la Maison Romanov ; les acclamations orchestrées de la foule le convainquent de sa popularité et de la puissance de la Russie, mais ce pays est un colosse aux pieds d’argile29.

Nicolas II et sa famille assistent à des nombreuses cérémonies dans tout le pays. A-t-il conscience du danger qui menace l'Europe et son Empire ? En 1913, Lénine écrit à Gorki : « Une guerre entre la Russie et l'Autriche serait très profitable à la révolution. Mais, il y a peu de chances que François-Joseph et Nikki52 nous fassent ce plaisir53. » C'est aussi l'avis d'autres révolutionnaires russes.
Lorsque l'Autriche-Hongrie a annexé la Bosnie-Herzégovine en 1908, la Russie a refusé de s'incliner mais, mal soutenue par la France qui estimait que les intérêts vitaux de la Russie n'étaient pas en jeu et menacée par un ultimatum secret allemand, elle dut accepter le fait accompli.
Les querelles balkaniques ne sont pas perçues comme un danger pour la paix, mais comme une possibilité de revanche pour une Russie humiliée en 1904-1905, puis en 1908. Elle acquiert la certitude qu'un jour l'un des deux empires devra céder devant l'autre. Elle entend de ce fait tirer profit d'un éventuel démembrement de l'Empire ottoman, dans les Balkans, pour s'assurer des positions rêvées et patronne la création d'une alliance entre les États balkaniques qui attaquent la Turquie en 1912 et soutient la Serbie dans toutes ses entreprises.
L'attentat de Sarajevo est l'œuvre de terroristes armés par Belgrade et soutenus par leur 2e Bureau, mais ils sont liés au colonel Artmarov, attaché militaire russe en Serbie et aux services secrets russes. Le gouvernement serbe n'ose pas sévir contre eux54.
Après l'assassinat de l'héritier du trône d'Autriche-Hongrie à Sarajevo par les Serbes et l'envoi par le gouvernement austro-hongrois à la Serbie d'un ultimatum, jugé qu'en grande partie acceptable par Belgrade, le gouvernement russe décide de soutenir la Serbie, faute de quoi il ne lui resterait qu'à enregistrer une nouvelle défaite. La Russie se considère comme la protectrice naturelle des Slaves. Elle a déjà fait par le passé des guerres pour ce genre de prétexte. Nicolas II, demeuré pacifique, déclare : « C'est une crise balkanique de plus »L2 10. Il écrit à son cousin Willy55 : « Je compte sur ta sagesse et ton amitié. » Néanmoins son cousin lui réplique: « Actuellement, il est en ton pouvoir d'empêcher la guerre… Personne ne menace l'honneur et la puissance russe…

 
 
 
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